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Le Beau est-il universel?

Il est impossible de passer Kant sous silence s’agissant de cette question typiquement kantienne. La définition du Beau proposé par Kant est une réponse apparemment sans équivoque à cette question de l’universalité du Beau. Etant jugé objet d’un plaisir universellement partagé le Beau semble pouvoir être décrété universel. Pourtant, Kant n’est pas aussi catégorique qu’il n’y paraît dans sa réponse à la question. Il ajoute à l’universalité du plaisir procurée par le Beau l’absence de conceptualisation. Or, un universel sans concept est un paradoxe car la définition de l’universalité présuppose la conceptualité ! Kant a  du pleinement conscience du paradoxe impliqué par sa définition. C’est pourquoi sa philosophie esthétique a un statut à part par rapport à l’ensemble de sa pensée. L’analyse de Kant sur le Beau appartient à sa Critique de la faculté de juger et non à sa Critique de la raison pure ou sa Critique de la raison pratique. Pour Kant le sentiment esthétique résulte d’un libre jeu très complexe entre l’imagination et l’entendement. Or, seul l’entendement humain est en rapport avec l’universel, tandis que l’imagination est liée à ce qu’il y a de plus singulier en nous. En prolongeant l’intuition géniale de Kant, on pourrait affirmer de façon sartrienne que le Beau est par excellence l’universel singulier. Le paradoxe du Beau est d’être à la fois ce qu’il y a de plus universel et de plus singulier. Le Beau est universel en ce qu’il suscite irrésistiblement l’adhésion du plus grand nombre. Presque tout le monde trouve beau un coucher de soleil, Notre Dame de Paris ou la Vénus de Milo. Mais le Beau est en même temps singulier en ce qu’il n’y a pas d’accord possible pour désigner ce qu’est le Beau en soi. Chaque être singulier investit sa subjectivité dans son jugement de goût, d’où l’absence de concept esthétique précis.
Platon avait déjà pressenti ce paradoxe du Beau à travers son dialogue Hippias majeur. Ce dialogue sur le Beau aboutit à une aporie, Socrate ne parvenant à aucune définition satisfaisante du Beau en soi. Contrairement à Aristote, Platon n’est pas satisfait de la définition classique grecque du Beau comme harmonie des rapports et des proportions. Et finalement, la réponse naïve d’Hippias qui identifie le Beau en soi à une belle femme n’est pas si mauvaise que cela. En y réfléchissant de plus près, la belle femme est certainement le meilleur exemple pour illustrer la thèse de l’universel singulier. D’une part, il n’y a pas de canon absolu pour déterminer ce qu’est une belle femme, tant les critères varient selon les contextes historiques et géographiques. Mais d’autre part, il y a toujours eu partout dans le monde une image très précise de ce qu’est la belle femme. Il y a certes des canons officiels de la beauté féminine imposé par les agences de mode, mais aucun Lagerfeld ne pourra me convaincre que Kate Moss est plus belle que Scarlett Johansson. Pour évaluer la beauté d’un être humain, le sentiment esthétique est à la fois influencé par des canons codifiés et par un supplément d’âme. Bref, c’est un mélange subtil entre des mensurations physiques et la grâce d’un sourire ou d’un regard qui décide d’un jugement esthétique favorable. Le Beau demeure fondamentalement un mystère qui est bien plus de l’ordre de la révélation que de l’évaluation !


 

« La meilleure des chirurgies esthétique, c’est le regard amoureux ». 
Philosophe inconnu 

         
 Biblio : E. Kant, Critique de la faculté de juger- Platon, Hippias majeur   
  

                                               Jean-Luc Berlet

 

« Est beau ce qui plaît universellement sans concept »   Kant

Lorsque Hannah Arendt analyse les conditions philosophiques et les causses des nos goûts et de nos choix artistiques et culturels, elle revient à la troisièmes critique de Kant. Sa lecture singulière du « sens commun » ouvre la perspective d’une liberté politique dan s le débat collectif sur ce que nous choisissons d’aimer ou de haïr ensemble. Le goût et le dégoût relèvent de la responsabilité politique et le destin de nos passions est au cœur de la responsabilité civique.
Voilà pourquoi toute méditation sur la passion et le destin des émotions est nécessairement liée à une réflexion sur l’exercice commun du jugement.

Si comme le montre Kant le beau est une aporie comment alors hors du jugement aborder le beau.

« Au milieu, né d’actes gracieux et  joyeux, il y avait sur une conque, une jeune femme qui n’avait pas de visage humain, poussé sur le rivage par de lascifs zéphyrs et il semble que le ciel s’en réjouissait. »
                                                                                                                                  Stanze Politien.

Chez Alberti, la beauté se trouve entre ouverture, (chirurgicale) et vêture (habillage), la beauté se trouve être passage entre l’horror et la pudor. Ainsi nous sommes dans l’obligation de penser ensemble sans pourtant pouvoir les unifier, l’harmonie d’une part et l’effraction  ou la cruauté d’autre part. La Vénus est double, la beauté est double, la beauté cœlestis et la beauté naturalis. La beauté céleste n’est qu’une beauté intellectualisée, non tactile, c’est aussi la beauté née du sexe tranché du ciel. Sphère mythologique est sphère de cruauté structurelle.

Impossible de penser la beauté, impossible de penser Aphrodite sans son parèdre Arés. Le dieu de la guerre, de la brutalité, du carnage et de la destruction. Il va au combat accompagné de sa sœur Éris (la Discorde), ses fils Déimos (la Terreur) et Phobos, ainsi que d'Ényo, déesse des batailles. Lui-même est souvent appelé Enyalios. Traditionnellement, les Grecs interprètent son nom comme un dérivé du mot « tueur », anaïrês.
Il est haï des autres dieux, en particulier Zeus, lequel lui déclare dans l'Iliade :

 

« Je te hais plus qu'aucun des dieux qui vivent sur l'Olympe

Car tu ne rêves que discordes, guerres et combats. »

Héra, sa mère, ne l'apprécie guère plus, dépitée qu'elle est de le voir prendre parti pour les Troyens pendant la guerre de Troie. Elle déclare pareillement à son sujet :

 

« Zeus Père, n'es-tu pas outré des sévices d'Arès ?

Combien de braves Achéens n'a-t-il pas fait périr

à tort et à travers ! J'en suis navrée, et cependant

Aphrodite et Apollon à l'arc d'argent sont tout heureux

d'avoir lâché ce fou qui ne connaît aucune loi. »

Botticelli Sandro (Italie, 1444 -1510)

Botticelli Sandro (Italie, 1444 -1510)

Leur union donnera naissance à Harmonie, Déimos, Phobos et Éros.
La beauté est conséquence d’harmonie. Harmonie fille d’Aphrodite implique que la beauté est autre chose qu’harmonie. La beauté est un principe composite nous dit Pic de la Mirandole.
Le discours de Pausanias dans le Banquet fait de l’Aphrodite Uranienne une divinité étrangère à l’élément féminin. La Vénus céleste est née du ciel, c’est-à-dire qu’elle est née de la castration du ciel, dans le remous impur du sang, du sperme et le de l’écume mêlée.
Mêlée, voilà l’origine du monde et sa membrure est faite de force contradictoire. Reprenant là le jeu dialectique platonicien du même et de l’autre, ou de la Guerre d’Héraclite.
Il n’y a point de beauté dans une nature simple. Vénus aime Mars. La beauté nommée Vénus ne peut exister sans cette contradiction.
Harmonie est le lien entre Concordia et Discordia. Eris est la sœur d’Arès Beauté est un principe composite. Chaque fois que plusieurs choses diverses concourent à en constituer une troisième, laquelle est née justement du mélange, on peut la nommer harmonie. La composition présuppose cependant la multiplicité que l’on ne saurait trouver dans l’être pur, mais seulement dans le chaotique univers changeant.
Mais il n’y a pas d’univers chez les grecs. Il y a passage de Chaos à Cosmos. Il y a « cosmétisation » du chaos. La castration d’Uranus transmet à la matière informe, l’eau, la semence des formes idéales.
« Puisque les idées n’auront pont en elles-mêmes de variété, ni de diversité, si elle ne se mêlaient à la nature informe et comme à défaut de variée il n’est point de beauté, il s’en suit que Vénus n’aurait pas pu naître si les testicules  d’Uranus n’avait point chu dans les eux de la mer »
La création est ainsi conçue come une mort cosmogonique. Cette sorte de mort catastrophique productrice de beauté est aussi douloureuse pour le ciel que le fut également l’égorgement de Marsyas, version humaniste du précepte socratique du « connais toi, toi-même ».
Pas de beauté céleste sans castration du ciel, pas de connaissance de soi sans l’horreur de l’égorgé d’Apollon : « Pourquoi m’arraches-tu à moi même ? »

N’est ce pas Aphrodite qui, jalouse de la chevelure et de la beauté de Méduse, la mortelle Gorgone change ses cheveux en serpents. Sœur des Grées, les sœurs grises, les Gorgones filles de Phorcys et de Céto, sont belles. Méduse fut séduite par Poséidon puis violée dans le temple d’Athéna. Punie désormais son regard pétrifie tous ceux qui le croisent. Persée la décapite. De son sang jaillissent ses deux fils, Chrysaor, et le cheval ailé Pégase. Première naissance par césarienne.
La beauté est cet étrange passage entre la destruction et la construction du monde.

café philo du 13 mai 2009 au St René.
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