« Il faut aimer n’importe qui, n’importe quoi, n’importe comment, pourvu qu’on aime. »
Alexandre Dumas
« Aime et fais ce que tu veux ! » En prononçant cette phrase célèbre, Augustin a certainement voulu rompre avec sa réputation d’évêque moralisateur en mettant l’amour au-dessus de la loi à l’image du Christ. De fait, Jésus n’a rien fait d’autre que de prôner une libération par l’amour au sein d’une société juive sclérosée par le légalisme pharisien et le rigorisme lévitique. Bien qu’Augustin ait surtout pensé à l’amour divin en prononçant son mot, il a tout de même initié ainsi la tradition romantique occidentale qui place le fait d’aimer au-dessus de tout. Avant sa conversion au christianisme à 28 ans, Augustin a vécu une vie de luxure émaillée d’innombrables conquêtes féminines. Cependant, même s’il s’est repenti pour ses péchés de chair, Augustin s’est tout de même marié avec sa concubine préférée, ce qui ne l’a pas empêché de devenir évêque, le célibat des prêtres n’étant pas encore de mise ! L’évêque d’Hippone n’a pas hésité à déclarer qu’à chaque fois qu’il a aimé une femme, c’est déjà Dieu qu’il aimait à travers elle sans le savoir. Son hymne d’amour à Dieu ressemble d’ailleurs de façon troublante à une lettre d’amour enflammée pour une femme…
Martin Luther qui était un moine augustinien avant sa rupture avec l’Église a finalement été fidèle à la voie tracée par Augustin en choisissant le mariage. Et le premier pasteur protestant de l’histoire a fait de son épouse la première « abbesse » de l’histoire du christianisme. Dans ses Confessions, Luther admet que sans sa « faute » sexuelle (avoir « engrossé la nonne qu’il a épousée) il n’aurait pas eu le courage d’aller jusqu’au bout de son combat contre Rome. C’est ainsi qu’il a conçu l’idée très féconde de « péché qui renforce » (pecca fortiter). Or, la transgression amoureuse constitue indéniablement le plus bel exemple de « pecca fortiter ». L’écrivain Marek Halter a magistralement renoué avec l’intuition de Luther dans son livre iconoclaste Éloge de l’adultère où il montre que dans Bible, la volonté de Dieu est souvent passée par des unions sexuelles « illicites »…
La vérité profonde de ce « aime et fais ce que tu veux », c’est qu’il n’y a pas d’amour sans liberté. Or, c’est précisément parce que l’amour n’existe pas sans liberté qu’il constitue aussi une prise de risque. C’est parce qu’il respecte la liberté que l’amour vrai est aussi si vulnérable. Kierkegaard est à mon sens le penseur occidental qui a le mieux compris cette vulnérabilité de l’amour par rapport à la liberté. C’est bien sur l’autel de sa liberté d’écrivain que Kierkegaard a « sacrifié » son amour pour Régine Olsen, sa cruauté d’homme étant sublimée dans son génie d’écrivain. Le philosophe danois a ainsi mis le doigt sur le paradoxe douloureux de l’amour qu’il a vécu en se trouvant tiraillé entre le conformisme bourgeois du mariage et l’immoralisme donjuanesque du libertinage. Refusant à la fois la soumission à l’ordre moral et la transgression de ce dernier, Kierkegaard s’est condamné à une solitude amoureuse douloureuse, mais féconde…
Enfin, il a aussi existé en Asie des initiatives audacieuses pour libérer l’amour de son carcan traditionnel un peu lourd comme dans le taoïsme et le tantrisme. Le taoïsme a ainsi vu dans l’amour sexuel un moyen thérapeutique le libérant ainsi de la sphère de la reproduction. Et d’une manière encore plus audacieuse, le tantrisme sexuel a fait de l’union extatique avec la prêtresse de Shiva la voie royale pour atteindre l’Illumination du Nirvana…
Ainsi, Augustin l’Africain a parfaitement incarné à travers sa vision dualiste de l’amour une sorte de synthèse entre l’Occident et l’Orient !
Jean-Luc Berlet.
Biblio : Saint-Augustin, Les Confessions – Martin Luther, Mémoires de Luther – Sören Kierkegaard, In vino veritas – Marek Halter, Éloge de l’adultère.a