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La philosophie peut-elle être criminelle ?

« Un homme couvert de crimes est toujours intéressant. C’est une cible pour la Miséricorde ». Léon Bloy

 

Dans son essai, l’homme révolté Albert Camus a évoqué avec pertinence l’existence du crime logique inhérent à la philosophie. Certes, en bon humaniste, Camus n’a pas accusé la philosophie en tant que telle d’être criminelle, mais il a clairement accusé deux grandes philosophies d’être criminelles : l’hégélianisme et le marxisme. Pour Camus, toute pensée qui place le Tribunal de l’Histoire au-dessus du droit individuel est criminelle et c’est là le cas de l’hégélianisme et du marxisme. Il ne faut pas oublier que selon Camus aucune cause ne mérite la moindre goutte de sang, d’où son conflit violent avec Sartre qui a continué à soutenir l’Union soviétique après l’invasion de la Hongrie en 1956. 

Dans sa dénonciation du crime logique, Camus s’est inspiré des deux grands philosophes du soupçon, Nietzsche et Kierkegaard. L’allemand comme le danois ont soupçonné la pensée rationaliste d’être criminelle dans son essence et ils ont tous deux tiré à boulet rouge sur Hegel dont le panlogisme a été érigé par eux en « crime parfait ». Pour Kierkegaard, le Système hégélien a tout du crime parfait où le criminel efface méticuleusement toutes les traces du crime en devenant à la fois juge et partie de ce dernier. C’est un peu comme dans le film de Clint Eastwood, les pleins pouvoirs où un cambrioleur surprend le président en train de tuer sa maîtresse à la Maison-Blanche ! Kierkegaard est ce cambrioleur qui a surpris Hegel en train de tuer la Vie pour lui substituer une froide Raison… de son côté Nietzsche s’en prend plus directement à Socrate qui aurait fait passer son suicide en martyr afin de faire triompher sa philosophie rationaliste. Or, juridiquement parlant le suicide est un crime !

Aujourd’hui, les écoles philosophiques grecques seraient immédiatement fermées et leurs maîtres emprisonnés pour pédophilie. D’un point de vue strictement juridique, au regard de la loi actuelle, Socrate est bien plus criminel que Sade. L’adepte de la « socratisation » n’a eu cesse de dénoncer la criminalité de la philosophie, le sinistre Robespierre étant lui-même le produit du Contrat social de Rousseau. Le paradoxe tragi-comique veut que le « gentil » Rousseau ait préconisé la peine de mort pour les opposants politiques alors que le « méchant » Sade a été le seul philosophe de son temps à prôner son abolition. Robespierre avait d’ailleurs fait condamner Sade à mort pour modérantisme et immoralité alors que Louis XVI s’était contenté de « donjoniser » le Don Juan sulfureux…

Alors, oui, la philosophie peut-être criminelle quand elle oublie la vie et le droit à la bêtise ! En affirmant que tout homme était philosophe, Platon sans le savoir ouvert une sacrée boîte de Pandore. Non, tout homme n’est pas philosophe et heureusement qu’il en est ainsi. Car sinon il y a bien longtemps que la prophétie nihiliste d’Eugen Hartmann se serait réalisée et que l’Humanité se serait suicidée…

 

Jean-Luc Berlet

 (café-philo du 1er juin 2015)

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