Ce qui semble être une citation, nous vient du philosophe Barruch Spinoza.
Voici les textes ou l’on peut retrouver l’esprit de l’interrogation posée. En ce qui concerne le chapitre 4 du 1er chapitre du Traité politique écrit en 1677, et la préface du livre III de l'Ethique, je propose deux traductions, celle Charles Appuhn premier traducteur de Spinoza et une version plus récente d’Emile Saisset.
Traité politique, chapitre I – fondements affectifs de la politique –§ 4.
Cum igitur animum ad Politicam applicuerim, nihil quod novum, vel inauditum est, sed tantum ea, quae cum praxi optime conveniunt, certa, et indubitata ratione demonstrare, aut ex ipsa humanae naturae conditione deducere, intendi; et ut ea, quae ad hanc scientiam spectant, eadem animi libertate, qua res Mathematicas solemus, inquirerem, sedulo curavi, humanas actiones non ridere, non lugere, neque detestari, sed intelligere: atque adeo humanos affectus, ut sunt amor, odium, ira, invidia, gloria, misericordia, et reliquae animi commotiones, non ut humanae naturae vitia, sed ut proprietates contemplatus sum, quae ad ipsam ita pertinent, ut ad naturam aeris aestus, frigus, tempestas, tonitru, et alia hujusmodi, quae, tametsi incommoda sunt, necessaria tamen sunt, certasque habent causas, per quas eorum naturam intelligere conamur, et Mens eorum vera contemplatione aeque gaudet, ac earum rerum cognitione, quae sensibus gratae sunt.
M’appliquant à la Politique, donc, je n’ai pas voulu approuver quoi que ce fût de nouveau ou d’inconnu, mais seulement établir par des raisons certaines et indubitables ce qui s’accorde le mieux avec la pratique. En d’autres termes, le déduire de l’étude de la nature humaine et, pour apporter dans cette étude la même liberté d’esprit qu’on a coutume d’apporter dans les recherches mathématiques, j’ai mis tous mes soins à ne pas tourner en dérision les actions des hommes, à ne pas pleurer sur elles, à ne pas les détester, mais à en acquérir une connaissance vraie : j’ai aussi considéré les affects humaines telles que l’amour, la haine, la colère, l’envie, la superbe, la pitié et les autres mouvements de l’âme, non comme des vices mais comme des propriétés de la nature humaine : des manières d’être qui lui appartiennent comme le chaud et le froid, la tempête, le tonnerre et tous les météores appartiennent à la nature de l’air.
Quel que soit le désagrément que puissent avoir pour nous ces intempéries, elles sont nécessaires, ayant des causes déterminées par lesquelles nous nous appliquons à en connaître la nature, et quand l’âme a la connaissance vraie de ces choses, elle en jouit tout de même que de la connaissance des choses qui donnent à nos sens de l’agrément.
Traduction Appuhn
4. Lors donc que j’ai résolu d’appliquer mon esprit à la politique, mon dessein n’a pas été de rien découvrir de nouveau ni d’extraordinaire, mais seulement de démontrer par des raisons certaines et indubitables ou, en d’autres termes, de déduire de la condition même du genre humain un certain nombre de principes parfaitement d’accord avec l’expérience ; et pour porter dans cet ordre de recherches la même liberté d’esprit dont on use en mathématiques, je me suis soigneusement abstenu de tourner en dérision les actions humaines, de les prendre en pitié ou en haine ; je n’ai voulu que les comprendre. En face des passions, telles que l’amour, la haine, la colère, l’envie, la vanité, la miséricorde, et autres mouvements de l’âme, j’y ai vu non des vices, mais des propriétés, qui dépendent de la nature humaine, comme dépendent de la nature de l’air le chaud, le froid, les tempêtes, le tonnerre, et autres phénomènes de cette espèce, lesquels sont nécessaires, quoique incommodes, et se produisent en vertu de causes déterminées par lesquelles nous nous efforçons de les comprendre. Et notre âme, en contemplant ces mouvements intérieurs, éprouve autant de joie qu’au spectacle des phénomènes qui charment les sens.
Traduction Saisset.
Ethique - chapitre III - Préface.
Plerique, qui de Affectibus, et hominum vivendi ratione scripserunt, videntur, non de rebus naturalibus, quae communes naturae leges sequuntur, sed de rebus, quae extra naturam sunt, agere. Imò hominem in naturâ, veluti imperium in imperio, concipere videntur. Nam hominem naturae ordinem magis pertubare, quàm sequi, ipsumque in suas actiones absolutam habere potentiam, nec aliunde, quàm à se ipso determinari, credunt. Humanae deinde impotentiae, et inconstantiae causam non communi naturae potentiae, sed, nescio cui naturae humanae vitio, tribuunt, quam propterea flent, rident, contemnunt, vel, quod plerumque fit, detestantur ; et, qui humanae Mentis impotentiam eloquientiùs, vel argutiùs carpere novit, veluti Divinus habetur. Non desuerunt tamen viri praestantissimi (quorum labori, et industriae nos multùm debere fatemur), qui de rectâ vivendi ratione praeclara multa scripserint, et plena prudentiae consilia mortalibus dederint ; verùm Affectuum naturam, et vires, et quid contrà Mens in iisdem moderandis possit, nemo, quòd sciam, determinavit. Scio equidem celeberrimum Cartesium, licet etiam crediderit, Mentem in suas actiones absolutam habere potentiam, Affectûs tamen humanos per primas suas causas explicare, simulque viam ostendere studuisse, quâ Mens in Affectûs absolutum habere possit imperium ; sed, meâ quidem sententiâ, nihil praeter magni sui ingenii acumen ostendit, ut suo loco demonstrabo. Nam ad illos revertere volo, qui hominum Affectûs, et actiones detestari, vel ridere malunt, quàm intelligere. His sine dubio mirum videbitur, quod hominum vitia, et ineptias more Geometrico tractare aggrediar, et certâ ratione demonstrare velim ea, quae rationi repugnare, quaeque vana, absurda, et horrenda esse clamitant. Sed mea haec est ratio. Nihil in naturâ sit, quod ipsius vitio possit tribui ; est namque natura semper eadem, et ubique una, eademque ejus virtus, et agendi potentia, hoc est, naturae leges, et regulae, secundùm quas omnia fiunt, et ex unis formis in alias mutantur, sunt ubique, et semper eaedem, atque adeò una, eademque etiam debet esse ratio rerum qualiumcunque naturam intelligendi, nempe per leges, et regulas naturae universales. Affectûs itaque odii, irae, invidiae etc. in se considerati ex eâdem naturae necessitate, et virtute consequuntur, ac reliqua singularia ; ac proinde certas causas agnoscunt, per quas intelliguntur, certasque proprietates habent, cognitione nostrâ aequè dignas, ac proprietates cujuscunque alterius rei, cujus solâ contemplatione delectamur. De Affectuum itaque naturâ, et viribus, ac Mentis in eosdem potentiâ eâdem Methodo agam, quâ in praecedentibus de Deo, et Mente egi, et humanas actiones, atque appetitûs considerabo perinde, ac si quaestio de lineis, planis, aut de corporibus esset.
Ceux qui ont écrit sur les Affections et la conduite de la vie humaine semblent, pour la plupart, traiter non de choses naturelles qui suivent les lois communes de la Nature mais de choses qui sont hors de la Nature. En vérité, on dirait qu'ils conçoivent l'homme dans la Nature comme un empire dans un empire. Ils croient, en effet, que l'homme trouble l'ordre de la Nature plutôt qu'il ne le suit, qu'il a sur ses propres actions un pouvoir absolu et ne tire que de lui-même sa détermination. Ils cherchent donc la cause de l'impuissance et de l'inconstance humaines, non dans la puissance commune de la Nature, mais dans je ne sais quel vice de la nature humaine et, pour cette raison, pleurent à son sujet, la raillent, la méprisent ou le plus souvent la détestent : qui sait le plus éloquemment ou le plus subtilement censurer l'impuissance de l'Âme humaine est tenu pour divin. Certes n'ont pas manqué les hommes éminents (au labeur et à l'industrie desquels nous avouons devoir beaucoup) pour écrire sur la conduite droite de la vie beaucoup de belles choses, et donner aux mortels des conseils pleins de prudence ; mais, quant à déterminer la nature et les forces des Affections, et ce que peut l'Âme de son côté pour les gouverner, nul, que je sache, ne l'a fait. A la vérité, le très célèbre Descartes, bien qu'il ait admis le pouvoir absolu de l'Âme sur ses actions, a tenté, je le sais, d'expliquer les Affections humaines par leurs premières causes et de montrer en même temps par quelle voie l'âme peut prendre sur les Affections un empire absolu ; mais, à mon avis, il n'a rien montré que la pénétration de son grand esprit comme je l'établirai en son lieu. Pour le moment je veux revenir à ceux qui aiment mieux détester ou railler les Affections et les actions des hommes que les connaître. A ceux-là certes il paraîtra surprenant que j'entreprenne de traiter des vices des hommes et de leurs infirmités à la manière des Géomètres et que je veuille démontrer par un raisonnement rigoureux ce qu'ils ne cessent de proclamer contraire à la Raison, vain, absurde et digne d'horreur. Mais voici quelle est ma raison. Rien n'arrive dans la Nature qui puisse être attribué à un vice existant en elle ; elle est toujours la même en effet ; sa vertu et sa puissance d'agir est une et partout la même, c'est-à-dire les lois et règles de la Nature, conformément auxquelles tout arrive et passe d'une forme à une autre, sont partout et toujours les mêmes ; par suite, la voie droite pour connaître la nature des choses, quelles qu'elles soient, doit être aussi une et la même ; c'est toujours par le moyen des lois et règles universelles de la Nature. Les Affections donc de la haine, de la colère, de l'envie, etc., considérées en elles-mêmes, suivent de la même nécessité et de la même vertu de la Nature que les autres choses singulières ; en conséquence, elles reconnaissent certaines causes, par où elles sont clairement connues, et ont certaines propriétés aussi dignes de connaissance que les propriétés d'une autre chose quelconque, dont la seule considération nous donne du plaisir. Je traiterai donc de la nature des Affections et de leurs forces, du pouvoir de l'Âme sur elles, suivant la même Méthode que dans les parties précédentes de Dieu et de l’Âme, et je considérerai les actions et les appétits humains comme s'il était question de lignes, de surfaces et de solides.
Traduction Appuhn
Quand on lit la plupart des philosophes qui ont traité des affects et de la conduite des hommes, on dirait qu'il n'a pas été question pour eux de choses naturelles, réglées par les lois générales de l'univers, mais de choses placées hors du domaine de la nature. Ils ont l'air de considérer l'homme dans la nature comme un empire dans un autre empire. A les en croire, l'homme trouble l'ordre de l'univers bien plus qu'il n'en fait partie ; il a sur ses actions un pouvoir absolu et ses déterminations ne relèvent que de lui-même. S'il s'agit d'expliquer l'impuissance et l'inconstance de l'homme, ils n'en trouvent point la cause dans la puissance de la nature universelle, mais dans je ne sais quel vice de la nature humaine ; de là ces plaintes sur notre condition, ces moqueries, ces mépris, et plus souvent encore cette haine contre les hommes ; de là vient aussi que le plus habile ou le plus éloquent à confondre l'impuissance de l'âme humaine passe pour un homme divin. Ce n'est pas à dire que des auteurs éminents (dont j'avoue que les travaux et la sagacité m'ont été très-utiles) n'aient écrit un grand nombre de belles choses sur la manière de bien vivre, et n'aient donné aux hommes des conseils pleins de prudence ; mais personne que je sache n'a déterminé la véritable nature des affects, le pouvoir qu'ils ont sur l'âme et celui dont l'âme dispose à son tour pour les modérer. Je sais que l'illustre Descartes, bien qu'il ait cru que l'âme a sur ses actions une puissance absolue, s'est attaché à expliquer les affects humains par leurs causes premières, et à montrer la voie par où l'âme peut arriver à un empire absolu sur ses affects ; mais, à mon avis du moins, ce grand esprit n'a réussi à autre chose qu'à montrer son extrême pénétration, et je me réserve de prouver cela quand il en sera temps.
Je reviens à ceux qui aiment mieux prendre en haine ou en dérision les affects et les actions des hommes que de les comprendre. Pour ceux-là, sans doute, c'est une chose très-surprenante que j'entreprenne de traiter des vices et des folies des hommes à la manière des géomètres, et que je veuille exposer, suivant une méthode rigoureuse et dans un ordre raisonnable, des choses contraires à la raison, des choses qu'ils déclarent à grands cris vaines, absurdes, dignes d'horreur. Mais qu'y faire ? cette méthode est la mienne. Rien n'arrive, selon moi, dans l'univers qu'on puisse attribuer à un vice de la nature. Car la nature est toujours la même ; partout elle est une, partout elle a même vertu et même puissance ; en d'autres termes, les lois et les règles de la nature, suivant lesquelles toutes choses naissent et se transforment, sont partout et toujours les mêmes, et en conséquence, on doit expliquer toutes choses, quelles qu'elles soient, par une seule et même méthode, je veux dire par les règles universelles de la nature
Il suit de là que les affects, tels que la haine, la colère, l'envie, et autres de cette espèce, considérés en eux-mêmes, résultent de la nature des choses tout aussi nécessairement que les autres choses singulières ; et par conséquent, ils ont des causes déterminées qui servent à les expliquer ; ils ont des propriétés déterminées tout aussi dignes d'être connues que les propriétés de telle ou telle autre chose dont la connaissance a le privilège exclusif de nous charmer.
Je vais donc traiter de la nature des affects, de leur force, de la puissance dont l'âme dispose à leur égard, suivant la même méthode que j'ai précédemment appliquée à la connaissance de Dieu et de l'âme, et j'analyserai les actions et les appétits des hommes, comme s'il était question de lignes, de plans et de solides.
Traduction Emile Saisset (1842) revue et corrigée par Henrique Diaz (2012).