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Torrent de montagne Sargent John Singer (1856-1925)

Torrent de montagne Sargent John Singer (1856-1925)

Le violent, le courant ou les rives du torrent ? (café-philo du 16 novembre)

 

« Que haine et plaisir aillent de pair, cela découle de la situation de chasse, dans laquelle le chassant, bête ou homme, poursuit le chassé parce qu’il “aimerait bien l’avoir”, et par conséquent “l’aime bien”. Ce n’est pas un hasard si les gardes forestiers parcourant les forêts avec leurs fusils chargés se tiennent tout à fait pour les amis des bêtes et cela encore à l’heure du repos vespéral, où ils rentrent avec sur leur dos le chevreuil dont le sang goutte. Poursuite, anéantissement et jouissance de consommer constituent, et pas uniquement dans le cas singulier du Maquis de Sade, un syndrome. »

                           Gunther Anders, La Haine, Payot et rivages 2007, p.38

 

   À travers ce texte du philosophe juif allemand Gunther Anders, nous avons clairement une position pessimiste qui considère que l’homme est violent par nature. Selon Anders cette violence serait inhérente à l’instinct de chasseur qui réside en chaque être humain le chanteur Alain Souchon ne dit rien d’autre dans sa chanson Angelus où il fustige le fanatisme religieux en ces termes « ce n’est rien d’autre que le plaisir de zigouiller ». Anders comme Souchon sont persuadés que c’est le courant en soi qui est violent et pas seulement les rives du torrent… en d’autres termes, ils sont convaincus que la violence est inhérente à la nature humaine et qu’elle n’est pas le fait des circonstances extérieures. Tel est aussi le point de vue de Schopenhauer qui pense que même placés dans l’île la plus paradisiaque, un groupe d’homme finirait par s’entretuer, chacun jalousant chez son prochain ce qu’il possède déjà…

   Affirmer au contraire que le violent réside dans les rives du torrent constitue le point de vue plus optimiste. La métaphore signifie en effet que ce sont les circonstances mêmes de la vie comparable à un relief accidenté qui rendent le torrent humain si violent. On pense ici bien sûr à Jean-Jacques Rousseau et son mot célèbre : « L’homme est bon par nature, c’est la société qui le corrompt ». Notons au passage que Rousseau n’aurait pas cautionné cette métaphore du torrent pour évoquer la violence, car en bon montagnard il était bien placé pour connaître les vertus éducatives des bains glacés dans les torrents alpestres ! Pour Rousseau c’est surtout la grande ville avec ses artifices et ses tentations qui corrompt l’homme et le rend violent. Karl Marx ira encore plus loin que Rousseau en proposant des solutions censées résorber cette violence humaine causée par les structures sociales. Or, l’histoire sanglante du communisme nous rappelle cruellement qu’il ne suffit pas d’abolir la propriété privée pour rendre l’homme moins violent…

   À mon sens, l’alternative entre le courant et les rives du torrent nous mène à une impasse, ou pour rester dans la métaphore aquatique, à un barrage… D’une part, la douceur extraordinaire de nombreux êtres humains montre clairement que la violence n’est pas une donnée immédiate de la nature humaine. Mais d’autres part l’échec sanglant de toutes les Utopies qui ont cru rendre l’homme meilleur en changeant les structures économico-sociales montre aussi que la douceur non plus n’est pas une donnée immédiate de la nature humaine. C’est certainement un jeu subtil et complexe entre la génétique, l’éducation et la société qui fait d’un être humain ce qu’il est. Sorti des mains de la nature, l’homme n’est ni bon, ni mauvais, mais plutôt neutre, c’est-à-dire avec un potentiel à peu près équivalent pour la violence ou la non-violence. Il va de soi que ma réflexion prend comme axiome de base que la violence est le synonyme du mal… ce qui est loin d’aller de soi ! Mais une telle réduction est nécessaire, car on sait très bien ce qu’est la violence alors que pour le mal, qu’en sait-on ?

   Enfin, comment parler du violent aujourd’hui sans évoquer les évènements tragiques de ce vendredi 13 à deux pas de ce café dans le 11e arrondissement de Paris… mais que rajouter à tout ce qui a été dit sur la question par les spécialistes les plus compétents, géopoliticiens, sociologues, psychiatres ou théologiens ? Et que peut dire de plus le philosophe ? Et comme la France n’a vraiment pas de bol en ce moment le seul penseur français actuel qui aurait pu nous éclairer un tant soit peu vient de mourir : René Girard. Dans son excellent ouvrage, le bouc-émissaire Girard nous rappelle que pour rompre le cercle vicieux de la violence avec le cycle morbide des vengeances, il faut qu’un être exceptionnel ait le courage de prendre toute la violence sur lui à l’instar du Christ… or, il y a bien longtemps que les grands hommes ont déserté cette planète, visiblement oublié des dieux…       

 

 

     Jean-Luc Berlet,  (café-philo du 16 novembre)

Pour écouter laprésentation de Jean-Luc Berlet. cliquez sur le lien ci dessous.

Tag(s) : #Textes des cafés-philo

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