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Quæ autem dementia est, potius trahi quam sequi !

De vita Beata

Sénèque

Ut bonus miles, feret vulnera, enumerabit cicatrices, et transverberatus telis, moriens, amabit eum, pro quo cadet, imperatorem ; habebit in animo illud vetus præceptum : Deum sequere. Quisquis autem queritur, et plorat, et gemit, imperata facere vicogitur, et invitus rapitur ad jussa nihilominus. Quæ autem dementia est, potius trahi quam sequi ! tam, mehercule, quam, stultitia et ignorantia conditionis suæ, dolere, quod est aliquid aut incidit durius, æque ac mirari, aut indigne ferre ea, quæ tam bonis accidunt quam malis ; morbos dico, funera, debilitates, et cetera ex transverso in vitam humanam incurrentia. Quidquid ex universi constitutione patiendum est, magno suscipiatur animo ; ad hoc sacramentum ada i sumus, ferre mortalia, nec perturbari his, quæ vitare non est nostræ potestatis. In regno nati sumus : Deo parere libertas est.

De même qu’un brave soldat supportera ses blessures, domptera fièrement ses cicatrices, et, tout percé de traits et mourant, bénira le général pour qui il succombe, elle aura, gravé dans son âme, cet antique précepte : Suis Dieu. Le lâche qui se plaint, qui pleure, qui gémit, n’en est pas moins forcé d’exécuter ce qu’on ordonne et violemment ramené au devoir. Or, quelle démence de se faire traîner plutôt que de suivre ! Non moindre, en vérité, est la sottise de ces gens, oublieux de leur condition, qui s’affligent s’il leur arrive quelque chose de pénible, qui s’étonnent, qui s’indignent à l’ une de ces disgrâces communes aux bons et aux méchants, je veux dire les maladies, les morts, les infirmités et les milles traverses auxquelles la vie de l’homme est en butte. Tout ce que la constitution de l’univers nous impose de souffrances, acceptons-le intrépidement. On nous enrôla sous serment pour subir toute épreuve humaine, pour ne point nous laisser bouleverser par les choses qu’il n’est pas en nous d’éviter. Nous sommes nés dans une monarchie : obéir à Dieu, voilà notre liberté.

dementia démence, folie, extravageance, démens; prive de raison, insensé, fou furieux

 

traho idée de tirer (tirer un char) tirer attirer les vaiseaux vers les rochers, tirer quelqu’un par les pieds, tirer la laine en filant, chacun subit l’attrait de son propre plaisir.

Idée de trainer, trainer hector

 

Sequor suivre accompagner, suivre la nature comme guide, suivre l’autorité et les conseils de quelqu’un, chercher à atteindre la vraisemblance par conjecture

Dans la culture antique, celui qui inspire, celui qui montre la voie, c’est d’abord le maître. Celui-ci peut être un philosophe de profession, mais tout aussi bien quelqu’un du commun, un ami ou encore un amant pourvut que ce soit un homme d’âge mûr et sérieux. L’exemple est donné par les aînés, les vieillards glorieux qui transmettent des connaissances, des principes, des savoir-faire. Le maître fait passer quelqu’un du statut d’ignorant à celui qui sait. Le sujet ne peut être opérateur de sa propre transformation, il a besoin d’un guide.

Le rôle du maître sera de conduire le disciple vers le savoir et la connaissance, vers le savoir-faire et le comportement. Il va avoir pour mission de sortir le disciple de la stultitia, la déraison. stultus l’Idiot, le sot, le stupide.

C’est une notion capitale de la philosophie stoïcienne, comme on peut le lire chez Sénèque dans « la tranquillité de l’âme ». Stultitia s’entend comme « qui n’a pas souci de lui-même ». La stultitia est la situation dans laquelle on se trouve avant que l’on ait pris soin de soi, avant que l’on ait commencé le cheminement de la philosophie. Est stulutus explique Sénèque, celui qui est ouvert à tout vent, celui qui laisse entrer dans son esprit tout ce qui se présente à lui sans examen sans analyse. Ne se souvenant de rien, ne se remémorant aucun acte. Celui qui est stultus change d’avis sans cesse et laisse s’écouler la vie sans songer un instant à prendre soin de lui-même.

La sortie de cet état pour Sénèque doit être une volonté de l’individu d’accéder au soi. Néanmoins, la difficulté, c’est que ce qui caractérise la stultitia est justement l’incapacité à en sortir, car l’individu ne le désire pas, la stultitia se définit par ce non-rapport à soi. La seule issue, l’intervention d’autrui. L’individu extérieur permettra de polariser la volonté de sortir de cette stultitia et aidera celui qui est stultus à être maître de soi. Cet individu, conduisant à cette sortie, c’est la philosophe. Seul le philosophe est capable d’aider les autres en les dirigeant, « le philosophe est celui qui est ἡγεμών l’hêgemon (le souverain qui a donné hégémonie), le guide, pour tous les hommes, en ce qui concerne les choses qui conviennent à leur nature », précise Musonius Rufus.

Foucault disait : « La philosophie c’est l’ensemble des principes et des pratiques qu’on peut avoir à sa disposition ou mettre à la disposition des autres, pour prendre comme il faut soin de soi-même ou soin des autres. »

 

Choisir d’être libre

Pour les écoles antiques, être libre ce n’est pas avoir pleine latitude des ses faits et gestes, des ses mouvements ou encore de liberté d’expression. Être libre, c’est ne pas être soumis. Sénèque met en garde contre la servitude à l’égard de soi-même, en disant qu’être esclave de soi-même est la plus lourde des toutes les servitudes.

La souveraineté de soi sur soi et atteindre la pleine jouissance de se soi ne peuvent être acquis qu’en travaillent son âme, sa volonté, son désir de contrôle. Cette âme doit être forgée selon trois axes : la connaissance, il s’agit de se rendre auprès des maîtres ceux qui détiennent toutes formes de savoir ; la recherche de la sagesse, il faut s’entraîner à se maîtriser face aux passions et maux qui embrument l’esprit ; la vie heureuse, qui consiste à avoir conscience de ce qui permet de vivre sans souci, la restriction des besoins par exemple, l’indifférence aux choses indifférentes.

Cette mise en œuvre se fait sous forme d’exercices spirituels. Ces exercices sont, discours intérieurs ou extérieurs. Ils prennent la forme de méditation, d’attention à la diététique, de la considération du corps, de l’examen de conscience ; ils prennent aussi la forme de certaines lectures, certaines façons d’écrire ou encore du dialogue, qu’il soit échangé avec quelqu’un ou avec soi-même. Ils ne peuvent prendre réalité qu’avec θεωρία theoria (spéculation) et πρᾶξις praxis (action).

Ce choix d’être libre est plus qu’un simple engagement permettant d’accéder à un mieux-être, c’est une véritable conversion. Le passage d’un état à un autre. C’est par cette véritable transformation de nous même que nous devenons pleinement libres.

Le terme de méditation provient du grec meletê et correspond en latin à meditatio, ce qui désigne les exercices préparatoires. La meletê, c’est en effet l’exercice, l’entraînement de la pensée ; le terme se détache de l’acception actuelle de méditation, grandement issue du bouddhisme, qui est la pratique cherchant à penser avec intensité quelque chose sans en approfondir le sens. La meletê c’est l’exercice d’appropriation d’une pensée, c’est s’en persuader si profondément qu’on la croit vraie et qu’on peut sans cesse la redire aussitôt que nécessaire. S’exercer à la meletê c’est donc s’exercer à la chose à laquelle on pense, la mort par exemple. Comme le souligne Foucault, il s’agit avec meletê non pas d’un jeu du sujet avec sa pensée, mais d’un jeu de la pensée sur le sujet, à l’instar de ce que fait Descartes dans ces Méditations philosophiques. Contrairement aux méditations religieuses, la méditation philosophique se fait en continu, c’est un principe permanent.

Quæ autem dementia est, potius trahi quam sequi !

Dans la mythologie grecque,Μελέτη,  Mélété était l'une des trois Muses d'origine, filles de Mnémosyne, même si elles furent plus tard neuf. Ses sœurs étaient Aédé et Mnémé. Elle était la Muse de la Méditation et de l’Exercice.

Mélété signifie littéralement « entraînement » et « exercice ».

μεδέω, medéō (« prendre soin de ») et μέδω, médō (« prendre soin de, protéger »)

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