« Tout de toi m’est plaisir morbide ou pétulant ». Charles Baudelaire
A en croire Socrate, le plaisir et la douleur seraient incontestablement les deux pôles d’un même phénomène. Le philosophe a illustré sa thèse par l’anecdote suivante. Son mollet étant irrité par une chaîne dans sa cellule, Socrate a pris un vif plaisir à se le gratter jusqu’à ce que naisse la douleur de la peau mise à vif…L’idée typiquement grecque défendue par Socrate à travers cette expérience vécue c’est que le bien réside dans le juste milieu et que la recherche hédoniste du plaisir ouvre toujours la voie à la douleur. Socrate a d’ailleurs anticipé la critique possible contre sa thèse. Il est vrai qu’il existe des plaisirs qui même poussés à leur paroxysme ne se transforment pas pour autant en douleur. Tel est le cas du plaisir sexuel « normal », l’orgasme étant suivi d’une fatigue physique qui n’a rien à voir avec la douleur. Cependant, Socrate nous rappelle judicieusement que le plaisir sexuel suscite fatalement la douleur du manque, même si cette douleur ne suit pas immédiatement l’acte sexuel…Quant aux plaisirs plus spirituels comme la contemplation d’une belle équation, ils finissent toujours par susciter à un moment la douleur de l’ennui…
En bon lecteur de Platon, Freud n’a fait que confirmer la thèse socratique en la développant plus particulièrement sur le plan sexuel. Le père de la psychanalyse n’a d’ailleurs pas hésité à mettre le doigt sur le caractère fondamentalement tragique de la sexualité, reprenant à son compte la thèse schopenhauerienne de « la malédiction d’Eros ». En effet, pour Freud comme pour Socrate et Schopenhauer, le désir sexuel est un véritable tonneau des Danaïdes qui se vide aussitôt rempli, ce qui implique qu’il ne peut jamais être satisfait. Du reste, du point de vue freudien le lien entre le plaisir et la douleur dans l’amour sexuel n’est pas seulement physiologique mais il est aussi psychologique et même moral. A propos du désir sexuel Freud nous expose l’équation impossible suivante. Le désir sexuel est si puissant et si insatiable qu’aucun homme ne peut se contenter d’une seule femme, d’où l’alternative douloureuse entre la frustration de la fidélité ou la culpabilité de l’infidélité. On oublie trop souvent que malgré son athéisme affiché, Freud reste proche de la morale judéo-chrétienne en mettant l’accent sur les effets destructeurs de la culpabilité, cette dernière venant infailliblement gâcher les plaisirs interdits. Cependant, contrairement au christianisme qui fait de cette culpabilité une conséquence du péché, Freud la relie à la pulsion de mort. Or, pour lui, c’est aussi cette pulsion de mort qui est au cœur de la perversion sexuelle sadomasochiste, tout se passant comme si le plaisir sadique de faire souffrir son partenaire amoureux devait être compensé en même temps par la tendance masochiste à aimer qu’il nous fasse également souffrir…
C’est précisément contre la conception freudienne du sadomasochisme que s’est insurgé Gilles Deleuze dans sa préface au célèbre roman de Sacher-Masoch, La Vénus à la fourrure. Le philosophe français s’est rangé du côté de l’écrivain austro-ukrainien qui sépare radicalement la tendance sadique de la tendance masochiste. Dans son roman, Séverin, auquel Sacher-Masoch s’identifie incarne l’homme masochiste et Wanda, la femme à laquelle il se soumet, le sadisme. Or, une telle séparation du sadisme et du masochisme revient implicitement à nier l’identité commune du plaisir et de la douleur. Sacher-Masoch a bien compris que ce que Freud appellera le masochisme n’est pas le plaisir d’avoir mal mais la réjouissance d’endurer la souffrance en vue du paradis futur qu’elle promet, ce qui est tout à fait autre chose. Sans la promesse de mariage avec Wanda, Séverin n’aurait jamais accepté d’endurer toutes les douleurs et les humiliations auxquelles l’ont livré son contrat avec sa belle tortionnaire. Pour la petite histoire, on peut rappeler que Sacher-Masoch a fait un procès contre Freud pour sa création du terme de masochisme et que la justice n’a pas poursuivi le psychanalyste autrichien…
Jean-Luc Berlet (café-philo du 5 septembre 2016)
Καὶ ἐκείνην μὲν ἀπῆγόν τινες τῶν τοῦ Κρίτωνος βοῶσάν [60b] τε καὶ κοπτομένην· ὁ δὲ Σωκράτης ἀνακαθιζόμενος εἰς τὴν κλίνην συνέκαμψέ τε τὸ σκέλος καὶ ἐξέτριψε τῇ χειρί, καὶ τρίβων ἅμα, « Ὡς ἄτοπον, ἔφη, ὦ ἄνδρες, ἔοικέ τι εἶναι τοῦτο ὃ καλοῦσιν οἱ ἄνθρωποι ἡδύ· ὡς θαυμασίως πέφυκε πρὸς τὸ δοκοῦν ἐναντίον εἶναι, τὸ λυπηρόν, τὸ ἅμα μὲν αὐτὼ μὴ ᾽θέλειν παραγίγνεσθαι τῷ ἀνθρώπῳ, ἐὰν δέ τις διώκῃ τὸ ἕτερον καὶ λαμβάνῃ, σχεδόν τι ἀναγκάζεσθαι ἀεὶ λαμβάνειν καὶ τὸ ἕτερον, ὥσπερ ἐκ μιᾶς κορυφῆς ἡμμένω [60c] δύ᾽ ὄντε. Καί μοι δοκεῖ, ἔφη, εἰ ἐνενόησεν αὐτὰ Αἴσωπος, μῦθον ἂν συνθεῖναι ὡς ὁ θεὸς βουλόμενος αὐτὰ διαλλάξαι πολεμοῦντα, ἐπειδὴ οὐκ ἐδύνατο, συνῆψεν εἰς ταὐτὸν αὐτοῖς τὰς κορυφάς, καὶ διὰ ταῦτα ᾧ ἂν τὸ ἕτερον παραγένηται ἐπακολουθεῖ ὕστερον καὶ τὸ ἕτερον. Ὥσπερ οὖν καὶ αὐτῷ μοι ἔοικεν· ἐπειδὴ ὑπὸ τοῦ δεσμοῦ ἦν ἐν τῷ σκέλει τὸ ἀλγεινόν, ἥκειν δὴ φαίνεται ἐπακολουθοῦν τὸ ἡδύ. »
Quant à Socrate, il se mit sur son séant dans son lit, puis, repliant sa jambe, il se la frotta avec sa main et, tout en frottant, nous dit : « Quelle chose étrange, mes amis, paraît être ce qu’on appelle le plaisir ! et quel singulier rapport il a naturellement avec ce qui passe pour être son contraire, la douleur ! Ils refusent de se rencontrer ensemble chez l’homme ; mais qu’on poursuive l’un et qu’on l’attrape, on est presque toujours contraint d’attraper l’autre aussi, comme si, en dépit de leur dualité, ils étaient attachés à une seule tête. Je crois, poursuivit-il, que si Ésope avait remarqué cela, il en aurait composé une fable, où il aurait dit que Dieu, voulant réconcilier ces deux ennemis et, n’y pouvant réussir, leur attacha la tête au même point, et que c’est la raison pour laquelle, là où l’un se présente, l’autre y vient à sa suite. C’est, je crois, ce qui m’arrive à moi aussi, puisqu’après la douleur que la chaîne me causait à la jambe, je sens venir le plaisir qui la suit. »
Depuis toujours, on tend a associer de manière assez naturelle, et pour les opposer, douleur et plaisir, recherche du plaisir et évitement de la douleur, même si l’interrogation sur la nature exacte des deux phénomènes et sur leur place respective dans le champ éthique n’a jamais cessé : est-ce la même chose d’être dans un état de plaisir ou de douleur et d’en éprouver ? Faut-il distinguer les niveaux physique et mental de la douleur et du plaisir, associer une valeur nécessairement négative à la première, positive au second ; y a-t-il de « mauvais » plaisirs ? Peut-on prendre du plaisir à la douleur, éprouver à la fois du plaisir et de la douleur ? Qu’en est-il des sentiments mêlés ? Tout plaisir est-il nécessairement plaisant, agréable ? Peut-on voir dans les états de plaisir et de douleur une intentionnalité, une conscience ou bien plutôt un anéantissement de celles-ci ? A-t-on affaire à des sensations, à des dispositions, à de purs sentir, à des perceptions déjà assez élaborées ?
Friedrich Nietzsche écrit :
« Si la souffrance, si même la douleur a un sens, il faut bien qu’elle fasse plaisir à quelqu’un. Dans cette voie, il n’y a que trois hypothèses possibles. L’hypothèse normale, morale ou sublime ; nos douleurs font plaisir aux dieux qui nous contemplent et nous surveillent. Et deux hypothèses perverses : la douleur fait plaisir à celui qui l’inflige, ou à celui qui la subit. Il est évident que la réponse normale est la plus fantastique et la plus psychotique des trois… »
D’après Ernest Renan : comment penser que Dieu donne l’autorisation à Satan de faire du mal à un homme bon ? Et, lui permet d’agir sur la terre en lui donnant le pouvoir d’agir sur les hommes ? Comment un homme, qui va subir les pires épreuves, les pires châtiments pour des fautes jamais commises ? Comment Job non seulement ne va pas renier Dieu. Mais va adorer Dieu plus encore et adorer la haine de Dieu. Adorer le mal, la souffrance que lui inflige Dieu. Comment va-t-il jouir du mal surnaturel ? Tout cela traduit à quel point le Livre de Job est ambigu, équivoque. Et mets en relief le désir de cruauté. Et l’on ne peut pas aller plus haut dans l’explication de la cruauté de la souffrance Comment Job va adorer Dieu ? Et comment en ayant terriblement mal. Job est en extase, en transe, en état de transcendance.
Pour Paul-Laurent Assoun : « Il jouit de lui-même comme un divin déchet ». « Les flèches du tout puissant m’ont transpercé. Les terreurs de Dieu sont rangées contre moi. (...) Je crie vers toi et tu ne me réponds pas, je me tiens là, et tu me regardes fixement. » Pour Paul-Laurent Assoun, Job est « inconsolable », mais « intarissable », « irréfutable ». Il se campe irrécusable sur sa misère. Puis il s’accuse, Dieu parle : « Où étais-tu lorsque je fondais la terre ? »
Griselda ou Grisélidis est une héroïne d’une légende de Boccace. On donne son existence au XIe siècle. Ce conte a été adapté par Pétrarque Griseldis, ainsi que par Geoffrey Chaucer, Le Conte de l’Universitaire d’Oxford dans Les Contes de Cantorbéry, et a également inspiré Charles Perrault pour La Marquise de Salusses.
Le marquis épouse Grisaillais, dans La Marquise de Salusses ou la Patience de Griselidis, une nouvelle parue la première fois le 22 septembre 1691.
Une simple bergère qui vit dans la forêt. Et, dit-il, « il faudrait me jurer que vous n’aurez jamais d’autre volonté que la mienne ». Le Marquis refuse de laisser sortir sa femme, personne ne l’approche. D’ailleurs elle ne demande rien, sinon rester devant ses fourneaux, servir et obéir à son époux. Il la trouve trop belle, trop attirante. Il lui impose sans cesse des épreuves, la dépouille de ses bijoux, lui enlève sa fille, lui dit qu’elle est morte. « Il me choisit comme un enfant qu’il aime / Et s’applique à me corriger. / Aimons donc sa rigueur utilement cruelle, / On n’est heureux qu’autant qu’on a souffert. » Quand leur fille a quinze ans, il renvoie sa femme dans la forêt en lui disant qu’il va épouser cette jeune fille. Vaincu par l’amour absolu de Grisélidis qui accepte tout, il renonce à l’inceste, à la chasse cruelle et à sa défiance envers les femmes. Selon notre société patriarcale, ce conte peut être interprété comme moral. Griselidis supporte toutes les souffrances et humiliations pour gagner le paradis. Aujourd’hui, Griselidis témoigne du masochisme moral.
Selon Raphaël Ledos de Beaufort Sacher-Masoch est loin d’être l’initiateur de la théorie dont il s’est fait le défenseur. « Et qui proclame que rien n’est si enviable que d’être frappé par l’être aimé : cette théorie de la jouissance dans la douleur a de tout temps existé, de tout temps a eu des adeptes et des défenseurs. » « L’histoire ancienne et les mythologies abondent en exemples semblables : Bacchus et les Ménades, Hercule et Omphale, Circé et les compagnons d’Ulysse, Attis et Cybèle, les sacrifices à Moloch et à Baal,Thomyris la reine des Massagètes, Sémiramis fouettant les princes captifs devenus ses amants.
Douleur et plaisir deux pôles d’un même phénomène.
Phénomène; (XVIe siècle) Du latin phaenomenon, emprunté au grec φαινόμενον, phainomenon « apparence ».
De φαίνεσθαι, phaínesthai (« se montrer »), de formation moyenne φαίνω, phaínô « mettre au jour », « mettre à la lumière », qui dérive du radical *φα — qui a donné φῶς, phỗs (« lumière »).
Un phénomène est l’élément matériel d’un fait empirique, d’une expérience observable, d’un événement remarquable qui peut être l’objet d’expérience.
Un phénomène est une chose, un fait du monde physique (objet, action…) ou psychique (émotion, pensée…) qui se manifeste elle-même. En principe, un phénomène est perceptible à un être sentient.
On contraste parfois, le phénomène tel qu’il se présente à notre esprit à ce qu’est en soi une chose réellement existante supposée. Je vois là un arbre, un phénomène, mais qu’est-ce qui est réellement ? Nous n’en savons rien, que ce soit intuitivement, scientifiquement ou métaphysiquement.
Au phénomène s’oppose, un objet qui semble exister, mais n’est pas perceptible par les sens, bien que compréhensibles par l’intellect, le noumène.
Dans la perspective de Husserl, le noumène n’est effleurable qu’aux confins de l’intelligence, lorsque l’agitation des mots et des concepts cesse, lorsque l’intelligence à l’état pur n’est qu’intuition silencieuse, ou lorsque les mots ne sont plus des mots et alors toute tentative d’accéder au monde nouménal relève de l’art.
S’il y a phénomène, ce phénomène se nommerait algolagnie (du grec άλγος, « douleur », et λαγνεία, « volupté »). Algolanie est un terme forgé par le psychiatre Albert von Schrenck-Notzing en 1892, repris par Kathryn Kelley, douleur impliquant la plupart du temps une zone érogène.
En 1892, Albert von Schrenck-Notzing intronise le terme d’« algolagnie » pour décrire un masochisme « sexuel » et ainsi le différencier du terme que Charles Féré avait donné à l’« algophilie » ; selon Schrenck-Notzing, l’algolagnie impliquait le « plaisir » et non l’« amour », contrairement aux propos de Féré.
Albert Eulenburg était l’un des premiers neurologues à s’intéresser à l’algolagnie, dans le Sadismus und Masochismus (Sadisme et Masochisme) de 1902. Par la suite, Havelock Ellis se penche également sur l’algolagnie, au plus tôt des années 1900, et définit l’algolagnie comme impliquant les deux manifestations - sadisme et masochisme, mais il maintient que l’amour de la douleur était restreint en un contexte érotique, en contraste aux interprétations de Krafft-Ebing.
On peut opposer à l’algolanie, L’analgognosie ou l’apractognosie algique soit l’asymbolie à la douleur. C‘est un trouble neurologique qui se caractérise par le fait que les patients qui en sont atteints ne ressentent plus la douleur comme pénible. Plus exactement, ils ne ressentent plus la composante affective, normalement désagréable, de la douleur, mais ils continuent de percevoir les autres aspects, notamment sensoriels des stimuli nociceptifs.
Lorsque l’on parle du couple douleur plaisir, on a des problèmes définitionnels énormes. Une foule de termes vient à l’esprit. Relatif au plaisir ; agrément, aise, amour, amusement, bénédiction, bien-être, bienfait, bonheur, caprice, charme, complaisance, concupiscence, consolation, contentement, délectation, délice, distraction, divertissement, ébats, ébaudissement, effet, émotion, épicurisme, euphorie, fantaisie, faveur, félicité, friandise, gaieté, grâce, gré, hédonisme, jeu, joie, jouissance, lasciveté, libido, loisir, lubricité, luxure, oublie, paillardise, passe-temps,, plaisance, récréation, régal, réjouissance, satisfaction, sens, volupté. Il en est de même pour la douleur ; affliction, affres, amertume, angoisse, blessure, bobo, brisement, brûlure, calvaire, chagrin, componction, consternation, contraction, contrition, crève-cœur, déchirement, déplaisir, désespoir, désolation, détresse, deuil, élancement, émotion, endolorissement, enfer, ennui, épine, épreuve, géhenne, gémissement, larme, mal, malheur, martyre, misère, navrement, peine, plaie, point, repentir, souffrance, supplice, torture, tourment, tribulation, tristesse.
La première question autour, du couple plaisir, douleur est d’ordre générique. Est-ce qu’il y a quelque chose de commun entre tous ces états de plaisir et de douleur ? Y aurait-il une propriété commune ? Est-ce que plaisir et douleur relèvent d’une catégorie particulière ?
On sait depuis Platon comment invoquer la diversité des plaisirs, le fait que les plaisirs comme les douleurs ont des intensités variables. Pourtant il y a toujours quelque chose qui résiste. À quelle note peut-on placer un degré de douleur ? Il y aurait un certain nombre de propriétés qui s’attachent à ce type d’état, qui sont d’un genre particulier. Cela peut-il s’appliquer tant à la douleur qu’au plaisir ?
Autre question. Qu’est-ce qu’un état de plaisir ? Un état sensoriel, un état cognitif, idem pour la douleur. Ces états peuvent-ils être dissociés ? Y a-t-il une primauté du cognitif dans la douleur, affectif pour le plaisir ? Où serait-ce un primat du sensoriel ?
On arrive à se dire pour ne pas répondre, c’est un couple facile. Le plaisir, c’est éviter la douleur. La douleur, c’est la recherche du plaisir, l’absence de plaisir est douloureuse. Il n’y a pas de douleur sans désir de la fin de la douleur. Il y aurait un continuum de la douleur et du plaisir qui permettait de régler les difficultés. L’idéal serait d’être dans un état intermédiaire entre un état intensément douloureux et intensément plaisant. Une difficulté philosophique se présente, cet état intermédiaire, à quoi correspond-il ? Un état d’indolence ? Qu’est-ce que signifie un état sans douleur, sans plaisir ? Un état neutre, mais si le plaisir est l’absence de douleur, si la douleur est l’absence de plaisir, rien ne tient, à moins que cette définition ne soit erronée.
Ne sommes nous pas condamnés a être dans l’un ou l’autre état. Sommes-nous condamnés à souffrir ou à éprouver du plaisir et si nous le sommes que faut-il choisir ? Vivre serait ainsi le phénomène liant les pôles douleur, plaisir.
Autre question. Pourquoi serait-ce le plaisir que l’on doit rechercher ? Comment se fait-il que l’hédonisme va de soi, pourquoi pas le dolorisme ? Y a-t-il une hiérarchie des états qui fait que nécessairement le plaisir est un bien, la douleur un mal ? La philosophie pose la question, y at-il une nécessité de la douleur au mal, et une relation du plaisir au bien. Si oui quel type de nécessité ? Le bien est-il une propriété essentielle du plaisir et le mal une propriété essentielle de la douleur ?
Le plaisir, la douleur sont deux états simples, deux affections qui caractérisent le sentir de l’homme. L’homme est un pur sentir nous dit Aristippe, il pose deux affections, la souffrance, le plaisir. Tous deux sont des mouvements et des opposés. Le plaisir est un mouvement lisse, la souffrance un mouvement rugueux. Il définit l’homme comme un pur sentir on ne peut pas aller au-delà. On le définit ainsi expérienciellement, en fonction de ces deux affects. Si Aristippe a raison et il facile de dire qu’il a raison, car il est complexe d’aller au-delà de l’expérience de la douleur ou du plaisir. La conséquence est simple fait remarquer Platon, si l’homme est un pur sentir il risque de vivre la vie d’un poulpe puisqu’il est incapable d’aller au-delà de ses affects.
Car commencer à parler, c’est aller au-delà de ce que l’expérience nous en dit. Arisitippe dit que le plaisir ne peut pas être durable, ne peut pas être catastématique, s’opposant en cela à Épicure, pour qui les plaisirs sont cinétiques. Tout plaisir est ce qu’il est dans le moment où il est. Le bonheur est un ensemble de plaisirs particuliers dans lequel il faut compter les plaisirs passés et les plaisirs à venir, ce que rapporte Diogène Laréce. Donc à quoi bon les discutions philosophiques. Le plaisir est le seul bien. Ainsi les discutions antiques entre l’hédonisme et le démonisme sont vaines.
J’éprouve du plaisir et supposons qu’il n’y ait là ni mensonge ni erreur, alors, qu’est ce que cela signifie ? Cela me plaît ne veut rien dire d’autre que j’éprouve du plaisir, quelque soit le plaisir. Dès lors que vous en avez fait l’expérience, vous savez ce que vous éprouvez. Faire l’expérience, c’est savoir ce que l’on éprouve, c’est indéfinissable.
Locke dans son traiter sur l’entendement humain 2 — 21 § 61 § 62
Idée plus particulière des faux Jugemens des Hommes.
§. 61. Mais pour rendre plus particulierement raiſon de la Miſére où les Hommes ſe précipitent ſouvent d’eux-mêmes, quoi qu’ils recherchent tous le Bonheur avec une entiére ſincerité, il faut conſiderer comme les choſes viennent à être repréſentées à nos Deſirs ſous des apparences trompeuſes, ce qui vient du faux Jugement que nous portons de ces choſes. Et pour voir juſqu’où cela s’étend, & quelles ſont les cauſes de ces faux Jugemens, il faut ſe reſſouvenir que les choſes ſont jugées bonnes ou mauvaiſes en deux ſens.
Prémiérement, ce qui eſt proprement bon ou mauvais, n’eſt autre choſe que le Plaiſir ou la Douleur : & en ſecond lieu, comme ce qui eſt le propre objet de nos deſirs, & qui eſt capable de toucher une Créature doûée de prévoyance, n’eſt pas ſeulement la ſatisfaction & la douleur préſente, mais encore ce qui par ſon efficace ou par ſes ſuites eſt propre à produire ces ſentimens en nous, à une certaine diſtance de temps, on conſidére auſſi comme bonnes & mauvaiſes les choſes qui ſont ſuivies de Plaiſir & de Douleur.
§. 62. Le faux Jugement qui nous ſeduit, & qui détermine ſouvent la Volonté au plus méchant parti, conſiſte à faire une mauvaiſe évaluation ſur les diverſes comparaiſons du Bien & du Mal conſiderez dans les choſes capables de nous cauſer du plaiſir & de la douleur. Le faux Jugement dont je parle en cet endroit, n’eſt pas ce qu’un homme peut penſer de la détermination d’un autre homme, mais ce que chacun doit confeſſer en ſoi-même être déraiſonnable. Car après avoir poſé pour fondement indubitable, Que tout Etre Intelligent cherche réellement le Bonheur, qui conſiſte dans la jouïſſance du Plaiſir ſans aucun mélange conſiderable d’inquiétude, il eſt impoſſible que perſonne pût rendre volontairement ſa condition malheureuſe, ou négliger une qui ſeroit en ſon pouvoir & contribueroit à ſa propre ſatisfaction & à l’accompliſſement de ſon bonheur, s’il n’y étoit porté par un faux Jugement. Je ne prétens point parler ici de ces ſortes de mépriſes qui font ſuites d’une erreur invincible, & qui méritent à peine le nom de faux Jugement : je ne parle que de ce faux Jugement qui eſt tel par la propre confeſſion que chaque Homme en doit faire en lui-même.
Ainsi d’Aristippe à Locke le plaisir et la douleur sont un concept expérientiel. C’est la caractéristique même du phénomène. Ainsi toute discussion est close.
Alors, quittons le domaine de l’expérience. Que peut dire la science, en particulier la neurophysiologie ? Elle en dit plus sur la douleur que sur le plaisir.
La douleur est psychologique et subjective. Dans la douleur il y a deux pôles. La douleur somatique. Elle s’observe à la suite d’un processus, ou d’une lésion organique, c’est-à-dire d’une véritable atteinte (blessure, trauma, etc.) du corps) et la douleur psychogène (désigne une douleur qui serait uniquement ou principalement causée par des facteurs psychologiques, émotionnels et comportementaux.) L’intérêt est le lien entre ces deux pôles. La douleur est-elle une sensation, une perception ou une émotion ?
Qu’en est-il de l’expérience de la douleur, du plaisir ?
Le plaisir n’est pas une sensation, il est une réaction à une sensation. On ne peut pas rendre compte de l’expérience du plaisir comme on rend compte de l’expérience de la douleur. On ne peut associer plaisir et douleur comme si de rien n’était. Il n’y a aucun rapport entre le plaisir et la douleur on a pas à faire aux mêmes phénomènes.