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L'Orateur, 1960.  Vladimir Veličković

L'Orateur, 1960. Vladimir Veličković

« Arrogance de la parole claire qui vient de la confiance dans le savoir; de là, sa violence propre, celle de l’excès de savoir, ce trop de savoir qui, parce qu’il a atteint d’un seul coup la forme plénière de l’universalité (l’homme comme universel), lui fait oublier la réserve qu’il porte en soi et dont il s’exclut lui-même par oubli, cette part qu’il ne saurait reconnaître comme vraie, puisque son statut est, aussi bien, le non vrai, la rupture désœuvrée, l’infidélité radicale sous le double retrait du divin et de l’humain : soit la non-présence même. (…) La parole fuit plus vite, plus essentiellement que la fuite. Elle détient, dans le mouvement de dérober, l’essence de la fuite; c’est pourquoi elle la parle, elle la prononce. Quand, dans la fuite, quelqu’un se met à parler, c’est comme si le mouvement de dérober, tout à coup, prenait la parole ».

 

Blanchot, L’Entretien infini, Gallimard, 1942, pp.23, 31.

Hitler à Nuremberg, septembre 1938.

Hitler à Nuremberg, septembre 1938.

« La parole est guerre et folie au regard. (…) La parole ne se présente plus comme une parole, mais comme une vue affranchie des limitations de la vue. Non pas une manière de dire, mais une manière transcendante de voir. »

 

Blanchot, L’Entretien infini, op.cit., p.40.

La parole dans les langues. 1°partie

 

Langue, langage, parole.

λόγος (logos), γλῶσσα (glossa), ἰδίωμα  (idioma).

eloquium, lingua loquela, locutio, sermo, oratio.

 

Μνημοσύνη (Mnêmosúnê)mnémosyne, fille de Ouranos et Gaïa, Elle aurait inventé les mots et le langage. Elle a donné un nom à chaque chose, ce qui rendit possible le fait de s’exprimer.

 

Καλλιόπη / Kalliópê,  Calliope « qui a une belle voix », le « bien-dire », éloquence, poésie épique.

 

Κλειώ / Kleiố, Clio « qui est célèbre », épopée, histoire.

 

Ἐρατώ / Eratố Erato «l’aimable »

 

Μελπομένη / Melpoménê, « la chanteuse », chant, tragédie (ou toute poésie grave et sérieuse)

 

Le couple terminologique langue, parole, à reçu droit de cité par l’autorité que lui a conférée Ferdinand de Saussure. On lit en effet dès les premières pages du cours de linguistique générale :

En séparant la langue de la parole, on sépare du même coup : 1 ° ce qui est social de ce qui est individuel; 2 ° ce qui est essentiel de ce qui est accessoire, plus ou moins accidentel.

La langue n’est pas une fonction du sujet parlant, elle est le produit que l’individu enregistre passivement… La parole est au contraire un acte individuel de volonté et d’intelligence dans lequel il convient de distinguer : 1 ° les combinaisons par lesquelles le sujet parlant utilise le code de la langue en vue d’exprimer sa pensée personnelle; 2 ° le mécanisme psychophysique qui lui permet d’extérioriser ces combinaisons.

Cours de linguistique générale Introduction 3 à 30-31.

 

Pourtant un peu plus loin dans le texte on peut lire :

Aucun mot ne correspond exactement à l’une des notions en cause : c’est pourquoi toute définition faite à propos d’un mot est veine; c’est une mauvaise méthode que de partir des mots pour définir les choses. 

Ibid;p31.

 

En grec ancien, λόγος vaut pour tout : langage, langue, parole et plus généralement discours, mais aussi faculté de penser et de parler. Pour tout sauf pour langue comme organe qui se dit γλῶσσα, dans le traité biologique d’Aristote. Mais γλῶσσα peut prendre un sens étendu; organe commun aux hommes et aux animaux, l’Iliade (I, 249) Odyssée (I 332), la langue comme organe de la parole dans les travaux et les jours (707) d’Hésiode, la parole comme opposition aux actes en 813 de l’Agamemnon d’Eschyle. 

Le terme désigne la langue que l’on parle quand d’est du grec, en revanche lorsqu’il s’agit d’une langue étrangère ou barbare on parle ἰδίωμα (Iliade II 804), parler un langage ce dit γλασσαν νομίζειν.

γλῶσσα, langue organe est lié à la différence des langues et à la diversité humaine. On réserverait λόγος pour langage, et γλῶσσα pour langue. Au sens saussurien d’acte individuel est sans équivalent, n’oublions pas que λόγος est discursivité, acte, performance, désigne l’acte de parole, en tant qu’acte définitionnel, ontologique de l’humain universellement singulier.

 

« Fiebat autem res non materno sermone, sed literis » Cette phrase de Guilbert de Nogent montre la complexité sémantique du latin. Le terme de langue se trouve regroupé autour d’une dizaine de vocables, elocution, eloquium, famen, idioma, lingua, sermo, verbum, vox

 

Ces termes ont en commun l’acception de langue d’un groupe d’idiome; les quatre mots privilégier sont Lingua, sermo, eloquium, idoma. Idioma est employé lorsque l’on parle de la difficulté de traduire. Lingua peut également signifier la communauté formée par ceux qui parlent une même langue.

Sermo, locutio, loquela, le sens de langage, c’est-à-dire la capacité humaine à utiliser des signes vocaux se retrouve dans sermo qui traduit alors λόγος

 

[47c] ἐκείναις οὔσας, ἀταράκτοις τεταραγμένας, ἐκμαθόντες δὲ καὶ λογισμῶν κατὰ φύσιν ὀρθότητος μετασχόντες, μιμούμενοι τὰς τοῦ θεοῦ πάντως ἀπλανεῖς οὔσας, τὰς ἐν ἡμῖν πεπλανημένας καταστησαίμεθα. Φωνῆς τε δὴ καὶ ἀκοῆς πέρι πάλιν αὐτὸς λόγος, ἐπὶ ταὐτὰ τῶν αὐτῶν ἕνεκα παρὰ θεῶν δεδωρῆσθαι. Λόγος τε γὰρ ἐπ᾽ αὐτὰ ταῦτα τέτακται, τὴν μεγίστην συμβαλλόμενος εἰς αὐτὰ μοῖραν, ὅσον τ᾽ αὖ μουσικῆς.

 

Propter hoc enim nobis datus est sermo ut praesto nobis fiant mutuae voluntatis indicia. 

Traduction latine dans les commentaires du Timée par Chalcidius.

Ce sont ces trois termes qui servent à désigner la capacité humaine de phonation distincte du langage. Lingua, avec son double sens d’organe physique et l’articulation et de système de signes vocaux, ne peut-être employé dans ce contexte sans risque d’amphibologie.

Sermo, eloquium, lingua ont pour sens la façon de parler, le style l’expression et le langage. Le style, l’expression, la langue d’un auteur sont exprimés par des expressions telles que sermo clarus, sermo nitidus, eloquium fluens. Sermo et locutio désignent aussi les modes d’expression versifiés et prosaïques.

 

Á suivre la parole dans les langues sémitiques.

Parole et psychanalyse.

 

 

Jacques Lacan a permis d’actualiser la pensée freudienne, c’est pour cela que Freud est très présent en France. Dans les liens que l’on peut établir entre psychanalyse et judaïsme, Jacques Lacan a dit quelque chose de fondamental, dans son séminaire sur l’éthique. Il dis : les dix commandements sont interprétable comme destinée à tenir le sujet à distance de toute réalisation de l’inceste à une condition à une seule c’est que nous nous apercevons l’interdiction de l’inceste n’est pas autre chose que la condition pour que subsiste la parole. Quand on sait que les dix commandements se traduisent en grec par les 10 paroles, on se rend compte que cette loi dictée par Dieu à Moïse est fondatrice de civilisation. Le complexe d’Œdipe avec ce qui le structure, c’est-à-dire l’inceste, cette chose-là est une abomination de la civilisation. D’emblée, il y a une rupture de la psychanalyse avec la barbarie, souvenons-nous que la fin du XIXe siècle jusqu’à la moitié du XXe ont été l’époque de la barbarie. Il y a des liens entre la psychanalyse et l’assomption de cette barbarie par un retour à la civilisation. Lacan a dit le juif est celui qui sait lire et en même temps qu’il a dit pour les juifs dieu est quelqu’un avec qui l’on parle. Cette question de la parole aujourd’hui est encore indispensable, car c’est elle qui nous fait comme sujet parlant, et c’est elle qui nous fait comme sujet civilisé. 

D’où vient la psychanalyse? Freud a été un élève du psychiatre français Charcot, il a passé quelques mois à Paris entre 1885 et 1886, a ce moment le travail de Charcot commençant à comprendre que l’hystérie n’est pas un fléau, une maladie qui devait vous enfermer définitivement, qu’il y avait quelque chose qui pouvait d’humain qui pouvait germer rappeler par Lacan, le retour à la parole. C’est cela qui est important, la psychanalyse considère que l’individu peut être à la fois aliéné et libéré par la parole. Il y a des paroles qui aliènent, on l’a vu avec les totalitarismes qui impose des identités compactes, il y a des paroles qui libèrent, la parole qui se constitue de l’écoute de l’autre. 

 

 

La parole dans les langues. 2°partie

 

les langues sémitiques.

1266 fois le mot parole est écrit dans la bible de louis second, mais ce nombre n’est pas le même selon les traducteurs, en effet dans la bible du rabbinat traduite par Zadok Kahn le mot apparait 825 fois, alors que dans le texte de port royal dans la version liturgique on compte 707 occurrences du mot parole et pour finir 1532 pour la traduction de Chouraqui. Bien sur la première occurence n’est jamais la même.

Prenons la traduction Louis Segond, le mot apparait pour la première fois en Gn 4, 8 

Cependant, Caïn adressa la parole à son frère Abel; mais, comme ils étaient dans les champs, Caïn se jeta sur son frère Abel, et le tua.

qui vient de l’original hébreux:

 וַיֹּאמֶר קַיִן אֶל־הֶבֶל אָחִיו וַיְהִי בִּהְיֹותָם בַּשָּׂדֶה וַיָּקָם קַיִן אֶל־הֶבֶל אָחִיו וַיַּהַרְגֵהוּ׃

Les septantes traduisent par:

καὶ εἶπεν1 Καιν πρὸς Αβελ τὸν ἀδελφὸν αὐτοῦ διέλθωμεν εἰς τὸ πεδίον καὶ ἐγένετο ἐν τῷ εἶναι αὐτοὺς ἐν τῷ πεδίῳ καὶ ἀνέστη Καιν ἐπὶ Αβελ τὸν ἀδελφὸν αὐτοῦ καὶ ἀπέκτεινεν αὐτόν

 

1-Lemme : λέγω

Analyse : verbe indicatif aoriste actif 3ème personne singulier 

Définition : dire

 

En hébreux les dérivé de אמֶר sont:

אוֹמָר, אָמִיר, אָמַר, אַמַר, אֵמֶר, אִמֵּר, אֱמֹרִי, אֲמַרְיָה, מַאֲמָר

Synonymes : אָמַר, אֵמֶר, נגשׁ 

les traductions grecques    ἐντέλλομαι : אָמַר, דִּבֵּר, נָצַר, עָצַר, פָּנָה, פָּקַד, צוּה

   ἀντέπω : אָמַר, דִּבֵּר, עָנָה, פָּצָה, צָפַף, שׁוּב

   ἀπειπόμην : אָמַר, חָדַל, מָאַס ++ 

 

Les équivalents grecs : ἐντέλλομαι, ἀντέπω, ἀπειπόμην, ἀποκρίνομαι, ἀναγγέλλω, βοάω, γινώσκω, διαγγέλλω, διατάσσω, διηγέομαι, δοκέω, ἐγκαλέω, ἐμφανίζω, ἐπαγγέλλω, ἐπακούω, ἐπιθυμέω, ἐπιτάσσω, ἐπιτρέπω, ἔριον, ἐρωτάω, θέλω, καυχάομαι, ὀμνύω, παραγγέλλω, παρακαλέω, πιστόω, προστάσσω, προφητεύω, συντάσσω, φάσκω, φημί, αἰτέω, καταδυναστεύω, ἀθετέω, αἱρέομαι, εὑρίσκω, καλέω, ἀπαγγέλλω, λαλέω, λέγω, βλασφημέω

 

Pour finir les synonymes hébreux, basés sur les équivalents grecs  

   ἐντέλλομαι : אָמַר, דִּבֵּר, נָצַר, עָצַר, פָּנָה, פָּקַד, צוּה

   ἀντέπω : אָמַר, דִּבֵּר, עָנָה, פָּצָה, צָפַף, שׁוּב

   ἀπειπόμην : אָמַר, חָדַל, מָאַס

   ἀποκρίνομαι : אָמַר, דּרשׁ, חָרָה, ידע, יָרָה, יֵשׁ, נבע, עָנָה, שָׁבַע, שׁוּב

   ἀναγγέλλω : אַחְוָה, אָמַר, בִּין, בּשׂר, דִּבֵּר, חָוַה, חָזָה, ידע, יָעַץ, יָצָא, יָרָה, מָלַל, נבע, נָגַד, סָפַר, קָרָא, רָאָה, שׁוּב, שָׁמַע

   βοάω : אָמַר, הָגַה, הָמָה, זָעַק, זַעַק, כָּנָה, נָהַם, נָהַק, נָשָׂא, פָּצַח, צָהַל, צָוַח, צָעַק, צָרַח, קָרָא, רוּעַ, רָעַם, שָׁאַג, שָׁבַע, שָׁעָה

   γινώσκω : אָמַר, בִּין, חָזָה, ידע, יָעַד, יָעַץ, כָּלָה, לָקַח, מָצָא, נָגַד, נָכַר, רָאָה, שָׁמַע, תָּכַן

   διαγγέλλω : אָמַר, סָפַר, עָבַר

   διατάσσω : אָמַר, בּרא, חָקַק, מָדַד, מָנַה, פָּתַר, שׂוּם, שָׁמַר

   διηγέομαι : אָמַר, דִּבֵּר, חוּד, כָּרָה, סָפַר, שִׂיחַ

   δοκέω : אָמַר, הָיָה, חָשַׁב, טוֹב, יָשַׁר, נָדַב, נָשָׂא, צְבָּא

   ἐγκαλέω : אָמַר, פּוּחַ, קָרָא

   ἐμφανίζω : אָמַר, ידע, לֹא, רָאָה

   ἐπαγγέλλω : אָמַר

   ἐπακούω : אָזַן, אָמַר, עָנָה, עָשָׂה, עָתַר, קָשַׁב, רָדַד, שָׁמַע

   ἐπιθυμέω : אָוַה, אָמַר, בָּחַר, חמד, חָפֵץ, חָשַׁק, כָּסַף, רָבָה, שָׁאַל, תָּעַב

   ἐπιτάσσω : אָמַר, בֶּשֶׂם, יָסַד, נָתַן, צוּה, קוּם, רְשַׁם

   ἐπιτρέπω : אָמַר, עָזַב, עָרַךְ

   ἔριον : אָמַר, צֶמֶר

   ἐρωτάω : אָמַר, חָקַר, שָׁאַל

   θέλω : אָמַר, בּוֹא, דָּמָה, הָלַךְ, חָדַל, חָפֵץ, יָסַד, מָאֵן, עָוָה, עָוָה, עָמַם, צְבָּא, רָאָה, רָצָה

   καυχάομαι : אָמַר, הָלַל, עלז, עָלַץ, פָּאַר, רָבָה, רָנַן, שָׁבַח

   ὀμνύω : אָמַר, שָׁבַע, תָּפַשׂ

   παραγγέλλω : אָמַר, זָעַק, יָעַץ, עָבַר, צָעַק, שָׁמַע

   παρακαλέω : אָמַץ, אָמַר, חָזַק, חָלַם, מָלַךְ, נָהַג, נָהַל, נוּף, נָחָה, נָחַם, סוּת, קָרָא, רָחַם, שָׁבַת, שָׁעַע

   πιστόω : אָמַר, עָמַד, עָמַם, קוּם

   προστάσσω : אָמַר, דִּבֵּר, יָצָא, מַאֲמָר, מָנַה, מִפְקָד, צוּה, שׂוּם

   προφητεύω : אָמַר, נָבָא

   συντάσσω : אָמַר, דִּבֵּר, חָבַר, טָרַף, יָעַד, יָצַר, פָּקַד, צוּה

   φάσκω : אָמַר

   φημί : אָמַר, נָאַם

   αἰτέω : אָמַר, בְּעָא, נָתַן, שָׁאַל

   καταδυναστεύω : אָמַר, בּקע, חָזַק, יְמִינִי, כָּבַשׁ, כְּתַר, נָשָׂא, עָבַד, עָרִיץ, עָשַׁק, רָצַץ, שָׁבַת

   ἀθετέω : אָמַר, בּגד, בּקשׁ, חָמַס, מוּר, מָעַל, מָצָא, מָרַד, נָאַץ, נוּא, סוּר, פָּשַׁע, שׁוּב, שָׁמַע, שְׁנַא, שָׁנָה, שָׁקַר

   αἱρέομαι : אָמַר, בָּחַר, חָפֵץ, חָשַׁק, נָטָה, סוּר

   εὑρίσκω : אֹבֵד, אָמַר, בּוֹא, בּקע, בּקשׁ, דָּרַךְ, יָתַר, מָלַט, מָצָא, נָשָׂא, נָשַׂג, פּוּק, רָאָה, שְׁכַח, שָׁמַר

   καλέω : אָמַר, בּוֹא, דִּבֵּר, הָיָה, זָכַר, זָעַק, לָקַח, עָלַל, קָרָא, רוּם, שֵׁם

   ἀπαγγέλλω : אָמַר, חַוָה, ידע, יָעַץ, נָגַד, סָפַר, פָּתַר, קָרָא, שׁוּב, שָׁלַח, שָׁמַע, שָׁפַט

   λαλέω : אָמַר, דִּבֵּר, חָשַׁב, מָלַל, נָבָא, נָגַד, סָפַר, פָּגַע, צוּה, קָרָא, רִיב

   λέγω : אָמַר, בָּתָה, דִּבֵּר, כָּזַב, מִצְוָה, מָשַׁל, נָאַם, נְאֻם, סָפַר

   βλασφημέω : אָמַר, גָּדַף, יכח, נָאַץ 

 

On voit ainsi que le champ sémantique de ce mot est vaste.

 

La signification première du mot grec λόγος est parole, conversation, discours. Témoin de l’importance de la parole dans la Bible, le mot logos est utilisé 575 fois dans le Nouveau Testament ! Une deuxième signification, qui vient de la philosophie grecque, est la raison, le raisonnement, l’intelligence.

 

λόγος Logos correspond au mot hébraïque דָּבָר DaBaR, « la parole », que l’on trouve environ 8 000 fois dans la Bible. La découverte de Yahvé par les fils d’Israël est celle d’un Dieu qui parle, qui communique avec les hommes. En Genèse 1,3 : “Et Dieu dit : « Que la lumière soit »”. Les prophètes, ne font qu’écouter ce Dieu qui parle. Esaïe 1,1 : “Écoutez, cieux ! Terre, prête l’oreille ! C’est le Seigneur qui parle”. Lorsque Calvin affirme que l’homme participe à la divinité, il s’appuie sur le fait que l’homme est aussi celui qui parle, qui raisonne. Le propre de Dieu, le propre de l’homme, créé à l’image de Dieu, c’est de pouvoir parler et  raisonner.

Mais דָּבָר DaBaR est une parole qui transforme, qui agit, qui intervient dans le monde. Dieu montre l’exemple puisqu’au commencement il crée l’ensemble du monde par sa parole. Cette parole de Dieu est donc, dès l’origine, créatrice. Elle est le mode d’intervention de Dieu dans l’histoire. C’est pourquoi le prophète Esaïe précise : “Ainsi se comporte ma parole. Du moment qu’elle sort de ma bouche, elle ne retourne pas vers moi sans résultat, sans avoir exécuté ce qui me plait.” (Esaïe 55,11).

Dans le Nouveau Testament, λόγος logos peut être la parole de Jésus, son enseignement, sa prédication. Et cette parole de Jésus est aussi efficace, elle devient action sur les hommes : « Dis seulement une parole et mon serviteur sera guéri » supplie le centurion devant Jésus dans l’évangile de Matthieu (8,8).

La parole est ce qui permet aux idées, à l’Esprit, au savoir, aux émotions, de traverser les espaces et les temps et de mettre tous les hommes en relation. En ce sens, elle a aussi une dimension divine.

 

Quelques siècles avant Jésus-Christ, la philosophie platonicienne s’est ajoutée à la tradition biblique pour faire du λόγος la pensée de Dieu qui façonne l’Univers et les hommes. Ce λόγος devint une sorte de prolongement de Dieu sur la terre, un intermédiaire entre le Dieu inaccessible et les hommes, la face de Dieu tournée vers le monde. Dans les derniers livres de la Bible hébraïque, le λόγος devient la Sagesse, la Sophia, image et figure de Dieu, qui imprègne les hommes et les aide à se rapprocher de lui.

Philon d’Alexandrie, penseur juif, contemporain de Jésus, était imprégné de culture grecque et a beaucoup développé cette idée du λόγος, sagesse de Dieu qui pénètre l’humanité sous forme d’Esprit, d’ange, ou même de personne divine qu’il appelle “fils de Dieu”. Il a fortement imprégné certaines tendances du christianisme.

On voit cela dans le prologue de l’évangile de Jean : “Au commencement était le Logos. Et le Logos était auprès de Dieu, et le Logos était Dieu... ». Début d’un évangile qui reprend le début de la Genèse : “Au commencement était le ciel et la terre”. Nous voyons cependant une différence entre la pensée juive : au commencement était la matière, et la pensée johannique influencée par Platon : au commencement était l’Esprit. Le prologue est très dense et reprend assez bien la pensée de Philon : Au commencement était la parole, qui était Dieu, qui était une sagesse, qui était la lumière des hommes.

 

Il y plusieurs mots pour dire parole en hébreux

La traduction du texte hébreux par Louis Second traduit מִלָּה (millah), par parole, mais aussi, silence, dire, avoir dit, sentence, discours, répondre, s'adresser, accents

On trouve aussi; קוֹל imrah Parole, promesse, ordres, sons, discours, puis; dabar דָּבָר généralement traduit par Mots, choses, événements, parole, manière, au sujet, de la sorte, à cause, cela, dire, propos, nouvelles, questions, ordonner, tâche.

דָּבָר [dabar] est un mot hébreu qui signifie : parole, discours, précepte... (je pense qu'on aura l'occasion de revenir sur ces termes) du verbe דָּבַר : parler, déclarer... C'est ce terme qui a été traduit par "commandement" dans les 10 commandements de Moïse (Exode 20, 2 & Deutéronome 5, 6) 

Dieu prononça toutes ces paroles et dit 

Ce terme est traduit en grec par λόγος dans la Septante, que l'on retrouve dans l'Évangile de Jean : Au commencement était le Verbe... (au commencement : même début que la Genèse...) et le Verbe s'est fait chair : c'est donc Jésus Christ. 

Au commencement était la Parole ; la Parole était auprès de Dieu ; la Parole était Dieu. (Nouvelle Segond) 

Ce verbe est distinct de אמר [amar] : dire, raconter et, comme nom : mot  ecrit 

Ces 10 paroles qui sont aussi des commandements portent le nom de décalogue. , nom cité dans Exode 34,28 : Moïse est sur la montagne du Sinaï, pendant 40 jours, sans manger, ni boire. 

Il écrivit sur les tables les paroles de l'alliance, les dix paroles 

דִּבְרֵי הַבְּרִית : les paroles de l'alliance - translittération : dibre ha-berit 

עֲשֶׂרֶת הַדִּבְּרוֹת : les dix paroles, le "décalogue" - translittération : aseret ha-dibrot

Au niveau du yiddish, ces hébraïsmes se retrouvent ben sûr. Aux termes précédents on peut ajouter: 

1) avec l'ajout du suffixe germanique qui marque l 'infinitif d'un verbe, on a :דברן = dabern qui signifie parler mais dont la connotation est péjorative. 

2) le Deutéronome se dit דברים = devarim en hébreu, dvorim en yiddish ce qui signifie en fait " Paroles" ( -im étant le suffixe pluriel) 

 

3 ) le livre des Chroniques ( dans la Torah à la différence de l'Ancien Testament, cela ne forme qu'un seul livre) se dit : דברי-הימים = Divre hayyamim en hébreu et divre-hayomim en yiddish soit Parole, Histoire des Jours. 

4) dans le domaine profane, דברים - בטלימ = dvorim-beteylim = des propos vains, du bavardage. בטל =botl signifie : caduc, annulé, inutile, donc 

 

Klein, dans son dictionnaire étymologique pense que le sens (parler) exprimerait à l'origine l'idée d'un bourdonnement, un vrombissement, comme le nom de l'abeille דבורה qui a donné le prénom Déborah. 

 

Il note aussi un autre verbe דבר qu'on rattachait autrefois au précédent, avec le sens de : to follow behind someone's back, to drive (suivre derrière le dos de quelqu'un, conduire). Ce terme aurait des correspondants en arabe.

 

דָּבָר c’est aussi  la Chose    זה לא אותו דבר Ce n'est pas la même chose
Quelque chose    מה זה הדבר הזה? Qu’est que c’est que ce truc ?

דֶּבֶר    Peste (maladie).

Comme Verbe דבר1    Parler de, avec, …    גם אני מדבר אל עצמי Moi aussi, je parle à moi-même    היא מדברת עם חברות אל החיים שלה Elle parle avec des amies de sa vie

 

 

 

Il existe une racine arabe دبر D-B-R sous laquelle on trouve notamment des mots comme 

- دبر dabr : "essaim d'abeilles, de frelons", et دبّور dabbūr, "abeille, frelon", dont le nom d'unité, دبّورة dabbūra, est le prénom Déborah

- دبر dubr : "derrière, partie postérieure d'une chose".

- دبر dabara : "raconter quelque chose d'après quelqu’un, rapporter les paroles de quelqu’un après sa mort, écrire un livre".

De telles distances sémantiques entre ces trois mots sont de forts indices d'homonymies, en arabe comme en hébreu. 

Le verbe دبر dabara a peut-être partie liée avec l'hébreu dabar, "discours". 

 

Pour certains, c'est ce mot hébreu que l'on retrouve dans la formule magique abracadabra, analysé en abra ka dabra.

 

Abracadabra, Ce mot appartient au monde kabbalistique. 

Abracadabra était une formule employée au Moyen Age comme talisman contre diverses maladies. 

Les médecins du XVIème siècle, comme Ambroise Paré moqueurs à l'égard de ces pratiques auraient crée l'adjectif abracadabrant

Abracadabra est une formule magique populaire signifiant en araméen « il a créé comme il a parlé ».

ABRACADABRA c'est de l'hébreu. Légèrement déformé, puisqu'on dit : ABRA KE DABRA 

Traduction : ainsi dit-il - ou bien : ce qui est dit, est dit. 

 

Le grec kalamos a sans doute équivalent l'arabe قلم (plume, stylet) et non كلام (discours, parole). 

 

Si j'ai bonne mémoire, les deux mots se trouvent dans le Coran; il est donc improbable qu'ils aient été importés du grec vers l'arabe par les théologiens-philosophes des premiers siècles de l'islam. Il y eut d'ailleurs une célèbre école théologique, al-mutakallimûn qu'on traduirait peut-être par les rhétoriciens. On parle de كلام ilm-al-kalâm (rhétorique)

 

Il y a en arabe deux racines : 

1. KLM qui signifie "parler, dire". kalâm كلام discours ; kalama, كلم blesser, etc. On le retrouve en hébreu :כּלם , inusité au qal (forme de base) mais au hiphil (forme factitive) : insulter , blesser, faire du tort, de la peine ; et dérivés : כְּלִמָּה, kelimah, honte, outrage. 

2. QLM qui signifie "'roseau", donc écrire, قَلَمٌ plume, crayon 

La deuxième est nettement distincte de la première et vient probablement du grec kalamos (sanskrit kalama, roseau, latin calamus, probablement aussi du grec). 

 

Il vaudrait la peine d'examiner la possibilité, pour كلم kalama "parler", de son rattachement à un étymon que ce verbe aurait en commun avec les mots تلميذ tilmīḏ "élève" et علماء ʿulamāʾ "savants", et avec l'hébreu Talmud. Tous ces mots ont une sémantique commune qui tourne autour de l'instruction, de l'enseignement, de la science, de la démonstration.

Revenons à l’étymologie.

 

Parole, du latin Parabola. En castillan palabra, en catalán paraula, en aragonais parola

La parole est indispensable pour vivre notre désir "d´être avec". C´est un sens de l´expression "donner sa parole" auquel on ne pense pas souvent: offrir à l´autre que je rencontre les mots qui vont lui permettre de me connaître, de me comprendre...La parole devient alors un cadeau, avec bien sûr le risque que le cadeau, ma parole, ne soit pas reçue, mal interpretée, jugée, refusée ou pire, tombée dans l´indifférence. Lorsque nous offrons notre parole nous nous rendons vulnérables, sera t’elle accuellie? sera t’elle rejetée?

 

Et si la parole était mensonge, baratin ? 

Comme le chantait Dalida : « Paroles, paroles » … 

Avec le préfixe πάρα- [pára-] « à côté de, le long de » et le verbe βάλλω [bállō] « lancer, atteindre », les Grecs ont formé le verbe παραβάλλω qu'Homère emploie au sens de « jeter en pâture » (à des animaux) mais qu'on retrouve ensuite dans toutes sortes de contextes : confier, jeter hors du droit chemin, mettre en danger, mettre à côté de, comparer, mettre en contre-partie, détourner, etc. 

Les connotations sont positives ou négatives, mais l'idée est toujours d'un écart, d'une distance prise … 

 

Sur ce verbe, un nom d'action a été construit, παραβολή [parabolē], qui, dans le discours des philosophes du Ve siècle (Platon, Aristote), aura le sens « comparaison, rapprochement », puis en rhétorique « discours allégorique », mais que Plutarque utilisera encore comme « action de s'écarter du droit chemin ». 

 

Les Romains empruntent ce mot sous la forme parabola avec son sens rhétorique de « comparaison » et, de là, il passe dans la langue de l'Église avec celui de « parabole, proverbe ». C'est dans la Vulgate que, par contagion de l'hébreu pārehāl, il prendra le sens de « parole », sens qu'il a gardé dans les langues romanes. 

 

Il n'empêche que quelque chose reste peut-être dans ce mot des connotations anciennes d'écart, de détournement, voire de tromperie (comparaison n'est pas raison), ainsi qu'en témoigneraient des aphorismes ordinaires : 

La parole est d'argent mais le silence est d'or 

Les paroles s'envolent mais les écrits restent 

 

L'ambiguïté de la parole, est décrite par Ésope dans une parabole dont voici une paraphrase : 

Citation:

Vous souvenez-vous de cet esclave à qui son maître demande de ne lui rapporter, pour un banquet, que la meilleure des nourritures et rien d’autre? Esope rapporte des langues qui seront servies en entrée, en plat principal et au dessert. D’abord aux anges, les convives finissent le repas dégoûtés. Esope explique qu’il a choisi la langue, car c’est la meilleure des choses, le lien de la vie civile, la clef des sciences, celle par laquelle on instruit, on persuade, on règne dans les assemblées. Le lendemain, le maître demande à Esope de rapporter la pire des choses et de la servir aux mêmes invités. L’esclave ramène de la langue, expliquant qu’elle est la pire des choses, mère de tous les conflits, nourrice des procès, source des guerres, de la calomnie et du mensonge.

 

Dès la plus haute antiquité, la parole est aussi le véhicule du mensonge et je me contenterai ici de citer le misogyne Hésiode (Travaux, 77-80, trad. Mazon) sur le rôle d'Hermès dans la création de Pandore, la première femme : 

Citation:

Et, dans son sein, le Messager, tueur d'Argos, crée mensonges, mots trompeurs, cœur artificieux, ainsi que le veut Zeus aux lourds grondements. Puis, héraut des dieux, il met en elle la parole …

 

À noter que — comme beaucoup de traducteurs littérarisants, hélas — Mazon déforme le texte en traduisant φωνή [phōnḗ] par « parole » au lieu de « voix » qui est le sens propre. Dans ce texte, la parole, c'est ce qui précède, le mensonge et les mots trompeurs … 

 

Il est vrai que, dans ces temps anciens, la parole se devait d'être vérité et que, du serment, les dieux étaient garants. On jurait par Zeus Horkos (Zeus gardien du serment) et non sur la tête de sa mère ou de ses enfants. Mais on savait déjà aussi que le parjure n'était guère puni que dans les mythes ! 

Mais il est vrai que les palabra, paraula, parola d'Ibérie ont peut-être un sens plus fort et contraignant que la parole française …

La parole.

La parole et le Désert.

 

La parole et le désert

 

En hébreu : מִדְבָּר midbar de la racine DBR qui signifie couramment "parler". Le désert est le lieu de la parole du peuple avec son dieu. Interprétation rabinique du mot. Il y a en fait plutôt deux racines homonymes : la première qui signifie de manière générale 

1.1. "en arrière" : 

-mandéen dibra : dos, queue 

- arabe dabr-, dubr : derrière 

1.2. champ, pâturage : 

-arabe : dabr : champ qui est derrière ; dibâr : étendue de terrain 

-ethiopien : dabr : montagne, monastère 

- gurage : dembär : limite, frontière 

-akkadien :madbaru : steppe, désert 

-hébreu : debhir : cella du temple (chambre d'arrière) 

etc 

 

1.2. la deuxième qui signifie "parler" : 

-phénicien : dbr etc, toutes racines central sémitiques 

1.3. plus quelques autres significations : 

1.3.1. abeille, guêpe : hebreu dibhurah (c'est le prénom répandu : Déborah) 

1.3.2. ramper : hadramaoutique dabar 

1.3.3 peste : hébreu debher, arabe dabr (mort), dibir (calamité) 

1.3.4. corde : tigrina debara 

1.3.4. fondement : arabe : dubur 

1.3.5. récipient : amharique dabre, amphore 

1..6. objet de cuir : arabe dabir 

Nous avons aussi שְמָמָה šemamah, désert, désolation יִשְמוֹן yišmôn 

4. akkadien : madbaru : steppe désert 

 

La racine d-b-r en arabe peut aussi signifier "pourvoir" ou "trouver".

1. Un autre mot pour "désert" : تيماء [taymāʾ], “désert, aride”, qui serait d'origine persane (tīmā). 

2. La racine TYH, "se perdre, s'égarer", est également riche en mots tournant autour de cette notion de "désert", de "lieu où se perdre", d'où l'on glisse au sens de "labyrinthe" : تيه [tīh], تيهاء [tayhāʾ], متاهة, [matāha], متيه [matīh], متيهة [matīha]. 

Le premier de la liste désigne notamment les déserts d'Arabie où, conduits par Moïse, les Juifs ont erré à leur sortie d'Égypte. On le précise parfois : تيه بني إسرائيل [tīh banī isrāʾīl], "les déserts des fils d'Israël".

 

Mais peut-être est-ce dans l'épreuve du désert que se manifestent le plus profondément les différents embranchements de la libération. Ainsi nous pouvons saisir à travers la superposition des racines en hébreu du mot " désert ", " midbar " et du verbe " parler ", " diber " quelques éclairages et enseignements sur les étapes de cette évolution de la servitude à la liberté.

Contrairement aux autres espèces qui possèdent un système de communication ramené à un code minimal, l'homme se définit principalement par sa capacité de parler. Si le " langage " de l'abeille ne peut donner qu'un renseignement préprogrammé sur la situation de la fleur à butiner, le langage de l'homme échappe aux contraintes de la programmation, offre par sa construction tellement élaborée des possibilités quasiment infinies.

Une double caractéristique du désert interpelle cette dimension spécifique du langage humain : son absence de limites qui ouvre sur un monde infini de possibles et son absence de repères qui donne un sentiment d'immensité (ou de vertige). Désert et parole semblent alors en relation de contradiction. Car les mots sont finis, ils délimitent et figent parfois une réalité, ils emprisonnent dans les limites d'un sens. Dans ce processus, ils apparaissent comme une contrainte et pourtant c'est sans doute de cette délimitation que naît finalement la liberté. Plus que de délimiter dans la maladresse de leur finitude, les mots dévoilent.

 

Ce pouvoir de nommer, présent sans aucun doute dans toutes les langues, s'exprime avec éblouissement en hébreu où la lettre, le mot révèlent l'essence-même de la chose (ne dit-on pas " davar " à la fois pour signifier mot et chose,). En s'immergeant dans la troublante richesse du langage, on sent bien que ce pouvoir des mots, l'homme ne l'invente pas, il le retrouve seulement après l'épreuve du désert, c'est-à-dire, l'annulation de tout a priori, le déconditionnement, la déprogrammation. Et le désert - espace qui est absence d'espace - fonctionne comme le silence dont la parole a besoin de se nourrir pour se construire, s'élaborer.

Mais pour consolider cette construction, pour retrouver leur pouvoir dans la pratique de l'homme, les mots doivent se réorganiser par la rigueur d'un fonctionnement verbal défini. L'homme réinvente l'illimité par des contraintes de construction grammaticale, syntaxique, comme pour redire dans sa spécificité et son vécu quotidien, l'impossibilité d'une liberté sans loi. Dans le langage, on voit bien que c'est en comprenant et respectant la règle que l'homme atteint la liberté de dire, c'est en réfléchissant sur sa mise en forme qu'il retrouve un sens préexistant à sa modeste échelle humaine.

En atteignant cette puissance du verbe qui jaillit d'une soumission à la règle, l'homme naturellement " parlant ", " medaber " revit chaque jour cette expérience dialectique d'une libération qui passe par le respect de la loi. Le " midbar " est cet alambic qui permet le passage de la servitude à la liberté en préparant le peuple à recevoir la loi. Et si le peuple juif devient peuple justement à ce moment-là, c'est-à-dire qu'il acquiert un niveau d'identification unitaire qui transcende les individualités, on retrouve cette idée d'unité dans la langage lui-même encore une fois comme une contrainte d'où naît la liberté, contrainte parce qu'il faut posséder le même code pour pouvoir communiquer, liberté parce que cette unité de sens rend justement la verbalisation de ma pensée, de mon désir ou de ma volonté possible.

Pour retrouver cette unité du peuple tellement salutaire ou idéale, pour pratiquer la liberté dans son sens le plus fort, peut-être faudrait-il redécouvrir le sens des mots hébreux, mettre l'accent sur l'enseignement de la langue tant dans sa morphologie que dans sa syntaxe. Comme ce désert qui n'appartient à personne mais par lequel tous doivent passer pour accéder à la liberté, la langue doit être réinvestie par chacun dans un processus individuel de libération.