L'extase (du grec ἐκ, « en dehors », et ἵστημι , « se tenir » : « être en dehors de soi-même ») désigne un état où l'individu se ressent comme « transporté hors de lui-même » caractérisé par un ravissement, une vision, une jouissance ou une joie extrême. L'extase peut être d'origine mystique ou survenir en d'autres circonstances.
Extase mystique
L'extase peut être la conséquence de disciplines mystiques. Une description d'extase mystique est donnée par Paul de Tarse :
« Je connais un homme en Christ, qui fut, il y a quatorze ans, ravi jusqu'au troisième ciel (si ce fut dans son corps je ne sais, si ce fut hors de son corps je ne sais, Dieu le sait). Et je sais que cet homme (si ce fut dans son corps ou sans son corps je ne sais, Dieu le sait) fut enlevé dans le paradis, et qu'il entendit des paroles merveilleuses qu'il n'est pas permis à un homme d'exprimer. »
— 2Cor 12 :2-4
Le Vitis vinifera est l'emblème de l'extase mystique. L'extase donne lieu à une vaste littérature qui recense de nombreux symboles, notamment dans les textes mythiques, religieux, philosophiques et poétiques.
Traductions à trier: Anglais : ecstasy. Arabe : وجدان افتتان, نشوة. Espagnol : éxtasis. Grec : έκσταση
Hystérie. 1731 Dérivé régressif de hystérique. Plus avant, apparenté au latin hystera (« matrice »), du grec ancien ὑστέρα.
1 (Médecine) Maladie chronique longtemps considérée comme particulière aux femmes : elle est due à l’extrême sensibilité du système nerveux et se manifeste par des convulsions générales, plus ou moins fréquentes, accompagnées de suffocation et d’une perte presque complète de connaissance.
2 (Psychiatrie) Névrose caractérisée par une attitude théâtrale et divers troubles de la sensibilité.
3 (Figuré) Grande excitation ; agitation bruyante.
Traductions: Allemand : Hysterie. Anglais : hysteria. Espagnol : histeria, histerismo. Grec : υστερία.
Marie-Madeleine en extase (en italien Maria Maddalena in estasi) est un tableau du Caravage peint en 1606.
Le terme d’extase apparaît au XIVe siècle en français, il est emprunté au grec par l’intermédiaire du latin chrétien. Le premier sens est donc avant tout religieux, il se réfère à une personne qui est abîmée dans la contemplation d’un objet transcendant qui l’absorbe et la ravit hors du monde sensible, d’où le sens de ravissement mystique. Par extension il s’applique à la contemplation esthétique et au plaisir sexuel. L’extase renvoie à plusieurs poèmes qui portent ce titre : celui d’Agrippa d’Aubigné qui a une thématique religieuse, le célèbre poème de Victor Hugo qui se conclut sur l’évocation de la fusion panthéiste avec la nature, celui de Verlaine « C’est l’extase langoureuse ». Le thème de l’extase se retrouve aussi chez de nombreux écrivains romantiques ou parnassiens. Il métaphorise l’amour charnel, associé à la fin du XIXe siècle à une langueur amollissante, annonciatrice de dissolution décadente, alors que l’amour mystique avait été auparavant comparé à l’amour sensuel. Amour, extase et littérature sont donc depuis longtemps associés. Le Cantique des cantiques, initialement chant d’amour célébrant les noces des heureux époux, a reçu postérieurement une interprétation religieuse comme en atteste la traduction de Fray Luis de León. Celui qui est visité par la divinité est comparé à l’amante qui s’oublie dans les bras de son bien-aimé quel que soit son sexe. L’âme sort de sa prison après avoir connu la nuit des sens, de l’intelligence et même de la foi dans une éclipse qui lui permet d’entrer en fusion avec la divinité. Mais le plus étrange est sans doute l’insistance de ce thème récurrent de l’extase dans la littérature alors qu’elle est par définition presque ineffable. Ce paradoxe se traduit dans le choix de sainte Thérèse d’Avila comme patronne des écrivains en Espagne.
Essayons de comprendre comment on est passé d’une problématique religieuse à une médicalisation de la question en rattachant l’extase à une pathologie névrotique, l’hystérie, dans un contexte de sécularisation de la société et de lutte entre l’Église et l’État à la fin du XIXe siècle.
L’état d’extase est très souvent comparé à l’hypnose. Il peut être provoqué par de la musique rythmée et monotone, des fumées odorantes, des jeûnes, des prières, des stupéfiants. Les états d’extase visionnaire pouvaient être obtenus par concentration sur un objet brillant, comme par exemple à Jérusalem sur une plaque de métal précieux ornée des Ebrim Tunmims (six gemmes brillants et six mats). À l’occasion des grandes cérémonies, le prêtre accédait à l’état d’extase visionnaire en fixant ces pierreries . Les omphalophysiciens se mettaient en état de torpeur psychique en contemplant leur nombril. La fixation d’un objet brillant permettait soit de se plonger dans un état de torpeur ou d’extase, soit de procéder à des guérisons en endormant les malades.
En fait, l’extase se réfère à des état de conscience divers, d’une intensité variable qui s’accompagnent d’une sorte de suspension de la conscience, « jusqu’à faire perdre la conscience de son corps avec l’impression qu’il est abandonné, qu’il n’est plus animé, voire à un degré ultérieur d’intensité jusqu’à l’impression d’une scission entre l’âme et l’esprit ». Elle est définie par le Dictionnaire de l’Académie comme une vive exaltation qui suspend la sensibilité et la volonté. Cet état particulier de suspension des sens et même de l’intelligence a été rangé par Charcot dans la troisième phase de la grande attaque hystérique, la phase des attitudes passionnelles, au même titre que l’hallucination de l’ouïe, l’appel, la supplication amoureuse, l’érotisme ou la moquerie. Cette conception range l’extase dans l’hystérie conçue comme une maladie neuro-cérébrale, ce qui constituait un indéniable progrès, mais aboutissait à une simplification permettant de réduire tout état mystique à un trouble pathologique, déterminé cérébralement, trouble soigneusement classé, dans un tableau nosographique rigoureux.
On sait que l’hystérie a été conçue au début du XIXe siècle comme une maladie de femme suivant les conceptions classiques. Philippe Pinel (20 avril 1745 à Jonquières - 25 octobre 1826 à Paris) la lie encore au corps féminin et en fait une névrose génitale « dont le siège réside dans l’utérus ». Les relations sexuelles et le mariage était considérés comme le meilleur remède à ce trouble pathologique qui va être comparé de plus en plus aux états des convulsionnaires et des possédées. Le milieu du XIXe siècle voit le triomphe des thèses neurocérébrales avec Pierre Briquet, né le 22 nivôse an IV à Châlons-sur-Marne et mort le 25 novembre 1881 à Paris. L’hystérique est encore une femme, souffrante, pauvre et malheureuse, mais qui se livre à des excès sexuels et à une forme de dépravation.
Avec Charcot s’impose, entre 1870 et 1890, une théorie purement organiciste et neurologique de l’hystérie. L’homme peut en être atteint comme le montrent les leçons sur l’hystérie virile, et des hommes de toutes conditions, surtout des artisans, des ouvriers, des vagabonds ou des marginaux. L’hystérie est alors conçue comme une maladie déterminée neurologiquement, codifiée dans un discours clinique. Deux techniques modernes sont utilisées, la photographie pour observer et fixer les symptômes insaisissables de l’hystérique et l’hypnose pour les reproduire expérimentalement. Les mille formes de l’hystérie, qualifiée classiquement de protéiforme à l’époque, sont cataloguées, répertoriées soigneusement dans un tableau clinique cohérent et ordonné. Comme le dit Georges Didi-Uberman dans Invention de l’hystérie, le « génie » de Charcot aura donc été, je le répète, non seulement de parvenir à une description de tout cela, mais encore d’étalonner cette description en un type général qui se laisse nommer « la grande attaque hystérique » que Paul Richer, élève de Charcot, qualifie de « complète et régulière ». Le maître d’œuvre de cet effort taxinomique fut en effet Paul Richer, interne du service qui devint plus tard professeur d’anatomie artistique à l’École Nationale des Beaux Arts de Paris. Le tableau synoptique de la « grande attaque hystérique » qu’il dessine avec positions typiques et variantes nous présente les quatre phases dégagées par Charcot : après les prodromes, une période épileptoïde suivie d’une deuxième période dite de clownisme, puis de la période des attitudes passionnelles où est rangée l’extase et enfin une période de délire. La malade vedette de Charcot, Augustine, âgée seulement de 15 ans et demi lors de son admission à la Salpêtrière, fut le modèle des dessins de Richer, c’est elle qui servit également de modèle aux célèbres clichés sur les attitudes passionnelles. Charcot réussit à ranger l’hystérie dans la grande famille des maladies connues grâce à la méthode anatomo-clinique au prix d’une grande simplification.
Charcot s’évertue à prouver le caractère universel de la maladie : elle ne dépend ni du lieu, ni du temps, ni du sexe, puisqu’il existe des hommes hystériques et que les mêmes observations ont été faites aux États-Unis et en Angleterre. Lors d’une des premières leçons à la Salpêtrière, en juin 1870, Charcot explique que les guérisons miraculeuses du Moyen Âge correspondaient à la disparition de symptômes hystériques, dont la paralysie fournissait un exemple particulièrement spectaculaire. Plusieurs cas de paralysies furent guéris après des pèlerinages faits à Saint-Denis auprès des restes de Louis IX.
Charcot recourt aux livres de médecine anciens pour montrer que des observations recoupaient déjà les siennes et que les remèdes étaient déjà connus, ce qui avalise la thèse de la fixité de l’hystérie à travers les âges.
« [Le médecin] ayant un genou en terre, plonge le poing fermé dans l’une des fosses iliaques que l’observation antérieure lui aura démontré être le siège habituel de la douleur ovarienne. Tout d’abord, il lui faut faire appel à toute sa force afin de vaincre la rigidité des muscles de l’abdomen. Mais dès que celle-ci est vaincue, la main perçoit la résistance offerte par le détroit supérieur du bassin, la scène change, et la résolution des phénomènes convulsifs commence à se produire . »
Ce remède est comparé à ceux qu’utilisaient les médecins depuis très longtemps, peut-être depuis l’Antiquité, précise Charcot, qui donne l’exemple de Willis au XVIIe siècle, ou Mercado en 1513. Charcot fait alors une longue digression sur les procédés employés pour guérir les convulsionnaires. La compression ovarienne à l’aide de bandages était connue et dans le cas de l’épidémie de Saint-Médard, au début du XVIIIe siècle, on recourut à la pratique des secours qui consistait à porter des coups violents sur l’abdomen des femmes souffrant de contractures hystériques et de convulsions. On appliquait un pesant chenet dont on frappait le ventre à coups redoublés, ou un pilon, ou encore un homme enfonçait ses deux poings sur le ventre des convulsionnaires ; parfois quatre ou cinq personnes montaient sur le corps de la malade, ce qui n’a pas manqué d’être dénoncé comme une dépravation sexuelle, en particulier par le Dr Hecquet, un médecin contemporain des faits relatés .
Le deuxième moyen de prouver la scientificité de la théorie de Charcot sur l’hystérie est fourni par le recours à l’hypnose. L’hypnose était connue depuis longtemps et plusieurs médecins y avaient eu recours Charcot l’utilise pour faire disparaître des symptômes hystériques mais aussi pour les reproduire, ce qui lui permet d’affirmer le caractère scientifique de sa démarche qui se réclame de la médecine expérimentale.
« Je vous ai dit en passant, que cette paralysie, nous la connaissions assez bien, et même que nous pourrions la reproduire artificiellement dans certaines circonstances, ce qui est le sublime du genre et l’idéal en fait de physiologie pathologique. Pouvoir reproduire un état pathologique, c’est la perfection, parce qu’il semble qu’on tienne la théorie quand on a entre les mains un moyen de reproduire les phénomènes morbides . »
Prudent, Charcot n’utilise que le grand hypnotisme pour que toute l’idée de simulation ou d’erreur dans les expériences s’évanouisse. Il énumère les trois phases de léthargie, catalepsie et somnambulisme, puis explique qu’il est capable de susciter par suggestion des paralysies hystériques ou d’autres symptômes.
Les théories de Charcot ne survivront pas à son auteur. Janet et Freud feront de l’hystérie une maladie psychique. Mais la révolution est opérée par Freud qui abandonne l’hypnose pour un dispositif éliminant la suggestion et privilégiant l’entendu et non plus la vision. Sur le divan, l’hystérique ne peut plus se donner en spectacle pour le plus grand plaisir du maître. Tout l’édifice de Charcot se lézarde rapidement face aux théories freudiennes qui introduisent la notion d’inconscient et qui abandonnent le recours à l’hypnose dont le mécanisme est en partie théorisé.
Freud avait suivi les cours de Bernheim (1840-1919), élève de Liébault (1823-1904) à Nancy. Critiquant vivement les théories de Charcot, Bernheim estimait que l’hypnose était un état de suggestibilité imposée, effet de la suggestion. Ce qui est commun à ces nouvelles théories, c’est l’accent mis sur la suggestion et donc sur le rapport du médecin au malade, qui n’est plus considéré comme un objet que l’on peut observer en dehors des rapports intersubjectifs. Mais seul Freud va fonder toute sa pratique sur le maniement du transfert qu’il va théoriser, bouleversant totalement les données du problème.
En 1895, dans le chapitre 4 des Études sur l’hystérie, Freud avait émis des doutes sur les traitements par l’hypnose. Il estimait qu’il possédait des capacités limitées quant à l’utilisation d’un procédé énigmatique bien qu’inoffensif. Les patients n’étaient pas tous hypnotisables, ils n’obéissaient pas toujours à la suggestion en état d’hypnose, ce qui en restreignait l’utilisation. Mais surtout Freud constata qu’il pouvait se passer de l’hypnose dans ses traitements. Certains patients se détournaient de son traitement quand ils pressentaient où il allait les mener, d’autres au contraire lui faisaient confiance et il en arriva à penser que les rapports personnels avec le médecin avaient une importance capitale. « Il semble même, écrit-il, toujours dans les études sur l’hystérie, que cette influence exercée par le médecin soit la condition même de la solution du problème. Je ne pense pas que cet état de choses puisse se trouver modifié suivant qu’on emploie l’hypnose, qu’on la néglige ou qu’on la remplace par un autre procédé . »
« La résistance opposée par le patient était presque identique en état d’hypnose dès que l’on essayait de remonter dans des souvenirs en relation avec des représentations pathogènes. Il remplaça tout d’abord l’hypnose par une simple pression sur le front avant de se concentrer sur la réduction des résistances. Il en vint à attribuer l’efficacité de cet artifice au fait que, comme dans l’hypnose, il détournait l’attention du malade de sa recherche et de ses réflexions conscientes, bref de toute chose qui pourraient traduire sa volonté . »
Presque trente ans plus tard, Freud reprend ces questions en les abordant sous un angle différent. Après la Première Guerre mondiale, il s’intéresse à la psychologie des foules et au phénomène de l’influence exercée sur elle par le leader. Reprenant les analyses de Gustave Le Bon, il tente d’expliquer pourquoi la foule est éminemment versatile et suggestible, exposée au phénomène de la contagion qui n’est d’après lui qu’un effet de la suggestibilité. Le Bon avait remarqué que « l’individu plongé depuis quelque temps au sein d’une foule agissante, tombe bientôt – par suite des effluves qui s’en dégagent, ou pour toute autre cause ignorée – dans un état particulier se rapprochant beaucoup de l’état de fascination de l’hypnotisé entre les mains de son hypnotiseur. La personnalité consciente est évanouie, la volonté et le discernement abolis. Sentiments et pensées sont alors orientés dans le sens déterminé par l’hypnotiseur ». Freud dénonce une lacune dans les explications de Le Bon, lacune qui concerne celui qui remplace l’hypnotiseur dans la relation à la foule, c’est-à-dire le leader. Il relève tout ce qui pourrait s’appliquer à l’étude des foules artificielles que sont l’Armée et l’Église, dont il va parler dans les chapitres suivants. La foule, conduite presque exclusivement par l’inconscient, est extraordinairement crédule, les inhibitions individuelles tombant, dans un processus éminemment régressif ; l’individu s’abandonne alors sans retenue à ses passions et il se fond dans la foule, perdant le sentiment de ses limites personnelles. La foule n’a pas soif de vérité, mais au contraire d’illusions auxquelles elle ne peut renoncer. Le Bon attribue au prestige du meneur l’influence hypnotique qu’il exerce sur la foule. Il n’explique cependant pas l’origine de ce prestige ; et le recours à la suggestion est tout aussi peu utile, dans la mesure où son mécanisme n’est pas non plus démonté, ce que Freud relève sans ambiguïté.
« Dans l’obéissance à la nouvelle autorité, on a le droit d’interrompre l’activité de sa “conscience” antérieure en cédant aux appâts du gain de plaisir auquel on parvient à coup sûr en supprimant ses inhibitions. Il n’est pas au total si étrange de voir l’individu isolé faire ou approuver dans la foule des choses dont il se détournerait dans ses conditions de vie habituelles, et nous pouvons même nourrir l’espoir de lever de cette manière une partie de l’obscurité que l’on a coutume de couvrir du terme énigmatique de “suggestion . »
Freud propose de résoudre cette énigme restée entière en recourant à la théorie de la libido. La foule devrait, selon lui, sa cohésion aux liens libidinaux qui relient chaque individu aux autres et au lien qui relie chacun au meneur. La foule est comparée à l’enfant qui aime et craint ses parents. Il prend l’exemple de foules structurées comme l’Armée ou l’Église. C’est ce dernier exemple qui retiendra notre attention. Dans l’Église catholique prévaut l’illusion qu’un chef suprême est là, le Christ, qui aime tous les individus de la foule d’un égal amour. C’est cette illusion qui permet la cohésion de l’ensemble . Les fidèles sont tous frères face à ce frère aîné plein de bonté qui est pour eux un substitut paternel . À la fin du chapitre VIII de « Psychologie des foules et analyse du moi », Freud écrit que la formule libidinale de la constitution d’une foule est la suivante : « Une telle foule primaire est une somme d’individus qui ont mis un seul et même objet à la place de leur idéal du moi et se sont en conséquence, dans leur moi, identifiés les uns aux autres . »
Le sentiment éprouvé par la foule est un affect amoureux, l’objet d’amour étant prodigieusement idéalisé par manque de satisfaction de la pulsion. Comme dans l’amour que Freud nomme céleste par opposition à l’amour charnel, les pulsions de tendresse, inhibées quant au but sexuel, aboutissent à une idéalisation où l’objet est traité comme le moi propre et une certaine quantité de libido narcissique déborde sur cet objet : « L’objet a pour ainsi dire absorbé le moi . »
« Simultanément à cet “abandon du moi à l’objet”, abandon qui ne se distingue déjà plus de l’abandon sublimé à une idée abstraite, les fonctions imparties à l’idéal du moi sont totalement défaillantes. La critique, exercée par cette instance, se tait ; tout ce que fait et exige l’objet est bon et irréprochable. La conscience morale ne s’applique à rien de ce qui advient en faveur de l’objet ; dans l’aveuglement de l’amour, on devient criminel sans remords. Toute la situation se laisse résumer intégralement par une formule : l’objet est mis à la place de l’idéal du moi . »
Freud compare ensuite l’état amoureux à l’hypnose : les similitudes sont nombreuses : soumission humble face à l’objet aimé, docilité, absence de critique. L’hypnotiseur a également pris la place de l’idéal du moi . L’aspect onirique de l’hypnose proviendrait de la suspension de l’exercice de la réalité qui est une des fonctions de l’idéal du moi. Freud définit enfin l’hypnose comme un abandon amoureux illimité, la satisfaction sexuelle étant exclue, mais aussi comme une formation en foule à deux .
On voit donc que Freud ne se réoccupe pas du tout de l’extase, qui est un affect qui ne l’intéresse guère. Dans Malaise dans la civilisation, à propos du « sentiment océanique » de Romain Rolland, il écrit qu’il « n’est pas commode de procéder à l’élaboration scientifique des sentiments ». Freud s’est certes intéressé à la religion, mais on ne trouve que peu de références au mysticisme dans son œuvre. Bien qu’athée et matérialiste, il n’adopte pas une position anti-cléricale polémique comme d’autres scientifiques de son temps. Il tente d’expliquer des mécanismes psychiques qu’il met en parallèle sans en dénoncer forcément le caractère pathologique. La notion de normalité n’ayant comme on le sait qu’un sens très relatif pour lui (c’est ce que personne ne respecte) et la barrière entre le normal et le pathologique étant franchie par tout le monde plusieurs fois par jour, il ne qualifie pas les pratiques religieuses de proprement névrotiques (même s’il établit une comparaison précise entre la névrose et la pratique religieuse).
L’extase est réduite au XIXe siècle à un symptôme pathologique par les médecins matérialistes. Charcot l’assimile à un symptôme hystérique d’origine pathologique et non pas surnaturelle. Phénomène universel, repérable dans les crises mystiques depuis le Moyen-âge. L‘extase est une sorte de catalepsie que l’on retrouve dans le somnambulisme et les états mystiques. Janet et Freud élaborent au contraire une théorie psychologique, Freud, l’étudie en recourant à la théorie de la libido dans le cadre du transfert. Ce déplacement de la problématique permet de dépasser les anciennes théories. Dans les textes postérieurs à 1920, il explique que le lien qui unit le leader à la foule est comparable à celui qui relie l’hypnotisé à l’hypnotiseur et se retrouve dans l’amour : un objet est mis à la place de l’idéal du moi. Dieu peut très bien se trouver dans cette position.