Que nous disent les dictionnaires.
Création est un mot d’origine latine creatio, qui dit action de créer, de donner de l’être, l’existence. creatio du radical creatum et creo, créer, nommer avec le suffixe io. Creo c’est créer, engendrer, mettre au monde, produire. Mot qui vient de l’indo européen *ker croître, qui a donné Ceres déesse des moissons qui en grec ce dit κόρος, κόρη (jeune homme, jeune fille).
On comprend mieux alors que ce mot se rapproche de commencement ou origine.
Commencer du latin populaire *comĭnĭtĭāre, composé de cum et de ĭnĭtĭāre, « initier » en latin classique, et « débuter, commencer » en bas latin, évolution de sens due à l’influence de ĭnĭtĭum, « commencement, début ». ĭnĭtĭāre dérivé de initium, début; lui-même de ineo aller dans. En hébreu commencement se dit בראשית traduit par les septante par ἐν ἀρχῇ et Jerôme traduit par in principio creavit que l’on peut traduire par; Par le principe. Un principe, en philosophie, est une source, un fondement, une vérité première d’idées ou d’autres choses, en revanche en physique il est une loi apparente, qu’aucune expérience n’a invalidée jusque-là bien qu’elle n’ait pas été démontrée, et joue un rôle voisin de celui d’un postulat en mathématiques. Le principe est un commencement, une origine, une source, une cause première. Du latin primus « premier » et capio « prendre », étymologiquement : « ce qui est pris en premier ».
Ainsi on comprend mieux les commentaires des Pirke Avot mishna 5:1
« [C’est] par dix paroles [que] le monde a été créé. Qu’est-ce que cela vient à nous apprendre, n’aurait-Il pas pu le créer par une parole ? Mais c’est pour Se séparer des méchants qui perdent le monde qui a été créé par dix paroles, et pour donner un bon salaire aux justes qui font exister le monde par dix paroles. » qui font le lien entre création et nomination.
L’origine (du latin origo, « la source » est au premier abord le moment initial de l’apparition d’une chose, c’est-à-dire la naissance historique de cette chose, le commencement de cette chose. Cependant, cette définition délaisse l’aspect logique et dynamique de ce mot. Ainsi, l’origine est également l’ensemble des phénomènes obéissant à des lois qui expliquent l’apparition et le développement des choses. Ce qui pose des problèmes d’ordre philosophique:
« Si par origine on entend un premier commencement absolu, la question n’a rien de scientifique et doit être résolument écartée… Tout autre est le problème que nous posons. Ce que nous voudrions, c’est trouver un moyen de discerner les causes, toujours présentes, dont dépendent les formes les plus essentielles de la pensée et de la vie religieuse. Or ces causes sont d’autant plus facilement observables que les sociétés où on les observe sont moins compliquées. Voilà pourquoi nous cherchons à nous rapprocher des origines »,
écrit Durkheim.
Dès lors, il y est préférable de distinguer l’origine du commencement. Dans ce cas :
L’origine correspond aux processus constitutifs expliquant l’apparition des objets. L’origine pose la question du comment des choses.
Le commencement est la manifestation spatiale et temporelle de la naissance de ces objets. Le commencement pose la question du pourquoi des choses.
Ainsi, dans l’histoire du questionnement de l’origine, les notions d’origine et de commencement qui sont d’abord deux conceptions philosophiques similaires ont, à partir du XVIe siècle, grâce aux découvertes scientifiques de Newton sur la gravitation, tendance à se séparer et devenir de plus en plus indépendantes. La notion du commencement va aller aux théologiens, idéalistes, créationnistes... tandis que la notion de l’origine va aller à la philosophie matérialiste et aux sciences.
En théologie et dans de nombreuses mythologies, on parle de l’origine du monde en tant que création du monde par le divin. Il est encore écrit dans les dictionnaires 2011 que Dieu est « l’être suprême, le créateur de l’univers... » Dans ces visions religieuses et mythologiques, cette création implique d’abord un commencement et une finitude, un discours sur la fin des temps, une eschatologie, un Omega, une fin du monde, une fin de l’histoire...
La conception aristotélicienne du monde implique un non-temps comme chez Thomas d’Aquin avec le concept d’aevum. Or, chez les aristotéliciens, ce non-commencement, cette non-finalité sont des bribes fossiles de la philosophie matérialiste de l’antiquité. Cependant, ils mettent en place une divinité dans la construction et le premier mouvement du monde, incarnant ainsi dans le cadre de l’espace et du temps l’éternité de Dieu.
Ainsi, il y a rejet du concept de l’origine dans les créations transcendantes de la matière puisque l’explication de l’apparition des objets ne peut être que Dieu ou une autre entité transcendante. Le commencement et l’origine sont par conséquent confondus.
C’est ainsi, dans l’histoire des philosophies, que la notion d’origine est amalgamée au commencement. Or, ce même amalgame entre une origine (le comment) et un commencement (le pourquoi) existe encore dans tous les dictionnaires de 2011 et dans certains domaines comme la philosophie ou l’histoire par exemple.
L’origine n’a ni commencement ni fin. Elle est éternelle en tout point de l’espace et du temps infinis.
Salomon, Bernard dit le Petit Bernard, B. Gallus ou Gallo, 1506 à 1510-v1561 La Métamorphose d’Ovide figuree, Lyon Tournes 1557
On trouve chez tous les peuples, dans le fonds le plus ancien de leurs traditions, des récits relatifs à l’origine de la Terre et du ciel. La plupart de ces traditions évoquent un Principe créateur –dieu, idée ou élément– à la source de toute chose.
En Occident, le récit de la Genèse a dominé tout le questionnement cosmogonique jusqu’au XVIIIe siècle, en proposant une classification rationnelle en sept jours : l’"heptaméron". L’apparition des théories mécanistes a fait progressivement passer de la notion de création à celle d’évolution. Au XIXe siècle, l’astrophysique a découvert les berceaux des étoiles, sous forme de nébuleuses gazeuses. La théorie du big bang, forgée au début du XXe siècle et par la suite améliorée, propose un panorama quasi complet de l’évolution cosmique, depuis la naissance de l’espace-temps-matière dans le vide quantique jusqu’à l’émergence de la complexité.
Les télescopes les plus perfectionnés montrent les germes des premières galaxies, les accouchements d’étoiles au sein de nuages d’hydrogène interstellaire, les parturitions de planètes dans des disques de poussières. Nous sommes dans un cosmos où la genèse est toujours en cours.
Écrit vers -360, le Timée se situe chronologiquement entre La République et le Critias avec lesquels il devait composer une trilogie qui comprenait l’Hermocrate, mais rien de ce dialogue n’a jamais été trouvé ;cette trilogie avait pour projet de décrire les origines de l’univers, de l’homme et de la société.
La cosmologie développée dans le Timée renoue avec les projets des physiologues présocratiques qui, dès le VIe siècle, prennent le relais des poètes dans la tentative d’offrir une explication de l’origine et de l’évolution de la réalité physique, κόσμος, depuis Χάος, alternative rationnelle à la cosmogonie des récits mythiques, telle celle d’Hésiode au VIIIe siècle. Le Timée est le tout premier ouvrage de cosmologie à nous être parvenu dans son intégralité.
La mise en ordre du monde sensible par le démiurge se fait dans le temps. Platon, dans le Timée, parle des Idées éternelles, ni changeantes ni mouvantes; et qui s’appliquent aux formes intelligibles (sans origine) autant aux dieux qu’aux hommes, fabriquées dans le temps par le démiurge.
ἀπηργάζετο, πότερον πρὸς τὸ κατὰ ταὐτὰ καὶ ὡσαύτως ἔχον ἢ πρὸς τὸ γεγονός. Εἰ μὲν δὴ καλός ἐστιν ὅδε ὁ κόσμος ὅ τε δημιουργὸς ἀγαθός, δῆλον ὡς πρὸς τὸ ἀίδιον ἔβλεπεν· εἰ δὲ ὃ μηδ᾽ εἰπεῖν τινι θέμις, πρὸς γεγονός. Παντὶ δὴ σαφὲς ὅτι πρὸς τὸ ἀίδιον· ὁ μὲν γὰρ κάλλιστος τῶν γεγονότων, ὁ δ᾽ ἄριστος τῶν αἰτίων. Οὕτω δὴ γεγενημένος πρὸς τὸ λόγῳ καὶ φρονήσει περιληπτὸν καὶ κατὰ ταὐτὰ ἔχον δεδημιούργηται·
si c'est le modèle immuable et toujours le même, ou si c'est le modèle qui a commencé. Si le monde est beau et si celui qui l'a fait est excellent, il l'a fait évidemment d'après un modèle éternel; sinon (ce qu'il n'est pas même permis de dire) il s'est servi du modèle périssable. Il est parfaitement clair qu'il s'est servi du modèle éternel; car le monde est la plus belle des choses qui ont un commencement, et son auteur la meilleure de toutes les causes. Le monde a donc été formé d'après un modèle intelligible, raisonnable et toujours le même ;
Ce qui commence s’inscrit dans le temps, qui passe et détériore par la vieillesse ; cette détérioration fait cesser d’être par la mort ; seul le divin ne souffre pas de dépendance de quelque nature possible, et le divin, le démiurge sont autosuffisants.
[37e] Ἡμέρας γὰρ καὶ νύκτας καὶ μῆνας καὶ ἐνιαυτούς, οὐκ ὄντας πρὶν οὐρανὸν γενέσθαι, τότε ἅμα ἐκείνῳ συνισταμένῳ τὴν γένεσιν αὐτῶν μηχανᾶται· ταῦτα δὲ πάντα μέρη χρόνου, καὶ τό τ᾽ ἦν τό τ᾽ ἔσται χρόνου γεγονότα εἴδη, ἃ δὴ φέροντες λανθάνομεν ἐπὶ τὴν ἀίδιον οὐσίαν οὐκ ὀρθῶς. Λέγομεν γὰρ δὴ ὡς ἦν ἔστιν τε καὶ ἔσται, τῇ δὲ τὸ ἔστιν μόνον κατὰ τὸν
[37e] Avec le monde naquirent les jours, les nuits, les mois et les années, qui n'existaient point auparavant. Ce ne sont là que des parties du temps ; le passé, le futur en sont des formes passagères que, dans notre ignorance, nous transportons mal à propos à la substance éternelle; car nous avons l'habitude de dire : elle fut, elle est et sera ; elle est, voilà ce qu'il faut dire en vérité.
[38b] τό τε γεγονὸς εἶναι γεγονὸς καὶ τὸ γιγνόμενον εἶναι γιγνόμενον, ἔτι τε τὸ γενησόμενον εἶναι γενησόμενον καὶ τὸ μὴ ὂν μὴ ὂν εἶναι, ὧν οὐδὲν ἀκριβὲς λέγομεν. Περὶ μὲν οὖν τούτων τάχ᾽ ἂν οὐκ εἴη καιρὸς πρέπων ἐν τῷ παρόντι διακριβολογεῖσθαι.
Χρόνος δ᾽ οὖν μετ᾽ οὐρανοῦ γέγονεν, ἵνα ἅμα γεννηθέντες ἅμα καὶ λυθῶσιν, ἄν ποτε λύσις τις αὐτῶν γίγνηται, καὶ κατὰ τὸ παράδειγμα τῆς διαιωνίας φύσεως, ἵν᾽ ὡς ὁμοιότατος [38c] αὐτῷ κατὰ δύναμιν ᾖ· τὸ μὲν γὰρ δὴ παράδειγμα πάντα αἰῶνά ἐστιν ὄν, ὁ δ᾽ αὖ διὰ τέλους τὸν ἅπαντα χρόνον γεγονώς τε καὶ ὢν καὶ ἐσόμενος. Ἐξ οὖν λόγου καὶ διανοίας θεοῦ τοιαύτης πρὸς χρόνου γένεσιν, ἵνα γεννηθῇ χρόνος, ἥλιος καὶ σελήνη καὶ πέντε ἄλλα ἄστρα, ἐπίκλην ἔχοντα πλανητά, εἰς διορισμὸν καὶ φυλακὴν ἀριθμῶν χρόνου γέγονεν· σώματα δὲ αὐτῶν ἑκάστων ποιήσας ὁ θεὸς ἔθηκεν εἰς τὰς περιφορὰς ἃς ἡ θατέρου περίοδος ᾔειν, ἑπτὰ οὔσας ὄντα
[38b] De même, quand nous appliquons le mot être au passé, au présent, à l'avenir et même au non être, nous ne parlons pas exactement. Mais, ce n'est point ici le lieu de s'expliquer sur ces choses plus en détail.
Le temps a donc été fait avec le inonde, afin que, nés ensemble, ils finissent aussi ensemble, si jamais leur destruction doit arriver; et il a été fait sur le modèle de la nature éternelle, afin qu'il lui ressemblât [38c] le plus possible. Le modèle est existant pendant toute l'éternité, et le monde a été, est et sera pendant toute la durée du temps. C'est dans ce dessein et dans cette pensée que Dieu, pour produire le temps, fit naître le soleil, la lune et les cinq autres astres que nous appelons planètes, afin de marquer et de maintenir les mesures du temps; et, après avoir formé ces corps, il leur assigna …
Le Timée est un récit : Selon le récit du Timée, le temps est l’image mobile de l’éternité immobile. Le philosophe ne peut guère plus, et fera donc comme le poète : tenir un discours qui ne pourra être dit vrai ou faux, car nul n’aura pu en être le témoin. Le Timée recense un grand nombre de points communs avec le mythe. Le mythe est formellement un récit, c’est-à-dire un discours qui se déploie dans le temps, et qui décrit ce que font des personnages.
La Grèce antique connut une très large variété de mythes cosmogoniques. Villes et tribus, unies par le langage et une culture commune, pratiquaient des cultes divers, chacun proposant une version distincte de la cosmogonie et des dieux chargés de présider aux mouvements célestes. La Théogonie d’Hésiode (VIIIe siècle) propose une première synthèse de traditions plus anciennes, en racontant les différentes phases de la naissance des dieux à partir du chaos originel. Elle propose une réponse aux éternelles interrogations cosmogoniques : qui a créé le monde, à partir de quel matériau primitif a-t-il été conçu, dans quel ordre sont apparus les dieux, les astres et les éléments ? La Théogonie par certains aspects préfigure les descriptions modernes — notamment l’origine du monde imaginée à partir d’un chaos primitif. Puisque le monde visible est apparemment ordonné, bien qu’imparfait, il semble logique de décrire l’état du monde antérieur à sa création par un terme synonyme de désordre et de confusion. Cette notion s’est révélée l’une des plus fécondes de la pensée cosmogonique.
Ainsi, les Métamorphoses d’Ovide puisent dans le riche répertoire de la mythologie grecque, et dans les fables romaines, pour retracer les métamorphoses de l'univers depuis le chaos :
« Ante mare et terras et quod tegit omnia caelum unus erat toto naturae uultus in orbe, quem dixere chaos : rudis indigestaque moles nec quicquam nisi pondus iners congestaque eodem non bene iunctarum discordia semina rerum. »
Avant la mer, la terre et le ciel qui couvre tout, la nature, dans l’univers entier, offrait un seul et même aspect ; on l’a appelé le chaos ; ce n’était qu’une masse informe et confuse, un bloc inerte, un entassement d’éléments mal unis et discordants.
Ovide, Métamorphoses, livre Premier, trad. G. Lafaye, Les Belles Lettres, 1991
Selon Hésiode, le monde fut toutefois créé ex vacuo, c’est-à-dire à partir d’un état préexistant, le « vide », et non pas ex nihilo, à partir de rien. Cette question est des plus fondamentales, la création ex nihilo correspondant à l’interprétation courante de la Bible dans la tradition judéo-chrétienne. Mais les premiers versets de la Genèse, le livre de Job ou le second livre des Maccabées exposent des versions légèrement différentes. Cette disparité a suscité des siècles d’exégèse. Deux interprétations des Écritures sont donc possibles : celle qui admet la préexistence d’une masse informe et vide et celle qui prétend qu’aucune matière n’existait avant la Création, doctrine aujourd’hui largement dominante dans le monde chrétien.
וְהָאָרֶץ הָיְתָה תֹהוּ וָבֹהוּ וְחֹשֶׁךְ עַל־פְּנֵי תְהוֹם וְרוּחַ אֱלֹהִים מְרַחֶפֶת עַל־פְּנֵי הַמָּיִם
ἡ δὲ γῆ ἦν ἀόρατος καὶ ἀκατασκεύαστος καὶ σκότος ἐπάνω τῆς ἀβύσσου καὶ πνεῦμα θεοῦ ἐπεφέρετο ἐπάνω τοῦ ὕδατος
terra autem erat inanis et vacua et tenebrae super faciem abyssi et spiritus Dei ferebatur super aquas
La terre était informe et en désordre, les ténèbres étaient sur la surface de l’abîme et l’esprit divin planait sur les eaux.
Gn 1.2 Hébreux, septante, Jérome, Louis Segond.
La cosmologie quantique, qui est actuellement la forme la plus élaborée de la cosmogonie scientifique, se fonde sur les théories de la relativité générale et de la physique quantique. Elle tente de mettre en équations le surgissement spontané de l’Univers à partir des fluctuations du "vide quantique". Ce dernier ne ressemble nullement au vide traditionnel ; il est semblable à un océan virtuel sans cesse agité d’ondes d’énergie, lesquelles peuvent engendrer spontanément des paires de particules et d’antiparticules. Ces couples éphémères, s’annihilant aussitôt apparus, laissent la place à une écume bouillonnante d’énergie et perpétuellement changeante, poétiquement appelée "écume de l’espace-temps". Au hasard des fluctuations, il peut arriver qu’une particule et son antiparticule soient suffisamment séparées pour ne plus pouvoir s’annihiler mutuellement. De la "matière" surgit alors du vide. Notre Univers tout entier pourrait être né ainsi d’une énorme fluctuation du vide, démesurément grandie sous l’effet de l’expansion.