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Le Sacrifice d'Abraham par Rembrandt (1635)  Musée de l' Hermitage, St. Petersbourg

Le Sacrifice d'Abraham par Rembrandt (1635) Musée de l' Hermitage, St. Petersbourg

« Dans le possible, le croyant détient l’éternel et sûr antidote du désespoir, car Dieu peut tout à tout instant » Kierkegaard

C’est dans son post-scriptum sur les miettes philosophiques que Kierkegaard a plagié la célèbre phrase d’Archimède en substituant le possible au levier. L’idée subtile du philosophe danois est de donner au possible les vertus du levier d’Archimède. Mais le mot de Kierkegaard ne peut être pleinement compris que si l’on l’associe à sa seconde phrase sur le possible comme antidote au désespoir. En effet, pour le père de l’existentialisme, la foi est le domaine du possible par excellence, car pour le croyant rien n’est impossible à Dieu. Or, pour Kierkegaard, Abraham est l’exemple parfait de l’homme désespéré sauvé par sa foi. Prêt à sacrifier la vie d’Isaac à la demande de dieu, mais désespéré de devoir le faire, Abraham aurait selon Kierkegaard gardé jusqu’au bout la foi dans la possibilité qu’un miracle divin puisse sauver la vie de son fils.
La métaphore du possible comparée au levier d’Archimède soulevant le monde est d’autant plus géniale que Kierkegaard assimile aussi le possible à un vertige métaphysique. Or, en soulevant le monde on lui fait prendre de la hauteur et cette hauteur est de nature à donner le vertige. Tout ce passe avec Kierkegaard comme si le possible nous procurait le plaisir d’un vertige métaphysique. Incontestablement il y a quelque chose de très excitant dans le possible, ce qu’on pourrait appeler un suspense ontologique. D’ailleurs soulever le monde, n’est-ce pas le mettre en suspens et du même coup entretenir le suspense. Ce suspense inhérent au possible est aussi ce qui explique la fascination du jeu pour l’être humain et particulièrement les jeux de hasard. Il n’y a rien de plus excitant que de savoir que tout est possible, le meilleur comme le pire. Le possible est la tentation suprême, celle que résume parfaitement l’évangile quand satan demande à Jésus de se jeter dans le vide pour prouver qu’il est le fils de Dieu…
Le journal du séducteur de Kierkegaard est le chef d’œuvre littéraire indispensable sur le jeu de l’amour érotique. Le séducteur, qui est au le double du penseur danois, choisit précisément la jeune femme en apparence la plus inaccessible pour mener à bien son expérience psychologique sur le possible. Or, dès que ce possible « impossible » est réalisé, à savoir que Cordelia est tombée follement amoureuse de Johannes, ce dernier rompt brutalement avec elle, car seul le possible l’intéressait!  Cette fascination pour le possible est aussi au cœur de la logique infernale du jeu d’argent comme le montre magistralement Dostoïevski dans son chef d’œuvre, le joueur. C’est la possibilité de tout gagner ou de tout perdre sur un simple coup de dé qui obsède le joueur et rend son addiction absolument incurable. Dans sa nouvelle palpitante, Le club du suicide, Steveson nous montre que la logique suicidaire répond également à une telle fascination pour le possible. Deux amis nantis ayant pour seul malheur leur ennui entrent dans cet étrange club londonien où la mise à mort des candidats au suicide se joue au tirage de cartes…
Dans l’un de ces derniers films, Woody Allen a remarquablement montré cette folie du possible à travers un prof de philo, « disciple » de Kierkegaard, avec une touche dostoïevskienne et nietzschéenne. Voulant prouver à son élève-maîtresse que tout est possible, il tue un inconnu qu’il sait être un sale type à travers une discussion de café dans son dos..
Descartes n’était pas loin de définir Dieu comme le possible, moi je dirai plutôt que le possible c’est le diable! Mais il est possible que nous ayons tous les deux raisons…
Biblio: Soren Kierkegaard, Post scriptum sur les miette philosophiques, le journal d’un séducteur
Dostoïevski, le joueur, Steveson , Le club du suicide.

« Donnez moi un possible et je soulèverai le monde » Kierkegaard

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