« Il est permis de violer l’histoire, à condition de lui faire un enfant. »
Le travail de l’historien est un travail de mémoire par rapport à l’Histoire. Mais le fait est que l’histoire avec un petit « h » n’est pas toujours fidèle à l’Histoire avec un grand « H ». Comme l’a bien montré Raymond Aron, l’Histoire événementielle (Gesichte en Allemand) n’est pas l’histoireécrite (historie en Allemand) cela signifie en d’autres termes que la mémoire peut jouer contre l’Histoire. Cependant, notre question est de savoir si la mémoire joue nécessairement contre l’Histoire. C’est une chose que de chercher volontairement à trahir l’Histoire pour des raisons idéologiques et autres choses que de la trahir par simple faiblesse de la mémoire. Pour rester dans l’esprit de la croustillante citation d’Alexandre Dumas, je dirais qu’il faut faire une différence entre le crime par préméditation et le crime passionnel ! Les régimes totalitaires manipulent la mémoire historique à des fins idéologiques tandis que les historiens consciencieux peuvent se tromper dans leur interprétation des faits historiques…
Si les régimes totalitaires ont si bien réussi à tromper leurs peuples sur la vérité historique, c’est précisément en raison de la faiblesse de la mémoire humaine. Et si certains historiens malgré leur honnêteté intellectuelle peuvent se tromper sur cette vérité historique, c’est parce que la mémoire n’est pas une faculté parfaitement fiable. Or, que ce soit volontairement ou non, la mémoire me semble toujours jouer contre l’Histoire en raison de sa vulnérabilité intrinsèque. Le simple jeu populaire du téléphone arabe est là pour nous montrer que notre mémoire est toujours plus ou moins influencée par notre subjectivité et qu’on ne retient que ce que l’on veut retenir. Freud pour sa part nous a montré que la mémoire était influencée par l’inconscient et que nous avions tendance à y refouler tout ce qui perturbe notre sens moral et notre estime personnelle. Certaines affaires criminelles comme celle d’Outreau dans le nord viennent aussi nous rappeler qu’on peut facilement créer de faux-souvenirs sous la pression…
Du coup, la question qu’on doit se poser serait plutôt celle de savoir pourquoi la mémoire humaine est si peu fiable. À mon sens c’est Platon qui nous apporte la meilleure réponse dans son dialogue Le Phèdre. Selon Platon, la mémoire humaine se serait affaiblie à cause de l’invention de l’écriture, cette dernière entraînant fatalement la paresse de l’exercice de la mémoire. De fait, avant l’apparition de l’écriture, les peuples constituaient leur histoire à travers une tradition de transmission orale. Il est intéressant de noter que l’invention de l’écriture à Sumer en 4000 ans avant notre ère est aussi reconnue officiellement comme la date de naissance de l’histoire, tout ce qui vient avant étant de la préhistoire ! Or, il me semble très discutable et hautement arbitraire de faire coïncider le début de l’Histoire avec l’apparition de l’écriture. Cette convention laisse pens
Le travail de l’historien est un travail de mémoire par rapport à l’Histoire. Mais le fait est que l’histoire avec un petit « h » n’est pas toujours fidèle à l’Histoire avec un grand « H ». Comme l’a bien montré Raymond Aron, l’Histoire événementielle (Gesichte en Allemand) n’est pas l’histoireécrite (historie en Allemand) cela signifie en d’autres termes que la mémoire peut jouer contre l’Histoire. Cependant, notre question est de savoir si la mémoire joue nécessairement contre l’Histoire. C’est une chose que de chercher volontairement à trahir l’Histoire pour des raisons idéologiques et autres choses que de la trahir par simple faiblesse de la mémoire. Pour rester dans l’esprit de la croustillante citation d’Alexandre Dumas, je dirais qu’il faut faire une différence entre le crime par préméditation et le crime passionnel ! Les régimes totalitaires manipulent la mémoire historique à des fins idéologiques tandis que les historiens consciencieux peuvent se tromper dans leur interprétation des faits historiques…
Si les régimes totalitaires ont si bien réussi à tromper leurs peuples sur la vérité historique, c’est précisément en raison de la faiblesse de la mémoire humaine. Et si certains historiens malgré leur honnêteté intellectuelle peuvent se tromper sur cette vérité historique, c’est parce que la mémoire n’est pas une faculté parfaitement fiable. Or, que ce soit volontairement ou non, la mémoire me semble toujours jouer contre l’Histoire en raison de sa vulnérabilité intrinsèque. Le simple jeu populaire du téléphone arabe est là pour nous montrer que notre mémoire est toujours plus ou moins influencée par notre subjectivité et qu’on ne retient que ce que l’on veut retenir. Freud pour sa part nous a montré que la mémoire était influencée par l’inconscient et que nous avions tendance à y refouler tout ce qui perturbe notre sens moral et notre estime personnelle. Certaines affaires criminelles comme celle d’Outreau dans le nord viennent aussi nous rappeler qu’on peut facilement créer de faux-souvenirs sous la pression…
Du coup, la question qu’on doit se poser serait plutôt celle de savoir pourquoi la mémoire humaine est si peu fiable. À mon sens c’est Platon qui nous apporte la meilleure réponse dans son dialogue Le Phèdre. Selon Platon, la mémoire humaine se serait affaiblie à cause de l’invention de l’écriture, cette dernière entraînant fatalement la paresse de l’exercice de la mémoire. De fait, avant l’apparition de l’écriture, les peuples constituaient leur histoire à travers une tradition de transmission orale. Il est intéressant de noter que l’invention de l’écriture à Sumer en 4000 ans avant notre ère est aussi reconnue officiellement comme la date de naissance de l’histoire, tout ce qui vient avant étant de la préhistoire ! Or, il me semble très discutable et hautement arbitraire de faire coïncider le début de l’Histoire avec l’apparition de l’écriture. Cette convention laisse penser qu’un peuple sans écriture est un peuple hors de l’Histoire et par conséquent un peuple qu’on a le droit d’éduquer. Elle donne aussi un prestige démesuré à l’écriture et même une sorte d’immunité à l’historien officiel. Comme l’a dénoncé avec vigueur Camus, c’est l’histoire écrite par les vainqueurs qui devient l’histoire officielle.
Pour conclure ma réflexion, je prendrai une métaphore croustillante. Dans le triangle « pervers » dont les trois angles sont l’Histoire, la mémoire et l’écriture, l’Histoire est la prostituée, la mémoire le client et l’écriture le maquereau. L’Histoire c’est la matière brute qui ne peut pas tricher, la mémoire est le consommateur qui toujours hésite, tandis que l’écriture c’est historien alias le maquereau qui se sucre sur le dos de la pute et de son client…
Jean-Luc Berlet.
café-philo du 8 janvier 2018
Mikhail Bozhiy. – « Vladimir Ilyich Lenin Standing » (Lénine debout), 1959-1961 © Odessa Fine Arts Museum, Ukraine / Bridgeman Images
Il y a la mémoire familiale et la mémoire nationale. Dans le cas du 11 novembre, les familles peuvent conserver chez elles des douilles d’obus gravées dans les tranchées, des cartes postales, des éléments d’uniforme que l’on commente et se transmet de génération. Si votre arrière-grand-oncle a fait la guerre sur le front d’Orient, cela lui valut de rester à Thessalonique jusqu’en 1920 vous ne comprenez pas pourquoi on apprend à l’école que la guerre s’était terminée en 1918 puisque, dans votre famille, vos aïeux l’avaient faite jusqu’en 1922. On voit ici comment la mémoire familiale et personnelle peut ne pas correspondre à la mémoire officielle d’un État.
On n’aborde pas non plus la Seconde Guerre mondiale selon que ses aïeux aient été dans la 2DB ou dans la milice, résistant ou soumis à l'occupation.
La construction mémorielle peut servir le projet politique d’un pays. La mémoire officielle ainsi se fossilise et devient histoire officielle. En histoire économique par exemple, on n’explique pas aux jeunes Français que les réseaux ferrés et énergétiques, les mutuelles sociales, l’école ont été créés par des entreprises privées. Tout semble être né en 1947 avec la mise en place de l’État providence et avec Jules Ferry pour l’école. Réfléchir à l’histoire réelle de ses œuvres sociales, à la façon dont elles ont été instituées et créées c’est remettre en cause le fondement même de leur légitimité. Allez donc expliquer que les piliers de la sécurité sociale ont été bâtis durant le régime de Vichy, qui subit encore les foudres de la damnation memoriae.
La mémoire emprunte souvent les chemins du mythe. Le mythe n’est pas forcément erreur ou fausseté, il a aussi sa part de vérité. Le mythe de Thésée et du Minotaure trouve son origine dans l’époque où Athènes était une colonie de la Crète. Celui de Jason et de la toison d’or rappelle la colonisation de l’Orient par les Grecs. À l’historien d’en démêler les fils et de comprendre aussi la fonction sociale du mythe, qui sert de cohésion à toute une société.
Mais l’historien, en lisant les textes, en analysant les fouilles archéologiques, en recoupant les données établies, agit comme un mythocide. C’est la méthode rationnelle et logique défendue par Thucydide dans sa Guerre du Péloponnèse. C’est la victoire du logos sur le muthos.
Si vous démontrez que l’école existait avant Jules Ferry, que les ouvriers avaient de très bonnes mutuelles privées avant la sécurité sociale, vous faites éclater la justification philosophique du monde social dont les mythes sont le fondement.
L’histoire est donc une science dangereuse. Elle est révisionniste (dans le sens où elle révise les faits acceptés).
Vercingétorix n’était pas le héros présenté dans les manuels de la IIIe République et la conquête totale de la Gaule par les Romains fut plutôt une bonne chose. Marignan n’est pas la grande victoire que l’on présente et l’Inquisition ne fut pas l’institution horrible que l’on décrit. La question posée est donc de savoir si une société peut être fondée sur la vérité historique, sachant que celle-ci s’affine au gré des découvertes, ou si elle doit forcément reposer sur la fausseté du mythe.
En étudiant les manuels scolaires, on découvre ce que pensent les enfants et donc la façon dont ils agiront trente ans plus tard, quand ils seront aux responsabilités économiques et politiques.