C’est dans sa comédie Les idées de Madame d’Aubray qu’Alexandre Dumas Fils a fait dire à son personnage cette petite phrase qui est proposé à notre « expertise » philosophique. Tout d’abord, il s’agit d’une phrase au mode impératif qui commence par un « il faut aimer » pour terminer par un « pourvu qu’on aime ». Ensuite, il y a cette singulière succession du n’importe qui, n’importe quoi et n’importe comment. Du coup, cette phrase vaut par la tension paradoxale entre son mode impératif qui renvoie au devoir et le n’importe qui, quoi et comment qui suggère plutôt l’anarchie. Cette assertion s’inscrit ainsi dans le prolongement du mot célèbre de saint Augustin « Aime et fais ce que tu veux »…
Cette phrase sonne aussi comme un appel vibrant à la liberté amoureuse par-delà toute hiérarchisation de l’amour. Elle fait étrangement écho à l’ouvrage du philosophe utopiste Charles Fourier Vers la liberté en amour. Fourier développe dans son essai une vision libertaire et intégrale de l’amour refusant toute hiérarchisation arbitraire entre ce qui serait digne d’être aimé et ce qui ne le serait pas. Il s’agit d’une part, d’une vision du monde qui érige l’amour en bien suprême et d’autre part, qui refuse toute hiérarchisation au sein de l’amour. Pour monsieur Fourier comme pour madame Aubray, il f aut tout aimer et de la manière que l’on veut. Le philosophe et la dame de salon se rejoignent dans leur éloge vibrant de ce qu’il convient d’appeler l’amour intégral. En bon socialiste évangélique, Fourier n’hésite pas à concilier pour l’amour les valeurs collectivistes et altruistes, puisqu’il soutient une forme de communisme érotique où l’on peut tout partager, y compris son partenaire amoureux. Les « phalanstères » fouriéristes établis aux Etats-Unis à la fin du 19e siècle serviront de modèles aux communautés hippies du 20e siècle. L’idéal hippie rejoint en grande partie l’idéal fouriériste d’amour intégral avec la libération sexuelle, l’égalité pour les femmes, le pacifisme et l’amour de la nature…
Sur le plan psychologique, c’est incontestablement les idées de Wilhelm Reich qui se rapprochent le plus de la phrase d’Alexandre Dumas fils. Le psychanalyste dissident de Freud a reproché à son maître de rester prisonnier de ses préjugés bourgeois à propos du sexe. Si Reich a salué le génie de Freud qui a vu dans la frustration sexuelle la cause principale des névroses, il a regretté que ce dernier maintienne la hiérarchie entre ce qu’on peut et ce qu’on ne peut pas faire en matière de sexe. La théorie reichienne de l’énergie orgonique constitue un véritable pansexualisme qui érige le sexe en Dieu. Reich est mort dans une prison américaine après avoir été condamné pour exercice illégal de la médecine et abus sexuel sur ses patientes, le rapport sexuel étant intégré à sa thérapie…
Aujourd’hui, c’est le mouvement Ecosexuel qui me paraît le mieux incarner cette phrase : « Il faut aimer n’importe qui, n’importe quoi, n’importe comment, pourvu qu’on aime ». Ce mouvement anglo-saxon prône l’amour de la terre avec l’encouragement à des actes érotiques avec la nature telles les caresses de la pelouse avec les pieds nus ou l’enlacement des arbres…Si les Ecosexuels prêtent à sourire, c’est moins le cas pour le philosophe australien Peter Singer qui cautionne la zoophilie sous le prétexte d’une liberté sexuelle élargie…
Jean-Luc Berlet
Café-philo du 5 février 2018.