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Paris, 1932. De 1909 à 1933, Émile Chartier dit Alain enseigne la philosophie au lycée Henri-IV. André Buffard/Roger-Viollet

Paris, 1932. De 1909 à 1933, Émile Chartier dit Alain enseigne la philosophie au lycée Henri-IV. André Buffard/Roger-Viollet

Un certain nombre d’universitaires rendent bien à Alain le mépris qu’il leur a toujours témoigné. Lui-même n’a pas craint d’écrire dans des journaux pour un public de non spécialistes. Il a toujours refusé le style académique et le jargon prétendument technique, considérant que la langue naturelle contient déjà la vérité et qu’il suffit de la faire sonner, comme font les poètes. Il est vrai que le journalisme tel qu’il l’entendait n’a rien de commun avec les médias d’aujourd’hui : il repose sur l’écriture et la lecture, et non sur l’image et le commentaire, et si les propos sont d’un jour, il faut qu’aussi bien leur auteur que leur lecteur prenne le temps de la réflexion. 

Alain ne pensait pas que la pensée soit une affaire de spécialistes et que la vérité ne puisse être comprise que par quelques-uns. Il intervenait dans les universités  populaires des débuts de la troisième république en un temps où les termes de« populaire » et de « peuple » exprimaient une certaine noblesse : il y a en effet une conception aristocratique du peuple, selon laquelle il peut et même doit être souverain et se gouverner lui-même, ce qui suppose qu’il ne se réduise pas aux passions et à l’ignorance des foules. Que tout homme soit capable de penser et même pense réellement, et donc soit capable d’accéder à la philosophie, cette foi qu’on pourrait dire aussi bien démocratique, ce refus de faire de la philosophie et des sciences une cléricature imposant au peuple de nouvelles croyances, est inséparable d’une certaine idée du savoir : il n’y a pas de rupture entre le savoir le plus élevé et celui de l’homme qui perçoit un cube, entre la science et la perception telle qu’elle est exercée par chacun. Toute la pensée est présente dans la perception ordinaire - c’est le sens de la philosophie de la perception d’Alain - et toute la sagesse est déjà dans l’expérience des choses humaines. C’est pourquoi le philosophe non seulement doit mais peut s’adresser à un grand public et ne pas s’enfermer dans le petit monde académique.  

Alain montre que dans la perception ordinaire nous ne cessons de nous corriger, de nous réveiller de nos rêves, et donc en ce sens il faut dire que le processus de rupture par lequel la pensée passe sans cesse d’une perception fausse à une perception vraie est déjà présent dans la perception la plus commune.

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