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Quelques réflexions autour du mot: transparence.
Situé au double croisement de la vue et du visible, de l’apparaître et de la constitution de l’image, le terme transparent est aujourd’hui l’un des témoins les plus révélateurs de la manière dont les Anciens regardaient le monde. Car pour la pensée antique et médiévale, il ne suffit pas qu’il y ait de la lumière et du solide pour que le mode puisse être vu dans ses couleurs et connu sous ses formes et espèces, il faut qu’il y ait aussi du διαφανής (diaphane), c’est à dire un milieu qui relie les choses entre elles et ouvre à travers lui la porte de la réception sensible et les portes de l’entendement. Dès lors, la transparence en vient à imprégner tacitement non seulement toute science optique, mais aussi toute la représentation du monde sous son double aspect sensible et intelligible, en opérant ainsi, par sa participation à la lumière, une véritable mutation entre le visible et l’invisible.
Que propose le dictionnaire historique de la langue française ? (Page 3895), tranparent: Adjectif et nom masculin, est la réflexion (vers. 1370, Oresme) d’après la forme latine trans du plus ancien trensparent (XIII°s), emprunté au latin médiéval transparens, -entis, composé de trans « à travers » et parere « apparaître ».
Le mot s’applique à ce qui laisse passer la lumière et paraître nettement des objets placés derrière; il s’emploie couramment ensuite pour « translucide » (1843), les deux mots distincts en terminologie.
Il a développé le sens figuré de qui ne cache rien, dans le domaine psychologique (v 1747) et qualifie des propos, un comportement qui sont aisément déchiffrables (1783).
Substantivé au masculin pour une plaque de verre, il désigne un panneau décoratif très fin éclairé par-derrière, il s’applique aussi à un motif décoratif sculpté à jour, en architecture et en sculpture et à une feuille de papier réglée servant à écrire droit par transparence, une sorte de diapositive.
En physique, la transparence désigne la capacité d'un matériau à ne pas interagir avec une onde. Dans le cas de l'optique, un matériau transparent a pour propriété de ne pas absorber la lumière. Cette propriété du matériau dépend cependant de la longueur d'onde.
L'appellation translucide est spécifiquement employée pour les ondes lumineuses du domaine visible. Les matériaux translucides ont la propriété de diffuser la lumière lors de sa transmission, ce qui rend l'observation au travers difficile ou impossible. Des matériaux transparents peuvent se comporter comme des matériaux translucides sous certaines conditions.
Les interactions entre la lumière, qu'elle soit du domaine visible, ultraviolet ou infrarouge, et la matière sont régies par les lois de l'électromagnétisme. En particulier, cela signifie que la transparence optique se définit par la non-absorption de l'énergie dans le milieu. Cependant cette propriété n'est pas identique pour toute longueur d'onde, et la transparence ne se définit que pour un spectre lumineux donné.
Le phénomène de diffusion est un obstacle à la transparence. Il se produit lorsque le milieu contient des particules de petite dimension.Le brouillard est un exemple de gaz diffusant la lumière et diminuant la transparence.
L’étymologie permet également de comprendre les sens d’un mot. Transparence vient du latin médiéval transparens, composé de trans- (« à travers ») et parens, participe présent de parere (« paraître »). trans; préfixe qui donne le sens de passer d’ici à là, passer à travers, passer outre, être au-delà. Le Gaffiot dictionnaire latin français donne, trans, prép. avec acc., au-delà de, par-delà (p1591).
Puis pour approfondir, la traduction grecque est διαφανής (dhiafanís) issu de διαφαίνω mot composé de διά, diá (« au travers ») et de φαίνω, phaínô (« briller, paraître »).
διαφανής (« transparent »), διαφάνεια (« transparence »), διάφασις (« transparence »)
En chinois 透明 (tòumíng), composé de 透 (tòu) (pénétrer), et de 明 (míng) (lumineux).
Ces définitions proposent un cadre sémantique. Au-delà de ce cadre, nous pouvons trouver les synonymes et le nuage sémantique du mot transparent.
Clarté.
• clarté, intelligibilité, limpidité, transparence
• clarté, limpidité, netteté, transparence
• clarté, transparence, verre
Cristal.
• cristal, limpidité, transparence
• cristal, transparence, verre
Délicatesse.
• délicatesse, transparence
Intelligibilité.
• clarté, intelligibilité, limpidité, transparence
Invisibilité.
• invisibilité, transparence
Limpidité
• clarté, intelligibilité, limpidité, transparence
• clarté, limpidité, netteté, transparence
• cristal, limpidité, transparence
• limpidité, liquidité, transparence
Liquidité
• limpidité, liquidité, transparence
Netteté
• clarté, limpidité, netteté, transparence
Translucidité
• translucidité, transparence
Transparence
• clarté, intelligibilité, limpidité, transparence
• clarté, limpidité, netteté, transparence
• clarté, transparence, verre
• cristal, limpidité, transparence
• cristal, transparence, verre
• limpidité, liquidité, transparence
• délicatesse, transparence
• invisibilité, transparence
• translucidité, transparence,
verre
• clarté, transparence, verre
• cristal, transparence, verre
Deux antonymes; épaisseur, opacité.
Couverture de Il vetro (octobre 1938), proclamant le verre comme matériau autarchique. Le panneau de verre est tenu par un Balilla (traduit en gros par un scout fasciste). Il vetro était l'organe officiel de la Federazione Nazionale Fascista degli Industriali del Vetro.
écorché au bras levé de Houdon
Lors de l’exposition universelle de 1937 à Paris s’ouvre une manifestation intitulée « Les étapes du progrès » qui réunit au Palais de la Découverte la version du bronze écorché au bras levé de Houdon, un modèle anatomique de référence depuis la fin du XVIIIe siècle, et l’homme de verre de Franz Tschackert un mannequin en plastique transparent, truffé d’ampoules censées représenter les grandes fonctions vitales.Confrontation entre l’homme ancien et l’homme moderne entre l’homme de bronze et l’homme de verre. Alors que l’homme de bronze en équilibre fragile semble plongé dans une anxieuse méditation à l’aube de l’ère des machines et de la biologie, l’homme de verre en appui sur ses deux jambes, les bras dressés en V triomphe en symbole de l’homme nouveau.
L’idée de l’homme transparent a bien sûr partie liée avec la volonté de tout savoir sur le corps, avec la quête d’un regard omniscient. Mais elle renvoie à un corps de lumière d’un corps immatériel, dune idéalité de corps. Or la recherche du corps idéal va souvent de pair, comme chez les néo-platoniciens, avec la honte d’avoir un corps, notamment chez Plotin, et avec le désir de s’en délivrer en évacuant tout ce qu’il y a de charnel, d’humoral, de putrescible dans l’organisme, autrement dit tout ce qu’il y a d’impur. En cela l’homme de verre réalisé pour le Deutsches Hygiene Museum de Dresde, rejoint l’un des principes fondateurs de la sculpture antique, associer l’idée de perfection du corps à celle de pureté du matériau dont l’œuvre est composée. Le traité sur la gymnastique de Pilostrate, remis au jour par les théoriciens de l’eugénisme dans la seconde moitié du XIXe siècle vante le corps d’athlète « composé comme les statues très précieuses de matériaux non mélangés et purs, exempts de boue et de limon ». Cette opposition entre corps purs, cristallins et la boue, milieu de la pourriture et de la décomposition, semble refléter à elle seule le simplisme manichéen d’une époque qui a perdu la possibilité de penser l’unité du monde autrement qu’en termes antithétiques.
Le jeune Hans Castrop dans « La montagne magique » conserve pieusement la radiographie de celle qu’il aime platoniquement, la silhouette spectrale de son cœur, son « anatomie lumineuse » dit Thomas Mann, avant de finir dans la boue des tranchées. Robert Musil dans « L’homme sans qualités » formule ambivalente portée aux extrêmes en la comparant à de « l’eau croupie dans un verre de cristal ». L’homme écartelé entre un corps idéal, immatériel, aseptisé et un corps charnel, travaillé par la corruption et la dégénérescence, Musil ne renonce pas à choisir le seul corps possible, le seul qui soit encore humain : « Tout homme portait en soi un corps de lumière, mais les meilleurs se contentaient de vivre dans un corps de pêché. »
Le 9 novembre 1938 a lieu en Allemagne la première opération ouvrant à la barbarie : la Nuit de cristal.
l’homme de verre de Franz Tschackert
Que se passe t'il lors de la traversé de l'au travers; De Trans à l’entre.
au travers de
- En allant d’un bord à l’autre, en traversant.
- Désigne un passage qu’on se fait entre des obstacles, ou en traversant, en pénétrant un obstacle.
De Trans à l’entre Mais qu’y a-t-il dans ce traversé ? Qu’est-ce que ce transparent au travers duquel mon regard voyage ?
Il y a l’épaisseur de la transparence, la feuille la plaque de verre, qu’y a-t-il de au milieu des côtés de la transparence, l’entre. Si la transparence est au-delà, il y entre, entre moi et là bas, derrière.
L’entre est un nom lieu il ne se conçoit que par l’autre que soi. Il est sans détermination qui lui revienne, ne possède rien en propre, n’a pas d’essence, pas de propriété.
L’entre n’est pas. μεταξύ (metaxis) μετά, metá les Grecs ne l’ont pas reconnu, ainsi n’ont-ils pensé que la présence ou l’absence ou encore le vide et le plein, le manque ou la satisfaction. Fasciné par les extrémités qui seules se détachent, possèdent des caractéristiques, qu’on peut distinguer et dont on peut faire des différences dont on peut constituer des essences donnant lieu à des définitions, les Grecs ont négligé l’entre-deux, le contenu du trans parents, la transition échappant aux assignations. N’ayant pas su voir et donner consistance à l’entre il ne pouvait promouvoir que l’au-delà. Le méta. Le trans ou le méta atteignent un au-delà à l’état de repos. Le dialogue de Calliclès avec Socrate, antagonisme du tonneau plein à ras bord nous délivrant définitivement du désir ou du tonneau percé relançant celui-ci sans arrêt. Le tans est versé sans combler, puiser sans épuiser. Alternance pondérante. Etat de continuel échange se gardant bien des états de vide ou de plein états complets et figés. La pensée grecque pense la perception visuelle, distinguante, assignante, construisant l’objet, fascination de l’extrémité. Touchant le bout on le connaît. L’entre ne valant plus que comme intervalle aisé à enjamber. Intervalle relatif que son indétermination condamne à ne pas être alors que les deux extrémités seules déterminées εἴδω eido (forme du corps) species (vue aspect espèce) fera toucher l’absolu.
Les extrémités sont tapageuses, l’entre est discret. L’entre tient.Ce ne sont pas des limites, mais du passage de l’une à l’autre que vient la clarté. EN grec l’en vue de quoi dit le but, ou le par quoi dit la cause structurant fonctionnellement la pensée.
La préposition de l’entre μεταξύ metaxu sert l’intermédiaire entre l’ignorance et le savoir tel est l’entre de l’opinion chez Platon ou encore dans le poème de Socrate, Diotime représente Éros non pas comme un extrême de pureté, mais plutôt comme un « démon » au sens du grec δαίμων, Éros se trouve entre les dieux et les humains.
Dans sa physique Aristote, ne sait pas penser la note médiane en musique, ou le gris parmi les couleurs (physique V 224 b). Cette note médiane est grave par rapport à la haute et aiguë par rapport à la basse.
Si donc le changement procède l’entre ou de l’intermédiaire, c’est que celui-ci n’en reconduit pas moins pour lui même sur un mode mineur, le statut d’extrême en servant de contraire à l’un ou l’autre opposé comme le dit Aristote « cet intermédiaire est d’une certaine façon les extrêmes » To metaxu ta kra.
Il faut donc explorer autrement l’entre quand celui-ci n’est plus réduit au statut d’intermédiaire ou de degré, mais se déploie comme l’à travers laissant passer, d’ou procède et se déploie tout avènement. Il est par ou passe.
Braque a dit « ce qui est entre la pomme et l’assiette se peint aussi. » L’entre-deux est aussi capital que l’objet.
La vertu de l’entre et de l’à travers est qu’ils ne reportent pas, comme le fait le méta ou l’au-delà, ni ne contiennent et ne bornent, comme le fait toute assignation. Elle est le maintenir évasif et par là le déploiement infini, mais sans quitter le sensible ni renoncer à la phénoménalité des choses. Désappropriant le physique et le sensible, affranchissant les démarcations cloisonnantes l’entre l’épaisseur de la transparence fait circuler, émaner, au lieu de laisser s’enliser dans une arrivée, elle ouvre sur un dépassement. Pour un marcheur c’est le parcours d’un paysage. L’entre est la source de l’inépuisable, cet entre laissant passer soit au départ d’un déploiement qui n’en finit pas, c’est ce que révèle, plus crucialement, la ressource de l’intime se développant entre les sujets. Car il faut se demander pourquoi l’intime qui s’ouvre entre les sujets est ce qui seul en eux ne tarit pas. L’intime qui s’ouvre entre des sujets n’est attribuable pas plus à l’un qu’à l’autre, et n’a donc son destin lié à la qualité de l’un ou de l’autre, qualité toujours menacée de ne plus pouvoir être dépassée, atteignant son extrémité. On ne sait plus dans cet entre ouvert par l’intime à qui des deux l’intime est dû. Quelle existence peut -il avoir lui qui est sans essence. L’entre défait la privauté (Ensemble des libertés que permet l’intimité d’une relation entre les individus) de sujet. L’entre ouvre un champ d’intentionnalité partagée et comme cet entre n’appartient à aucune des deux extrémités il ne se tarit pas de la limitation des sujets, sa ressource ne s’épuise pas; de l’au-delà s’y découvre de l’intérieur.