Le désir est-il un frein à la raison?
Le désir semble être un mot simple. Mais quels sens se cachent dans ses cinq lettres?
Désir est le déverbal de désirer, passage de l’action à l’objet, du verbe au nom, l’action de désir, ou le résultat de cette action. Les définitions du dictionnaire nous proposent: vouloir posséder un bien ou un avantage qu’on n’a pas; souhaiter, entendu dans l’expression « vous désirez? »C’est aussi éprouver un désir charnel pour un homme ou une femme, avoir envie de faire l’amour avec cette personne.Les synonymes sont: convoiter, espérer, souhaiter, vouloir. Il se traduit par; wünschen, desire, Espagnol : desear, ἱμείρω, יאל , desiderare…
Du latin desiderare (« regretter l’absence de quelqu’un ou quelque chose »), dérivé de sidus, sideris (« constellation, étoile ») : dans la langue des augures ou des marins, constater l’absence d’un astre signifiait déception, regret, au contraire de considerare, constater sa présence et par extension « considérer, examiner attentivement ».
Le désir désigne la sensation d'attraction et d'attente à l'égard d'une personne, d'un objet, d'une situation ou d'un futur. Le désir et son contentement engendrent une tension chez l'individu qui le ressent et qui cherche à résoudre celle-ci pour combler le manque induit. La satisfaction du désir ou l'obtention de l'objet désiré mène - à différentes échelles de durées - à la jouissance, la joie, ou au bonheur. De nombreux philosophes ont analysé le désir sous ses différentes implications. Platon dans Le Banquet, évoquait l'idée que le désir se fixe sur ce dont on manque. L'invention par soi d'un objet de satisfaction potentielle est à l'origine du besoin de réaliser la possession de cet objet. Pour d'autres, comme Thomas Hobbes, le désir est par essence à l'origine de la motivation de toutes les actions humaines.
Les philosophes, depuis les origines de la philosophie, se sont demandé quelle place faire aux désirs. Les réponses sont très variées. Dans le Phédon, Platon expose l'idée d'une vie ascétique où l'homme doit lutter contre les turbulences de son corps ; les Cyrénaïques, au contraire, font de la satisfaction de tous les désirs le bien suprême. Toutes ces réflexions ont conduit à de nombreuses distinctions et classifications, par exemple chez Épicure.
La morale épicurienne est une morale qui fait du plaisir le seul bien, et de la douleur le seul mal. Pour atteindre le bonheur, l'ataraxie), l'épicurien suit les règles du quadruple remède, appelé le Tetrapharmakos : les dieux ne sont pas à craindre ; la mort n'est pas à craindre ; la douleur est facile à supprimer ; le bonheur est facile à atteindre.
Selon Épicure,
« Parmi les désirs naturels, les uns sont nécessaires pour le bonheur les autres pour le fait de vivre » (Lettre à Ménécée).
Pour Épicure, l’arithmétique des désirs se distingue à la fois de l'ascétisme, où l'on se donne pour règle de ne rechercher qu'une vie frugale pour respecter une loi « morale », et de la débauche, qui entraîne des souffrances du corps et des troubles de l’âme.
Les usages philosophiques.
Les philosophes s’écartent du langage ordinaire, ils utilisent souvent le nom commun plutôt que le verbe. De plus, l’usage philosophique est hésitant. On donne un sens plus ou moins large à la notion selon les contextes : la plupart du temps, le désir est un type de souhait très précis, qui se distingue d’autres genres de souhaits. D’autres fois, le désir est une notion beaucoup plus large : n’importe quel souhait peut être vu comme une forme de désir. Cette tension entre deux usages est peu mentionnée dans les dictionnaires de philosophie. Soit ils fusionnent les deux sens en une seule définition ; soit il focalise son analyse sur un des sens et ignore l’autre.
Tout se passe comme si le sens philosophique « large » de désir n’était pas légitime ou n’existait pas. Pourtant, il est nécessaire de l’avoir en tête pour comprendre certains textes sur le désir.
Qu’est-ce que le désir ?
Est-il un souhait irrationnel, obsédant et impossible à satisfaire, qui porte sur la possession de quelque chose ? On dit souvent que le désir est un manque que rien ne peut combler.
Celui qui éprouve du désir est un sujet humain, et il voit l’objet de son désir comme un bien, un élément positif.
Un désir peut-il être rationnel? L’irrationalité est-elle constitutive du désir?
Le désir est obsédant, il cause un trouble. Celui qui désire pense sans cesse à l’objet désiré, il en parle en permanence. Le désir influe sur son comportement et interfère avec le reste de son existence. Un désir est quelque chose qui occupe l’esprit.
Le sujet désirant est un humain conscient de son désir. Celui qui désire sait qu’il désire et sait ce qu’il désire. Par opposition, celui qui a un besoin peut ignorer complètement son besoin.
Il est dit que le sujet désirant ressent un manque. L’objet désiré est alors pensé comme ce qui va combler ce manque, qui va le faire disparaître et apaiser l’individu. Cette description classique va toutefois à l’encontre de l’opinion : le désir ne peut pas être comblé. L’apaisement recherché ne peut être que temporaire, s’il n’est pas purement illusoire.
Désir et plaisir
Les notions de désir et de plaisir sont souvent liées. Le désir est orienté vers un plaisir futur, ou est lui-même source de plaisir. On peut à la fois éprouver du plaisir à désirer, tirer du plaisir de la possession de la chose, et en tirer de son usage. Ces situations peuvent aussi rester théoriques : il n’est jamais garanti que le désir cause du plaisir. Ce n’est pas parce qu’on espère un plaisir ou qu’on s’attend à en ressentir que ça va forcément arriver.
Il arrive qu’on obtienne l’objet désiré. On peut alors ressentir une forte satisfaction, du plaisir, mais aussi de la déception ou de la désillusion.
Face à l’objet, on prend conscience de l’écart entre la chose réelle et ce qu’on imaginait. L’aura de l’objet disparaît et nous ne le désirons plus. Sa banalité est flagrante. Déception.
La déception conduit à ne pas réaliser tous les désirs. Il pemet de ne pas obtenir l’objet souhaité, anticipant la désillusion et reconnaissant l’irrationalité du désir.
Ce renoncement volontaire n’arrête pas le désir. Il permet continue d’être attiré par l’objet, mais il n’essaie plus de le posséder. Ce choix est parfois une façon de conserver son désir, de garder ses aspects agréables. Ça peut aussi être un moyen de contrôler son désir, de le calmer en refusant l’objet.
La tradition philosophique dévalorise souvent le désir. Il est rangé du côté du corps, de l’irrationnel. On le présente comme un obstacle : le désir nuit à l’autonomie et la liberté. Il freine la partie rationnelle de l’homme, il nous aliène et nous écarte de qui nous sommes vraiment.
Cette vision s’intègre dans un cadre de pensée qui dénigre le corps et la matière. L’humain est vu comme un être composé : il a une part rationnelle, voire immortelle, et une autre part physique, voire animale. Dans cette tradition, c’est bien sûr l’aspect rationnel qu’on valorise. Le désir est alors critiqué et combattu.
Le vocabulaire autour du désir porte la marque de cette tradition. On parle de « dominer » le désir, on regrette son « emprise » sur nous ou sa tyrannie ». Ceux qui veulent contrôler leur désir « luttent », ils veulent se « libérer du désir » et cherchent la « paix ». C’est un lexique de la violence et de la guerre qui n’a rien d’anodin et qui mérite d’être remarqué.
Il est suggéré que l’objectif de maîtriser ses désirs est lui même issu d’un désir. Il y aurait un désir de rationalité, d’autonomie. Ce désir pousserait inconsciemment à vouloir contrôler les autres désirs, irrationnels.
Ces conceptions utilisent cependant un sens particulier de « désir ». Le désir de rationalité ne correspond pas à la définition standard du désir.
On utilise alors un sens « large » de désir et on abandonne le vocabulaire guerrier. Le désir devient une simple attraction. On peut alors classer les désirs, en distinguer différents types. Toutefois ces usages peinent à cerner les limites du désir. L’extension de désir devient très vaste, et sa distinction avec d’autres réalités beaucoup plus floue.
Ce que le désir n’est pas
Le désir n’est pas le besoin. Le besoin est nécessaire à la vie. Il est lié au corps et n’est pas propre à l’homme : les plantes et les animaux ont des besoins. À l’inverse, le désir est un phénomène humain et n’est pas lié à la survie. On peut désirer ce dont on a pas besoin… ou avoir besoin de ce qu’on ne désire pas.
Le désir n’est pas la volonté. Une volonté est par définition rationnelle. Elle présente une dimension intellectuelle, voire un détachement par rapport au corps. Certaines théologies parlent de la volonté de Dieu : un être comme Dieu peut vouloir, mais pas désirer.
Le désir n’est pas l’envie. Une envie ne dure pas : elle est éphémère. Elle est moins intense qu’un désir et peut être satisfaite. Certains désignent l’envie comme « désir soudain et passager ». Ce n’est pas parfaitement exact, mais cela signale bien la proximité des deux notions.
Contre la vision négative du désir, plusieurs penseurs ont cherché à revaloriser le désir. Des philosophes comme Spinoza, Nietzsche, ou Deleuze insistent sur le caractère positif du désir.
Chez Spinoza par exemple, le désir n’est plus un attribut strictement humain. Tout ce qui est désir : le désir est un effort pour continuer à exister qu’on rencontre chez tout être. Ce n’est plus un phénomène uniquement psychique : il peut relever de l’ontologie, de la physiologie, de la physique ou encore la de la politique. Il est l’essence de toute chose, même si sa forme humaine a des spécificités.
Les philosophes qui repensent la notion risquent cependant de ne plus parler de la même chose que les autres. Ils utilisent un sens de désir clairement distinct du sens classique. Ils définissent la notion d’une façon nouvelle, plus large.
Il y a bien des usages alternatifs de l’idée de désir, mais ils n’ont pas suffisamment d’unité. Il n’y a pas concept de désir. On peine à en extraire une définition à la fois précise, consensuelle, et détachée d’un auteur donné. Ces usages de « désir » ont un air de famille, mais ils ne forment pas nettement un sens à part entière.