Il n’est pas sûr que la philosophie doive parler de dieu, il n’est pas sûr qu’elle le puisse. Dieu semble être un objet théorique qui relève de la théologie, c’est-à-dire du discours sur les choses divines. C’est chez Platon, dans la République, II 379 a, que le terme de theologia apparaît pour la première fois. Les protagonistes du dialogue entendent bien parler des dieux. La philosophie invente la théologie. La notion ou l’objet théorique dieu ne relève pas naturellement du travail de la raison et il ne se présente pas directement comme un concept.
L’alliance entre le dieu biblique et ceux qui le reconnaissent semble reposer sur la connaissance par la foi en opposition totale de l’homme d’avant la chute, l’Adam.
1. 32, Mais voici quelle alliance je conclurai avec la maison d’Israël, au terme de cette époque, dit l’Éternel : je ferai pénétrer ma loi en eux, c’est dans leur cœur que je l’inscrirai ; je serai leur Dieu et ils seront mon peuple.
2 33 Et ils n’auront plus besoin ni les uns ni les autres de s’instruire mutuellement en disant : « Reconnaissez l’Éternel ! » Car tous, ils me connaîtront, du plus petit au plus grand, dit l’Éternel, quand j’aurai pardonné leurs fautes et effacé jusqu’au souvenir de leurs péchés »
La connaissance de dieu se prête-t-elle à une quête au sens philosophique du terme, un processus référentiel méthodique ? Il y a bien place pour une recherche, dont la raison peut en être l’agent. La philosophie tend à la théologie puisque vouloir penser dieu est une manière de revendiquer l’état prélapsaire, état de connaissance et de perfection.
Dans sa Métaphysique, Aristote part d’une réflexion sur l’être et la science qui en traite, c’est-à-dire la philosophie, science de l’être en tant qu’être, et abouti à une fusion entre l’ontologie et la théologie ; Livre L. Dieu devient fondement théorique de la philosophie. Ainsi naissent les dieux de la philosophie aussi divers que les penseurs qui les créent. Loyal et garant chez Descartes, opérateur de la connaissance chez Malebranche, la réalité même chez Spinoza. Le dieu devient un objet d’argumentation rationnelle et non plus matière de croyance.
Penser dieu, l’objet dieu, c’est penser l’homme. Il ne faut pas seulement considérer l’objet dieu, mais comprendre comment cet objet agit. Sur le monument dresser à la mémoire de Feuerbach à Nuremberg, on pouvait lire : « L’homme créa dieu à son image ». Cette inversion de la parole scripturaire montre que toute figure de dieu donne à penser l’homme. La philosophie étudie les dieux comme miroir de l’humain et de son histoire. Penser dieu permet de penser la perfection possible de l’homme, ou au moins de penser parfaitement l’homme. Penser dieu ou son absence suppose d’abord une interrogation sur l’homme.
Le dieu est l’objet philosophique. L’objet par excellence qui permet de penser l’homme. Il est mis à l’épreuve de la capacité de la philosophie à se saisir des objets les plus sombres, les plus obscurs, réels ou imaginaires. Il est objet philosophique parce qu’il ne trouve jamais d’élucidation définitive. La philosophie pourrait être ce qu’Anselme de Canterbury affirme :
1. « Penser dieu n’est pas seulement penser un plus grand que tout, mais faire l’épreuve de l’impensable ».
La pensée de dieu et la pensée de l’inconnue et sans doute faut-il suivre Nicolas Krebs ( Nicolas de Cues ) :
1. « Il convient que nous soyons doctes dans une certaine ignorance au-dessus de notre appréhension, afin que, sans saisir la précision de la vérité telle qu’elle est, nous soyons du moins amenés à voir qu’elle existe, elle que nous n’avons pas la force de comprendre ».
2. De la docte ignorance.
Philosopher sur des objets sombres et obscurs est un exercice périlleux, relevant du domaine de l’impossible. Comment raisonner sur des objets philosophiques, infinis, impalpables, indicibles, invisibles, inouïs ?
Le café controverse se propose de construire une argumentation à partir d’un objet au sens étymologique du terme : jeter devant
1. « toute chose qui affecte les sens, et en particulier la vue… tout ce qui se présente à la pensée, qui est occasion ou matière pour l’activité de l’esprit »
2. N. Oresme, Éthiques, livre X, chap.VI