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Kierkegaard ou l’angoisse conceptualisée

(atelier-philo du 30 avril 2006)
llustration:portrait par Niels Christian Kierkegaard

« L’angoisse est la possibilité de la liberté ; seulement, grâce à la foi, cette angoisse possède une valeur éducative absolue ; car elle corrode toutes les choses du monde fini et met à nu toutes leurs illusions.  »   Sören Kierkegaard

Sören Kierkegaard (1813-1855), surnommé parfois le Socrate de Copenhague, mérite incontestablement son « titre » de père de la philosophie de l’existence. D’ailleurs, parmi tous les philosophes rangés dans cette catégorie, qu’ils soient croyants ou athées, aucun ne conteste la paternité spirituelle du philosophe danois. Avec Kierkegaard, c’est une nouvelle manière de philosopher qui prend corps en opposition radicale avec la philosophie universitaire incarnée alors par la figure monumentale de Hegel. C’est précisément à travers son opposition radicale au maître de Berlin que le « dandy » de Copenhague élabore sa propre conception de la philosophie. Il reproche à la philosophie spéculative hégélienne de figer la vie dans des concepts abstraits et de reléguer le tragique de l’existence individuel  au rang de l’insignifiance en face de la logique du processus historique.

Pour Kierkegaard, le tragique de l’existence humaine se manifeste avant tout par l’angoisse dont il fait une analyse géniale dans son ouvrage le plus significatif à mon sens :  Le concept de l’angoisse. Le titre du livre montre à lui seul la visée polémique de Kierkegaard à l’encontre de Hegel, le terme de concept associé à la notion d’angoisse étant une parfaite absurdité du point de vue hégélien. Comment un affect aussi subjectif et personnel que l’angoisse pourrait faire l’objet d’un concept philosophique devant par définition être généralisable ? Cette question nous plonge directement dans le paradoxe de la foi où la faute d’un seul homme condamne le genre humain tout comme la réparation d’un seul homme peut le sauver. Le coup de génie de Kierkegaard dans ce livre est de parvenir à rattacher la dimension sexuelle de l’angoisse à sa dimension ontologique. A travers Le concept de l’angoisse, Kierkegaard engendre à la fois Freud, Sartre et Heidegger, ce qui me permet d’affirmer que ce petit livre est une sorte d’acte fondateur pour toute la pensée contemporaine !

Kierkegaard cerne l’angoisse sous son double registre à la fois psychologique et ontologique en révélant ainsi son point névralgique. Sur le plan psychologique, l’angoisse est lié au sentiment de culpabilité, ce que Kierkegaard illustre à travers son analyse du récit de la chute dans la Genèse. C’est précisément l’observation clinique d’un tel sentiment de culpabilité lié à la sexualité qui permettra à Freud d’engendrer tout l’édifice de la psychanalyse. Sur le plan ontologique, l’angoisse est lié à cet étrange mélange d’effroi et de fascination que suscitent en l’homme le néant et la mort, intuition fulgurante que Sartre et Heidegger développeront avec talent sans oublier leur « dette » intellectuelle pour le philosophe danois. Pour Kierkegaard, le point de jonction entre ces deux dimensions de l’angoisse se trouve dans la liberté. Dans le jardin d’Eden, Adam est angoissé par sa liberté du possible, car il peut violer l’interdit divin à tout instant. Le paradoxe insoutenable soulevé par Kierkegaard est celui d’une loi morale qui incite  l’être libre à la faute et qui pourtant est nécessaire pour extraire l’homme de l’animalité. Dans l’expérience de l’angoisse du néant l’être humain éprouve un sentiment de vertige ontologique face à l’infini des possibilités qu’engendre sa liberté. Dans le vertige physique, on est attiré par le vide qui pourtant nous effraye, tandis que dans le vertige métaphysique, on est fasciné par le néant qui est en même temps source d’effroi. Mais cette épreuve de l’angoisse est précisément pour Kierkegaard ce qui forme l’être humain à l’authenticité de la liberté….    


Bibliographie :
Sören Kierkegaard,
Le concept de l’angoisse
Etapes sur le chemin de la vie
Léon Chestov,
Kierkegaard et la philosophie existentielle.   

 

                                                  Jean-Luc Berlet 
Tag(s) : #Textes des cafés-philo

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