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Greuze Jean-Baptiste ( 1725-1805 ) Étude pour Le Fils puni ; tête de jeune homme exprimant la douleur Paris, Musée du Louvre.

Greuze Jean-Baptiste ( 1725-1805 ) Étude pour Le Fils puni ; tête de jeune homme exprimant la douleur Paris, Musée du Louvre.

« La souffrance! Mais c’est l’unique cause de la conscience ».

Dostoïevski

 

Le Bouddha nous a enseigné que toute existence était souffrance et qu’en conséquence il fallait cesser d’exister pour cesser de souffrir. Or, pour cesser d’exister, il faut cesser de désirer d’où la voie aride de l’extinction du désir menant au Nirvana, un état indéfinissable de vacuité pleine ou de plénitude vide?

Le fait de renverser la proposition bouddhique en plaçant la souffrance avant l’existence lui donne un sens entièrement différent. Dire que souffrir signifie exister revient à donner à la souffrance un rôle existentiel de la plus haute importance, alors que précisément le bouddhisme lui refuse la moindre valeur. C’est la philosophie de l’existence initiée par Kierkegaard qui affirme pour la première fois de manière cohérente que souffrir veut dire exister. Pour le philosophe danois, l’homme doit traverser l’épreuve de la souffrance pour exister authentiquement. La philosophie de l’existence affirme que le philosophe est toujours à l’épreuve de sa biographie et qu’il doit penser à partir de « l’écharde dans sa chair ». Ainsi, Karl Jaspers évoque les situations limites qui permettent à l’homme de rencontrer la Transcendance, c’est-à-dire d’exister authentiquement. Face à des situations limites comme la maladie, la mort ou l’échec, l’être humain a  l’occasion. Les penseurs russes comme Chestov ou Dostoïevski abondent dans ce sens de façon plus « passionnelle » en voyant dans la souffrance une vertu purificatrice pour l’existence.

Pourtant, s’il est indéniable que la souffrance peut s’avérer être un facteur révélateur de notre existence dans ce qu’elle a de plus singulier, il est contestable qu’elle soit la seule. Après tout, pourquoi la douleur, l’angoisse, la mort ou l’échec seraient plus à même de nous révéler notre existence que le plaisir, l’amour, la vie ou le succès? Pourquoi privilégier les chocs négatifs au détriment des chocs positifs? De quel droit peut-on affirmer que le sentiment de sa mortalité ou que la rupture de ses fiançailles constitue des expériences plus propres à nous révéler l’existence que le fait de donner la vie ou tomber amoureux? Et d’où nous vient ce morbide préjugé selon lequel la souffrance rendrait lucide et la jouissance stupide? En fait, le drame est que l’histoire de la philosophie a davantage retenu les philosophes « pessimistes » que les optimistes, si bien qu’il est plus difficile de donner un écho philosophique à la jouissance qu’à la souffrance. 

En fin de compte, s’il est vrai que souffrir veut dire exister, il est tout aussi vrai que jouir veut également dire exister. Car exister, c’est éprouver sa vie, sentir vibrer son âme et son corps. Exister, c’est rechercher la jouissance, la sienne comme celle d’autrui, au risque de la souffrance…

 

« Le plus grand exploit de ma vie est d’être encore en vie. »

E.M Cioran

 

(café-philo du St René le 8 mars 2006) 

Jean-Luc Berlet

 
 
Tag(s) : #Textes des cafés-philo

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