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99-007476.jpg Dieu est-il amour ?
« Dieu est l’amour…Tu ne peux même pas te représenter comme Il souffre, car Il sait parfaitement combien la souffrance te fait mal. Mais il ne peut changer, car il lui faudrait alors devenir autre chose qu’amour.»
Sören Kierkegaard

Dieu est-il amour ? En ce début de siècle où le retour à la barbarie semble de plus en plus évident, cette question peut sembler être une provocation. Comment croire en un Dieu d’amour dans un monde où un forcené peut tuer 33 personnes en se comptant dans une Université de Virginie ? Or, ma démonstration « scandaleuse » consistera ici à montrer que s’il existe, Dieu ne peut qu’être amour. Voici le syllogisme audacieux que je défends : Dieu est amour, or il y a de l’amour, donc il y a probablement un Dieu !
Commençons notre périple en Grèce ancienne avec Platon. Dans Le Banquet, Socrate n’hésite pas à présenter Eros, le dieu de l’amour comme le plus important de tous les dieux. Pour les Grecs, Eros n’est pas seulement le dieu de l’amour, mais il est aussi le dieu cosmique de l’union des contraires. Né de l’union de Poros, la richesse et de Pénia, la pauvreté, Eros est paradoxalement un dieu à la fois très puissant et très vulnérable, cette remarque ayant une importance capitale pour la suite de ma démonstration !
A bien des égards, l’Eros des Grecs peut être rapproché du Tao des Chinois, car dans les deux cas on pose un Principe ontologique à la base de la totalité du réel. Le taoïsme constitue d’ailleurs une sorte d’ontologie sexuelle où les êtres sont les fruits de l’étreinte entre le Yin et le Yang. Il n’a certainement pas échappé à Newton, qui était croyant, que la loi de la gravité présentait une étonnante analogie avec une sorte d’attraction sexuelle entre les êtres. Et bien avant, certains théologiens catholiques à l’imagination féconde considéraient que les choses tombaient parce qu’elles étaient « lascives » comme les femmes qui les tentaient…
Mais que devient l’idée grecque d’Eros dans sa récupération chrétienne ? En fait, le christianisme opère une gigantesque sublimation de l’Eros au sens freudien du terme en inventant l’Agape, l’amour altruiste et sacrificiel. Or, les Grecs n’avaient que deux termes pour l’amour, Eros et Philos, l’amour intellectuel. Les Stoïciens ont inventé une très belle expression pour unifier ces deux amours en apparence incompatibles : le logicos spermaticos ! Ce terme étrange permet de rendre compte de l’union intime entre le Logos et l’Eros, la raison ayant besoin d’être fécondée par l’amour pour engendrer des fruits. Cette idée se retrouve dans l’hindouisme d’une manière bien plus imagée avec l’étreinte charnelle entre Shiva et son épouse Shakti. D’ailleurs, c’est dans toutes les religions à l’exception du monothéisme que le Divin est pensé sous le mode d’un couple originel ou d’un androgyne principiel. Tout se passe comme si l’érection d’un Dieu uniquement paternel correspondait psychologiquement à un refoulement de l’amour sexuel…C’est d’ailleurs cette entreprise de déféminisation du Divin qui engendrera l’athéisme dans le monde occidental, la sévérité de la loi morale divine n’étant pas compensée par la tendresse d’un cœur féminin ! L’athéisme est d’ailleurs une position fondamentalement sentimentale qui ressemble à un chagrin d’amour. Pourquoi un philosophe aussi intelligent que Diderot dit perdre la foi parce que sa mère est morte ? Ne pouvait-il pas rester déiste à l’image de Voltaire avec son Dieu horloger, indifférent aux souffrances humaines ? Et de tels athées ne sont-il pas paradoxalement plus proche du Dieu des Evangiles que tous ces théologiens et ces philosophes qui s’épuisent à vouloir rationaliser Dieu ? C’est en tout cas ce que pense Léon Chestov à travers son livre sur Kierkegaard. Le philosophe russe a bien vu qu’il n’y avait pas de grande différence entre un Nietzsche niant Dieu à cause du constat de la souffrance universelle et un Kierkegaard affirmant précisément Dieu à cause de cette souffrance ! Pour Kierkegaard, l’Humanité est à Dieu ce que Régine Olsen fut pour lui : un amour perdu dont il ne s’est jamais réellement.

Jean Luc Berlet
(café- philo du 10/01/07 au Saint René)
Tag(s) : #Textes des cafés-philo

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