J'ai lu l’entretien avec George Steiner paru dans le dernier numéro de la Quinzaine littéraire et intitulé “L’humanisme est l’auxiliaire
de la barbarie”. Il me semble qu’il y a beaucoup de confusion dans son questionnement angoissé : pourquoi la “culture européenne” a-t-elle été la “collaboratrice zélée” de la barbarie ?
Comme je ne peux pas me lancer dans une thèse sur le sujet, voici un effort de méthode pour y voir un peu plus clair.
Il faudrait distinguer les mots “culture” et “civilisation” : toute “culture” est-elle “civilisatrice” ? Pourquoi être mélomane empêcherait-il d’être nazi ? Une “culture” peut être fasciste, encore plus clairement sous le mot “identité”.
La “culture” qui n’a pas résisté à la barbarie était-elle donc “humaniste” ? Il faudrait savoir à quelle condition peut-on se qualifier d’humaniste ?
Steiner rappelle les aveuglements idéologiques d’intellectuels et d’écrivains. Mais la “culture” “déshumanisée” dont il parle est donc intellectuelle ou artistique : le totalitarisme est une invention intellectuelle ; le besoin d’Idéal, la quête d’Absolu prennent une dimension tragique chez certains artistes et écrivains, non sans quelques dérèglements.
Verlaine, qui nous invite à lire dans la poésie “de la musique avant toute chose”, tabassait sa femme. Et se battait au couteau avec Rimbaud.
La question-clé, pour moi, c’est l’altérité. Une “culture” peut être altéricide.
Mais cela se complique encore : Verlaine aurait sans doute résisté au nazisme ! Résister comme ne pas résister ne préjuge pas de “l’humanisme” de l’intéressé. Un idéal peut être “déshumanisant” en rendant l’individu immature et violent et, en même temps, porteur d’une liberté collective.
Autre contradiction : Aragon, dont Steiner évoque l’incroyable poème à la gloire de la Guépéou (police politique stalinienne), a résisté contre le nazisme. Un idéal peut être “déshumanisant” en occultant la part de réalité qui le concerne et porteur de liberté pour l’autre part.
Enfin, n’oublions pas qu’un être humain peut avoir plusieurs facettes, dont l’une “déshumanisée”.
Réflexions à poursuivre, bien sûr !
En attendant, je n’ai pas envie de jeter le bébé avec l’eau du bain.
Avec Steiner, la mémoire prend le pas sur l’Histoire et sur la réflexion : “un juif n’a pas le droit d’être optimiste”, “ce serait presque une bêtise morale”, dit-il! Question de méthode: je pense qu’il faut surtout ne pas essentialiser les problèmes de société, ne pas essentialiser l’Histoire ni les visions apocalyptiques des “civilisations” ou d’une prétendue “nature humaine” qui ne sont pas plus légitimes que les autres.
Les raisons de l’irrésistible ascension de Hitler sont politiques, historiques, et dépassent la puissance mobilisatrice d’une philosophie humaniste : Montaigne, combien de divisions ? Mais que peut-on en déduire sur l’humanisme ?
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Il faudrait distinguer les mots “culture” et “civilisation” : toute “culture” est-elle “civilisatrice” ? Pourquoi être mélomane empêcherait-il d’être nazi ? Une “culture” peut être fasciste, encore plus clairement sous le mot “identité”.
La “culture” qui n’a pas résisté à la barbarie était-elle donc “humaniste” ? Il faudrait savoir à quelle condition peut-on se qualifier d’humaniste ?
Steiner rappelle les aveuglements idéologiques d’intellectuels et d’écrivains. Mais la “culture” “déshumanisée” dont il parle est donc intellectuelle ou artistique : le totalitarisme est une invention intellectuelle ; le besoin d’Idéal, la quête d’Absolu prennent une dimension tragique chez certains artistes et écrivains, non sans quelques dérèglements.
Verlaine, qui nous invite à lire dans la poésie “de la musique avant toute chose”, tabassait sa femme. Et se battait au couteau avec Rimbaud.
La question-clé, pour moi, c’est l’altérité. Une “culture” peut être altéricide.
Mais cela se complique encore : Verlaine aurait sans doute résisté au nazisme ! Résister comme ne pas résister ne préjuge pas de “l’humanisme” de l’intéressé. Un idéal peut être “déshumanisant” en rendant l’individu immature et violent et, en même temps, porteur d’une liberté collective.
Autre contradiction : Aragon, dont Steiner évoque l’incroyable poème à la gloire de la Guépéou (police politique stalinienne), a résisté contre le nazisme. Un idéal peut être “déshumanisant” en occultant la part de réalité qui le concerne et porteur de liberté pour l’autre part.
Enfin, n’oublions pas qu’un être humain peut avoir plusieurs facettes, dont l’une “déshumanisée”.
Réflexions à poursuivre, bien sûr !
En attendant, je n’ai pas envie de jeter le bébé avec l’eau du bain.
Avec Steiner, la mémoire prend le pas sur l’Histoire et sur la réflexion : “un juif n’a pas le droit d’être optimiste”, “ce serait presque une bêtise morale”, dit-il! Question de méthode: je pense qu’il faut surtout ne pas essentialiser les problèmes de société, ne pas essentialiser l’Histoire ni les visions apocalyptiques des “civilisations” ou d’une prétendue “nature humaine” qui ne sont pas plus légitimes que les autres.
Les raisons de l’irrésistible ascension de Hitler sont politiques, historiques, et dépassent la puissance mobilisatrice d’une philosophie humaniste : Montaigne, combien de divisions ? Mais que peut-on en déduire sur l’humanisme ?
Alain Parquet
Réagiser à l'article de la quinzaine littéraireEnvoter un commentaire