La femme du philosophe
Strasbourg, Musée des Beaux-Arts
Philosophie signifie l’amour de Sophia, la déesse de la sagesse. S’il était fidèle à l’étymologie du mot, le philosophe devrait au moins aimer les Sophie…à l’image de Jostein Gaarder, l’auteur norvégien du Monde de Sophie…Il se trouve que c’est Pythagore qui a inventé le mot, lui qui pensait être la réincarnation d’une prostituée phénicienne ! Son fils spirituel Platon, bien que occasionnellement homosexuel est le dernier philosophe avant Simone de Beauvoir à avoir admis l’égalité des sexes…Son maître Socrate, se plaignant de l’acariâtre Xantippe et son disciple Aristote, pourtant exclusivement hétérosexuel ont contribué à installer durablement la philosophie en phallocratie… Pour Aristote, la femme se caractérise par son manque d’être ; elle est ontologiquement inférieure à l’homme, car il lui « manque » l’organe typiquement masculin…
Depuis, on ne peut pas dire que ce fut souvent le grand amour entre le philosophe et la femme…Descartes était célibataire et a eu une fille de sa servante ! Rousseau a fait cinq gosses à la pauvre Thérèse avant de les abandonner ! Kant n’aurait jamais connu la tendresse d’aucune femme, d’où la concision du livre de Botul La vie sexuelle d’Emmanuel Kant. Nietzsche ne s’est jamais remis de son échec sentimental avec la seule femme qu’il a aimé Lou Salomé. Hegel, bien que marié, a engrossé sa serveuse pendant qu’il rédigeait La phénoménologie de l’Esprit (c’est ce qu’on appelle une grossesse nerveuse !) Kierkegaard affirme que la rupture de ses fiançailles avec Régine Olsen fut le prix à payer pour devenir philosophe ! Althusser a étranglé sa femme, jalouse des lettres d’amour de ses étudiantes ( Halte, tu serres trop fort !) Et l’ironie du sort veut que ce soit le très controversé Martin Heidegger qui s’est avéré être le philosophe connu le plus « normal » dans sa relation aux femmes. Marié et père de famille, il a eu une liaison amoureuse avec la philosophe juive Hannah Arendt, qui lui aurait pardonné son adhésion au parti nazi…après coup ! (de là à prétendre que Martin était un bon coup…)La liste pourrait être infiniment rallongée, tant le philosophe semble avoir un mauvais « karma » avec les femmes. Tout se passe comme si la philosophie était une maîtresse jalouse qui tendait à rendre l’existence impossible pour la femme charnelle du philosophe. Comment expliquer une telle difficulté à concilier la vocation philosophique avec l’harmonie conjugale ?
Je propose deux pistes de réflexion. Tout d’abord, le philosophe est un homme qui se doit d’être public ce qui ne se concilie pas facilement avec un attachement sentimental exclusif. Xanthippe devait certainement être jalouse des « mignons » de Socrate. Mais plus fondamentalement encore, le rapport de l’homme à la philosophie à une dimension érotique plus forte que dans le cas de n’importe quel autre activité. Tandis que la science est symbolisée par le Sphinx, l’art par la Licorne, la philosophie est symbolisée par Sophia, une déesse à la beauté un peu froide qui souvent séduit plus intensément les hommes que la beauté chaleureuse d’une Vénus. Tout se passe comme si la métaphore à l’origine du mot de philosophie avait une sorte de pouvoir magique. L’homme philosophe serait comme l’amant platonique de cette Sophia inaccessible et la femme philosophe comme sa disciple en quête d’identification. Xanthippe femme de Socate
« Il est toujours bon de se marier. Si tu es heureux en mariage, tu seras heureux tout cours et si tu es malheureux en mariage tu deviendra philosophe »
Socrate
Jean-Luc Berlet