L'Art de bien mourir
L'Ars moriendi (L’art du décès, l’art de bien mourir) est le nom de deux textes latins datant respectivement de 1415 et 1540. Ils se proposent de nous aider à bien mourir, selon les conceptions chrétiennes de la fin du Moyen Âge. À peine 60 ans après l’épidémie de peste noire, le climat restait au macabre. Très populaires, ces livres ont été traduits dans la plupart des langues d’Europe de l’ouest, fondant une tradition littéraire des guides de décès et de sa bonne pratique.
La version longue
La version longue, originale, appelée Tractatus artis bene moriendi, a été écrite en 1415 par un moine dominicain anonyme, vraisemblablement à la demande du concile de Constance (Allemagne, 1414–1418). Largement lu et traduit dans les langues de l’Europe de l’ouest, il a été très populaire en Angleterre, où il a créé une tradition littéraire qui culminera au XVIIe siècle. L'Ars moriendi fut parmi les premiers livres imprimés et largement diffusés, en particulier en Allemagne.
Il est formé de six chapitres :
Si la littérature médiévale présente souvent le besoin de se préparer à la mort de quelqu’un au travers du thème du lit de mort, il faut attendre le XVe siècle pour avoir une littérature prenant le point de vue du mourant: comment bien se préparer à sa mort, quel est le sens d’une bonne mort et comment y parvenir. L’accompagnement du mourant dans ses derniers instants, sa préparation au passage vers l’autre monde étaient jusqu’alors l’apanage du prêtre. Les rangs décimés par la peste noire, l’église trouve avec l'Ars moriendi une solution innovante à ses problèmes d’effectifs. Grâce à ce « guide des derniers instants », chacun peut alors accompagner son mourant en l’absence d’un prêtre, chose inconcevable avant la peste noire.
L'Ars moriendi est un guide pour les mourants des XIVe et XVe siècles confrontés aux horreurs de la peste noire. Il sera également utilisé par une certaine population désirant se distinguer en respectant « les formes », au sein d’une société de plus en plus consciente des statuts, dans une Europe décimée, mais prospère.
L’image vraie.
Véronique vient de « vera icon » (image vraie).
Selon la tradition catholique, lors de la Passion du Christ, une femme qui se trouvait dans la foule, appelée plus tard Véronique[1] a retiré son voile afin d'essuyer le visage du condamné. Le visage de Jésus-Christ s'y serait imprimé. Sur cette croyance, et la croyance que ce linge se serait miraculeusement conservé à travers les siècles, s'est établi un culte.
Cet épisode n'est pas rapporté par les Évangiles canoniques. Le plus ancien témoignage le citant date du Ve siècle ; il s'agit de l'Évangile apocryphe de Nicodème.
Évangile de Nicodème.
Évangile de Nicodème et Actes de Pilate sont les noms usuels d'un évangile apocryphe composé en grec au IVe siècle. Dans sa forme originale, il raconte le procès et la mort de Jésus puis, à travers la figure de Joseph d'Arimathée et de trois Galiléens, la résurrection et l'ascension du Christ ; il cite notamment les évangiles canoniques et insiste sur le fait que Jésus accomplit les prophéties de l'Ancien Testament. Rapidement traduit en latin, il connut en Occident un très grand succès, dont témoignent plus de 400 manuscrits ; au cours de sa diffusion en Occident, il fut complété à l'aide de récits de la descente du Christ aux enfers.
L'Évangile de Nicodème a fortement influencé la culture occidentale ; il a été souvent cité et exploité au Moyen Âge, aussi bien dans les encyclopédies médiévales et dans des chroniques historiques que des manuels de prédication ; son utilisation dans la Légende dorée de Jacques de Voragine a certainement favorisé son succès ; il est, en outre, à la source d'une partie des légendes sur le Graal. À partir de la Renaissance, son succès ira en diminuant, en raison du récit de la descente du Christ aux enfers, sévèrement critiqué. Son influence dans le christianisme de langue grecque a été beaucoup plus réduite. Contrairement à ce que l'on a longtemps pensé, il semble n'avoir eu une influence sur l'iconographie que très tardivement (XVIIe siècle) ; il n'est donc pas à la source des icônes de la Résurrection.
L’Apostrophe muette
« Les vivants se découvrent, chaque fois, au midi de l'histoire. Ils sont tenus d'apprêter un repas pour le passé. L'historien est le héraut qui invite les morts au festin », écrit Walter Benjamin.
Avec les portraits du Fayoum, c'est un peu comme si les morts s'invitaient d'eux-mêmes, par la seule pression de leur face. Les portraits du Fayoum nous confrontent à des visages qui nous regardent comme d'un lieu neutre qui ne serait ni la mort ni la vie. Avec ces visages, quelque chose du grand songe nilotique se maintient et se met à flotter, hors du cadre religieux, où le sacré - le lien de la vie à la mort - devient une sorte d'émulsion.
Enigmatiques portraits du Fayoum
Le Fayoum est une oasis du désert de Libye située à 30 km à l’ouest du Nil légèrement au sud de Memphis et du Caire, qu’on nommait le jardin d’Egypte. Située à quarante-cinq mètres au-dessous du niveau de la mer, c’est une région naturellement fertile. De là nous viennent les premiers portraits peints, voici quelque deux mille ans... Il s’agit des plus anciens portraits peints qui subsistent : ils ont été exécutés alors que s’écrivaient les Evangiles du Nouveau Testament.
Destinés à être enterrés
Á l’époque, un trafiquant avait prétendu avoir découvert des portraits de Ptolémée et de Cléopâtre ! Il s’agit d’authentiques portraits de membres des classes moyennes des villes, enseignants, soldats, athlètes, prêtres de Sérapis, marchands, fleuristes. Il arrive même que nous sachions leurs noms : Aline, Flavien, Isarous, Claudine... On les a trouvés dans des nécropoles, car ils ont été peints pour être joints, après leur mort, aux personnes momifiées. Il est probable qu’ils ont été exécutés d’après nature.
Ils ont rempli une double fonction picturale : d’abord, ils ont été l’équivalent des photos d’identité figurant sur nos passeports, mais à l’usage des morts entreprenant en compagnie d’Anubis, le dieu à tête de chacal, leur voyage vers le royaume d’Osiris ; ensuite, et pendant une courte période, ils ont tenu lieu de souvenir des morts à l’usage de la famille. Il fallait soixante-dix jours pour embaumer un corps, et il arrivait qu’après ce délai on gardât un certain temps, appuyé contre un mur de la maison, ce membre de la famille qu’était la momie, avant de la placer dans la nécropole.
Ces portraits constituent les objets sacrés d’un rite funéraire qui est exclusivement égyptien. Au reste, quelque chose de la précarité de ce moment se voit dans la manière dont les visages sont peints. La peinture égyptienne traditionnelle ne représente personne de face, parce qu’une telle pose offre la possibilité de son contraire, la vue de dos de quelqu’un qui s’est retourné et s’en va. Toutes les personnes représentées dans la peinture égyptienne sont vues de profil, le profil de l’Eternité, ce qui s’accorde avec le souci des Egyptiens de la parfaite continuité de la vie après la mort.
Ni ceux qui ont commandé ces portraits ni ceux qui les ont exécutés n’ont imaginé une seconde que la postérité les verrait. C’étaient des images destinées à être enterrées, sans la moindre possibilité d’être vues à l’avenir.
Ce qui veut dire qu’il existait un rapport très particulier entre le peintre et la personne qui posait devant lui. Celle-ci ne s’était pas encore transformée en modèle et le peintre n’était pas encore devenu le courtier d’une gloire future. Mais ces deux personnes, alors en vie l’une et l’autre, collaboraient à la tâche de se préparer à la mort, tâche devant assurer la survie. Peindre, c’était nommer et être nommé, c’était la garantie de cette continuité.
En d’autres termes, le peintre du Fayoum se voyait sommé non pas de faire un portrait au sens où nous avons fini par l’entendre, mais d’enregistrer l’homme ou la femme qui le regardait. En fait, c’est plutôt le peintre que le « modèle » qui se soumettait au regard d’autrui. Chaque portrait qu’il faisait commençait par cet acte de soumission.
Le peintre du Fayoum se soumet au regard de la personne qui pose et pour qui il fait office de peintre de la mort ou, plus précisément peut-être, de peintre de l’Eternité. Et le regard de ceux qui posent, et auquel il se soumet, s’adresse à lui à la deuxième personne du singulier.
Imaginez ce qui se produit lorsqu’on se trouve en face du silence des visages du Fayoum, qu’on s’arrête interdit devant des images d’hommes et de femmes qui ne lancent aucun appel, qui ne demandent rien, mais qui déclarent qu’ils sont en vie et que toute personne qui les regarde l’est aussi !
Pendant plus de trois mille ans, l'Egypte a donné à l'homme ce regard qui traverse la mort pour s'élever jusqu'à la lumière infrangible d'Osiris. Tout cela, Rome l'ébranle aux pas de ses légionnaires, qu'avaient précédés les hoplites grecs (soldat lourdement armé). Les armées impériales projettent sur le monde leurs ombres qui inaugurent un autre temps, celui de l'histoire. Triomphes, défaites, victoires, vicissitudes, sont plus que des événements, ils deviennent la trame d'une civilisation qui délaisse l'éternité pour la conquérir par les armes. Les saisons, les heures s'inscrivent au sol avec du sang. Entre le corps impérissable de l'Egyptien et la chair vulnérable du Romain, le portrait du Fayoum commet un double aveu : la nostalgie d'un monde qui ignorait la séparation de la vie et de la mort, l'avènement d'un autre monde qui, en dépit du fracas des batailles et de la clameur des dieux, sait que l'histoire compte ses jours, et qu'à jours comptés répond l'irrévocable figure du destin. Les dieux traversent encore ces portraits, mais ils ne sont plus que vision crépusculaire, tandis que s'amorce déjà, dans leurs prunelles agrandies, non pas tant l'espérance chrétienne que la stupeur qu'annonce Celui qui vaincra l'histoire par la Rédemption.
L'icône byzantine L'icône byzantine est toute proche, qui exalte la vie éternelle à travers l'immensité du regard, comme est proche aussi le Christ Pantocrator dont les yeux embrassent l'univers. Il s'agit moins de filiations ou d'influences que d'analogies en profondeur. Les traits que dépeignent les portraits du Fayoum attestent la personne du défunt, mais la manière de les traiter amorce une transcendance ouverte, sinon propice, à l'Incarnation. Ce que l'art byzantin accomplira par le truchement de ses ors incorruptibles.
Il est une autre question qui reste posée. A partir de Rome, plus tard, de la Renaissance, le portrait occidental est lié à l'existence d'ici-bas ; il s'empare du statut social, il se déploie dans la pompe du pouvoir ; il s'associe aux signes de la richesse et de la prospérité, tout en subissant aussi les vicissitudes de l'âge, de la maladie. Ainsi se déroule le film de notre existence mondaine que somment les portraits des grands - François Ier, par François Clouet ; Henri VIII, par Hans Holbein ; Charles-Quint, par Christoph Amberger (°~1500 - † entre 1560 et 1563),nobles et bourgeois s'efforçant à leur tour de leur ressembler. En face de cette célébration de l'existence terrestre, les portraits du Fayoum, liés, comme l'art égyptien, à la mort, aux rites funéraires, demeurent une énigme, les portraits du Fayoum posent, la problématique de notre identité. Leur étrange pouvoir, revient peut-être à nous faire prendre conscience que notre effigie échappe à l'opposition des concepts de la vie et de la mort, comme elle échappe à la distinction du signe et du symbole. Par-delà fonctions, croyances et significations, le portrait exorcise doublement le temps pour nous restituer au flux de l'ambivalence, à ce qui ne prend jamais fin, tout en étant toujours menacé de finir.
Zoran Music
Autoportrait au visage absent.
Dans le Nouveau Testament
L'Ars moriendi (L’art du décès, l’art de bien mourir) est le nom de deux textes latins datant respectivement de 1415 et 1540. Ils se proposent de nous aider à bien mourir, selon les conceptions chrétiennes de la fin du Moyen Âge. À peine 60 ans après l’épidémie de peste noire, le climat restait au macabre. Très populaires, ces livres ont été traduits dans la plupart des langues d’Europe de l’ouest, fondant une tradition littéraire des guides de décès et de sa bonne pratique.
La version longue
La version longue, originale, appelée Tractatus artis bene moriendi, a été écrite en 1415 par un moine dominicain anonyme, vraisemblablement à la demande du concile de Constance (Allemagne, 1414–1418). Largement lu et traduit dans les langues de l’Europe de l’ouest, il a été très populaire en Angleterre, où il a créé une tradition littéraire qui culminera au XVIIe siècle. L'Ars moriendi fut parmi les premiers livres imprimés et largement diffusés, en particulier en Allemagne.
Il est formé de six chapitres :
- 1. Le premier chapitre décrit les bons côtés du décès et en conclut que la mort n'est pas à craindre.
- 2. Le second chapitre présente les cinq tentations qui assaillent le mourant et les moyens de s'en défendre. Ces tentations sont le manque de foi, le désespoir, l'impatience, l'orgueil et l'avarice.
- 3. Le troisième chapitre énumère les sept questions à poser au mourant, ainsi que les consolations disponibles grâce à la rédemption que propose l'amour du Christ.
- 4. Le quatrième chapitre pose la vie du Christ en modèle.
- 5. Le cinquième chapitre s'adresse aux proches et à la famille, indiquant l'étiquette à suivre autour d'un lit de mort.
- 6. Le sixième chapitre renferme les prières à dire pour le mourant.
Si la littérature médiévale présente souvent le besoin de se préparer à la mort de quelqu’un au travers du thème du lit de mort, il faut attendre le XVe siècle pour avoir une littérature prenant le point de vue du mourant: comment bien se préparer à sa mort, quel est le sens d’une bonne mort et comment y parvenir. L’accompagnement du mourant dans ses derniers instants, sa préparation au passage vers l’autre monde étaient jusqu’alors l’apanage du prêtre. Les rangs décimés par la peste noire, l’église trouve avec l'Ars moriendi une solution innovante à ses problèmes d’effectifs. Grâce à ce « guide des derniers instants », chacun peut alors accompagner son mourant en l’absence d’un prêtre, chose inconcevable avant la peste noire.
L'Ars moriendi est un guide pour les mourants des XIVe et XVe siècles confrontés aux horreurs de la peste noire. Il sera également utilisé par une certaine population désirant se distinguer en respectant « les formes », au sein d’une société de plus en plus consciente des statuts, dans une Europe décimée, mais prospère.
L’image vraie.
Véronique vient de « vera icon » (image vraie).
Selon la tradition catholique, lors de la Passion du Christ, une femme qui se trouvait dans la foule, appelée plus tard Véronique[1] a retiré son voile afin d'essuyer le visage du condamné. Le visage de Jésus-Christ s'y serait imprimé. Sur cette croyance, et la croyance que ce linge se serait miraculeusement conservé à travers les siècles, s'est établi un culte.
Cet épisode n'est pas rapporté par les Évangiles canoniques. Le plus ancien témoignage le citant date du Ve siècle ; il s'agit de l'Évangile apocryphe de Nicodème.
Suaire.
Dans l'Antiquité, le suaire (du latin sudarium, mouchoir, suaire), est le linge recouvrant le visage du défunt, et non le linceul tout entier.
Dans les évangiles, le mot suaire renvoie donc plutôt au « linge qui avait recouvert la tête » (ou suaire) (Jean 20, 7).
L'expression « Saint Suaire » peut aussi désigner improprement le linceul avec lequel Joseph d'Arimathie et Nicodème enveloppèrent le corps de Jésus juste après sa crucifixion le soir du vendredi saint. « Ils prirent donc le corps et le lièrent de linges, avec les aromates, selon le mode de sépulture en usage chez les Juifs » (Jean 19, 40).
Le mode de sépulture juif consistait à envelopper les corps en pliant le linge en deux dans l'axe du corps (dessus/dessous). Or le linceul de Turin fait apparaître un corps entier de face et de dos. Au sujet de cette relique, il est préférable de parler de linceul.
Dans l'Antiquité, le suaire (du latin sudarium, mouchoir, suaire), est le linge recouvrant le visage du défunt, et non le linceul tout entier.
Dans les évangiles, le mot suaire renvoie donc plutôt au « linge qui avait recouvert la tête » (ou suaire) (Jean 20, 7).
L'expression « Saint Suaire » peut aussi désigner improprement le linceul avec lequel Joseph d'Arimathie et Nicodème enveloppèrent le corps de Jésus juste après sa crucifixion le soir du vendredi saint. « Ils prirent donc le corps et le lièrent de linges, avec les aromates, selon le mode de sépulture en usage chez les Juifs » (Jean 19, 40).
Le mode de sépulture juif consistait à envelopper les corps en pliant le linge en deux dans l'axe du corps (dessus/dessous). Or le linceul de Turin fait apparaître un corps entier de face et de dos. Au sujet de cette relique, il est préférable de parler de linceul.
Évangile de Nicodème.
Évangile de Nicodème et Actes de Pilate sont les noms usuels d'un évangile apocryphe composé en grec au IVe siècle. Dans sa forme originale, il raconte le procès et la mort de Jésus puis, à travers la figure de Joseph d'Arimathée et de trois Galiléens, la résurrection et l'ascension du Christ ; il cite notamment les évangiles canoniques et insiste sur le fait que Jésus accomplit les prophéties de l'Ancien Testament. Rapidement traduit en latin, il connut en Occident un très grand succès, dont témoignent plus de 400 manuscrits ; au cours de sa diffusion en Occident, il fut complété à l'aide de récits de la descente du Christ aux enfers.
L'Évangile de Nicodème a fortement influencé la culture occidentale ; il a été souvent cité et exploité au Moyen Âge, aussi bien dans les encyclopédies médiévales et dans des chroniques historiques que des manuels de prédication ; son utilisation dans la Légende dorée de Jacques de Voragine a certainement favorisé son succès ; il est, en outre, à la source d'une partie des légendes sur le Graal. À partir de la Renaissance, son succès ira en diminuant, en raison du récit de la descente du Christ aux enfers, sévèrement critiqué. Son influence dans le christianisme de langue grecque a été beaucoup plus réduite. Contrairement à ce que l'on a longtemps pensé, il semble n'avoir eu une influence sur l'iconographie que très tardivement (XVIIe siècle) ; il n'est donc pas à la source des icônes de la Résurrection.
- 15 -6 Joseph prit la parole : « Vous m'avez enfermé le vendredi, vers la dixième heure, et je suis resté là tout le sabbat. Mais à minuit, tandis que j'étais debout à prier, la maison où vous m'aviez enfermé se souleva par les quatre coins et une sorte d'éclair vint éblouir mes yeux.
- Epouvanté, je tombai à terre. Alors quelqu'un me prit par la main et m'enleva de l'endroit où je gisais, et une eau fraîche coula sur moi de la tête aux pieds, tandis que des effluves de myrrhe emplissaient mes narines. Il m'essuya le visage, m'embrassa et me dit : « Ne crains pas, Joseph. Ouvre tes yeux et regarde quel est celui qui te parle. » Levant mon regard, je vis Jésus. Mes frayeurs redoublèrent. Je pensai que c'était un fantôme et je me mis à réciter les commandements. Mais il les récita avec moi.
- Or vous ne l'ignorez pas, quand un fantôme entend réciter près de lui les commandements, il prend la fuite. Voyant qu'il les disait avec moi, je m'écriai : « Rabbi Élie ! » Il me dit : « Je ne suis pas Elie. - Qui es-tu, Seigneur, lui dis-je. Et il me dit : - Je suis Jésus. Tu as demandé mon corps à Pilate, puis tu m'as enveloppé dans un pur linceul et tu as couvert mon visage d'un suaire, puis tu m'as déposé dans ton caveau neuf et tu as roulé une grande pierre à l'entrée de la tombe. »
- Et je dis à celui qui me parlait : « Viens me montrer l'endroit où je t'ai placé. » Il me conduisit à cet endroit et me le montra. Le linceul y traînait encore, et le suaire qui avait couvert son visage. Alors j'eus la preuve qu'il était Jésus. Il me prit par la main et toutes portes closes, me transporta au milieu de ma demeure. Il me conduisit auprès de mon lit et me dit : « Paix à toi ! » Il m'embrassa encore et ajouta : « Tu ne sortiras pas de chez toi avant quarante jours. Car voici, je vais rejoindre mes frères, en Galilée. »
L’Apostrophe muette
« Les vivants se découvrent, chaque fois, au midi de l'histoire. Ils sont tenus d'apprêter un repas pour le passé. L'historien est le héraut qui invite les morts au festin », écrit Walter Benjamin.
Avec les portraits du Fayoum, c'est un peu comme si les morts s'invitaient d'eux-mêmes, par la seule pression de leur face. Les portraits du Fayoum nous confrontent à des visages qui nous regardent comme d'un lieu neutre qui ne serait ni la mort ni la vie. Avec ces visages, quelque chose du grand songe nilotique se maintient et se met à flotter, hors du cadre religieux, où le sacré - le lien de la vie à la mort - devient une sorte d'émulsion.
Enigmatiques portraits du Fayoum
Le Fayoum est une oasis du désert de Libye située à 30 km à l’ouest du Nil légèrement au sud de Memphis et du Caire, qu’on nommait le jardin d’Egypte. Située à quarante-cinq mètres au-dessous du niveau de la mer, c’est une région naturellement fertile. De là nous viennent les premiers portraits peints, voici quelque deux mille ans... Il s’agit des plus anciens portraits peints qui subsistent : ils ont été exécutés alors que s’écrivaient les Evangiles du Nouveau Testament.
Destinés à être enterrés
Á l’époque, un trafiquant avait prétendu avoir découvert des portraits de Ptolémée et de Cléopâtre ! Il s’agit d’authentiques portraits de membres des classes moyennes des villes, enseignants, soldats, athlètes, prêtres de Sérapis, marchands, fleuristes. Il arrive même que nous sachions leurs noms : Aline, Flavien, Isarous, Claudine... On les a trouvés dans des nécropoles, car ils ont été peints pour être joints, après leur mort, aux personnes momifiées. Il est probable qu’ils ont été exécutés d’après nature.
Ils ont rempli une double fonction picturale : d’abord, ils ont été l’équivalent des photos d’identité figurant sur nos passeports, mais à l’usage des morts entreprenant en compagnie d’Anubis, le dieu à tête de chacal, leur voyage vers le royaume d’Osiris ; ensuite, et pendant une courte période, ils ont tenu lieu de souvenir des morts à l’usage de la famille. Il fallait soixante-dix jours pour embaumer un corps, et il arrivait qu’après ce délai on gardât un certain temps, appuyé contre un mur de la maison, ce membre de la famille qu’était la momie, avant de la placer dans la nécropole.
Ces portraits constituent les objets sacrés d’un rite funéraire qui est exclusivement égyptien. Au reste, quelque chose de la précarité de ce moment se voit dans la manière dont les visages sont peints. La peinture égyptienne traditionnelle ne représente personne de face, parce qu’une telle pose offre la possibilité de son contraire, la vue de dos de quelqu’un qui s’est retourné et s’en va. Toutes les personnes représentées dans la peinture égyptienne sont vues de profil, le profil de l’Eternité, ce qui s’accorde avec le souci des Egyptiens de la parfaite continuité de la vie après la mort.
Ni ceux qui ont commandé ces portraits ni ceux qui les ont exécutés n’ont imaginé une seconde que la postérité les verrait. C’étaient des images destinées à être enterrées, sans la moindre possibilité d’être vues à l’avenir.
Ce qui veut dire qu’il existait un rapport très particulier entre le peintre et la personne qui posait devant lui. Celle-ci ne s’était pas encore transformée en modèle et le peintre n’était pas encore devenu le courtier d’une gloire future. Mais ces deux personnes, alors en vie l’une et l’autre, collaboraient à la tâche de se préparer à la mort, tâche devant assurer la survie. Peindre, c’était nommer et être nommé, c’était la garantie de cette continuité.
En d’autres termes, le peintre du Fayoum se voyait sommé non pas de faire un portrait au sens où nous avons fini par l’entendre, mais d’enregistrer l’homme ou la femme qui le regardait. En fait, c’est plutôt le peintre que le « modèle » qui se soumettait au regard d’autrui. Chaque portrait qu’il faisait commençait par cet acte de soumission.
Le peintre du Fayoum se soumet au regard de la personne qui pose et pour qui il fait office de peintre de la mort ou, plus précisément peut-être, de peintre de l’Eternité. Et le regard de ceux qui posent, et auquel il se soumet, s’adresse à lui à la deuxième personne du singulier.
Imaginez ce qui se produit lorsqu’on se trouve en face du silence des visages du Fayoum, qu’on s’arrête interdit devant des images d’hommes et de femmes qui ne lancent aucun appel, qui ne demandent rien, mais qui déclarent qu’ils sont en vie et que toute personne qui les regarde l’est aussi !
Pendant plus de trois mille ans, l'Egypte a donné à l'homme ce regard qui traverse la mort pour s'élever jusqu'à la lumière infrangible d'Osiris. Tout cela, Rome l'ébranle aux pas de ses légionnaires, qu'avaient précédés les hoplites grecs (soldat lourdement armé). Les armées impériales projettent sur le monde leurs ombres qui inaugurent un autre temps, celui de l'histoire. Triomphes, défaites, victoires, vicissitudes, sont plus que des événements, ils deviennent la trame d'une civilisation qui délaisse l'éternité pour la conquérir par les armes. Les saisons, les heures s'inscrivent au sol avec du sang. Entre le corps impérissable de l'Egyptien et la chair vulnérable du Romain, le portrait du Fayoum commet un double aveu : la nostalgie d'un monde qui ignorait la séparation de la vie et de la mort, l'avènement d'un autre monde qui, en dépit du fracas des batailles et de la clameur des dieux, sait que l'histoire compte ses jours, et qu'à jours comptés répond l'irrévocable figure du destin. Les dieux traversent encore ces portraits, mais ils ne sont plus que vision crépusculaire, tandis que s'amorce déjà, dans leurs prunelles agrandies, non pas tant l'espérance chrétienne que la stupeur qu'annonce Celui qui vaincra l'histoire par la Rédemption.
L'icône byzantine L'icône byzantine est toute proche, qui exalte la vie éternelle à travers l'immensité du regard, comme est proche aussi le Christ Pantocrator dont les yeux embrassent l'univers. Il s'agit moins de filiations ou d'influences que d'analogies en profondeur. Les traits que dépeignent les portraits du Fayoum attestent la personne du défunt, mais la manière de les traiter amorce une transcendance ouverte, sinon propice, à l'Incarnation. Ce que l'art byzantin accomplira par le truchement de ses ors incorruptibles.
Il est une autre question qui reste posée. A partir de Rome, plus tard, de la Renaissance, le portrait occidental est lié à l'existence d'ici-bas ; il s'empare du statut social, il se déploie dans la pompe du pouvoir ; il s'associe aux signes de la richesse et de la prospérité, tout en subissant aussi les vicissitudes de l'âge, de la maladie. Ainsi se déroule le film de notre existence mondaine que somment les portraits des grands - François Ier, par François Clouet ; Henri VIII, par Hans Holbein ; Charles-Quint, par Christoph Amberger (°~1500 - † entre 1560 et 1563),nobles et bourgeois s'efforçant à leur tour de leur ressembler. En face de cette célébration de l'existence terrestre, les portraits du Fayoum, liés, comme l'art égyptien, à la mort, aux rites funéraires, demeurent une énigme, les portraits du Fayoum posent, la problématique de notre identité. Leur étrange pouvoir, revient peut-être à nous faire prendre conscience que notre effigie échappe à l'opposition des concepts de la vie et de la mort, comme elle échappe à la distinction du signe et du symbole. Par-delà fonctions, croyances et significations, le portrait exorcise doublement le temps pour nous restituer au flux de l'ambivalence, à ce qui ne prend jamais fin, tout en étant toujours menacé de finir.
Zoran Music
Autoportrait au visage absent.
Dans le Nouveau Testament
Le terme « Saint Suaire » désigne généralement la toile de lin dans lequel Joseph d'Arimathie enveloppa
Jésus, et qui lui servit de linceul (sindon en grec). Les évangiles s'accordent sur ces points. On donne ci-dessous les verbes employés selon les évangélistes :
Matthieu, 27 57-60 : envelopper, rouler,
Marc, 15 42-46 : enrouler, envelopper,
Luc, 23 50-54 : envelopper, rouler,
Jean (19 38-42) : entourer, lier.
Jean évoque des « linges » enveloppant le corps. Les traductions en français diffèrent sur ce terme : la TOB et la traduction Crampon parlent de « bandelettes », la Bible de Jérusalem parle de « linges », et celle de Louis Segond emploie le mot de « bandes ». L'évangéliste Jean emploie les termes d’othonia, diminutif d’othone, qui désigne une fine toile de lin, et de soudorion, suaire (destiné à absorber la dernière sueur du visage). Il précise que Jésus fut enveloppé d'étoffes, « selon la coutume funéraire juive ». Or la pratique des bandelettes n'existe pas dans les rites funéraires du judaïsme.
Selon l'Évangile, quand Jésus ressuscita, le linceul fut retrouvé à sa place dans le tombeau, mais sans son corps à l'intérieur.
Matthieu, 27 57-60 : envelopper, rouler,
Marc, 15 42-46 : enrouler, envelopper,
Luc, 23 50-54 : envelopper, rouler,
Jean (19 38-42) : entourer, lier.
Jean évoque des « linges » enveloppant le corps. Les traductions en français diffèrent sur ce terme : la TOB et la traduction Crampon parlent de « bandelettes », la Bible de Jérusalem parle de « linges », et celle de Louis Segond emploie le mot de « bandes ». L'évangéliste Jean emploie les termes d’othonia, diminutif d’othone, qui désigne une fine toile de lin, et de soudorion, suaire (destiné à absorber la dernière sueur du visage). Il précise que Jésus fut enveloppé d'étoffes, « selon la coutume funéraire juive ». Or la pratique des bandelettes n'existe pas dans les rites funéraires du judaïsme.
Selon l'Évangile, quand Jésus ressuscita, le linceul fut retrouvé à sa place dans le tombeau, mais sans son corps à l'intérieur.