La peur est la plus terrible des passions parce qu’elle fait ses premiers effets contre la raison ; elle paralyse le cœur et l’esprit.
Rivarol
La peur est incontestablement l’une des émotions les plus fondamentales chez l’être humain. Elle est inscrite dans les profondeurs du cerveau reptilien et fait partie intégrante de l’instinct de conservation. Par ailleurs, le psychologue russe Janov a aussi mis en lumière la peur héritée du traumatisme de la naissance d’où sa thérapie par le cri primal ! De ce point de vue psychobiologique, il est indéniable que la peur conditionne en nous de nombreux choix. En ce sens, Sigmund Freud nous a remarquablement révélé à travers la psychanalyse à quel point nos choix étaient conditionnés par nos peurs inconscientes. La postérité a surtout retenu l’insistance quasi obsessionnelle de Freud sur l’importance de la sexualité refoulée pour expliquer le comportement humain. Mais elle a un peu rapidement oublié que Freud s’était aussi intéressé de près aux troubles névrotiques causés par les peurs refoulées. Toutes les phobies, comme la claustrophobie ou l’agoraphobie pour citer les plus connues, seraient selon Freud liées à des peurs refoulées de la petite enfance. Or, ces phobies conditionnent fortement nos choix de manière négative en limitant pathologiquement notre puissance d’agir pour reprendre une expression spinoziste !
Il se trouve que Spinoza nous a légué une philosophie qui constitue le meilleur des remèdes pour surmonter nos peurs et retrouver toute notre puissance d’action. Pour le sage d’Amsterdam, c’est la connaissance qui constitue le seul remède contre la peur, car en prenant connaissance des causes qui nous déterminent nous nous libérons de la crainte engendrée par l’ignorance. Pour lui contrairement à Hobbes qui se résignait à la peur en déclarant que l’homme est un loup pour l’homme, l’homme est avant tout un dieu pour l’homme ! La philosophie de Spinoza peut à certains égards être comparée à une thérapie intellectuelle contre la peur. Grâce à une telle philosophie, nous prenons le pouvoir de ne plus être soumis à la peur en apprenant que nos choix sont déterminés par la pure nécessité. Spinoza a d’ailleurs incarné un beau courage en choisissant de rester dans sa patrie d’accueil la Hollande malgré le coup de couteau d’un fanatique juif en 1656. Sa mort étrange suite à une indigestion en 1677 laisse planer l’hypothèse d’un assassinat…
La peur conditionne aussi nos choix sur un plan collectif et le résultat est en général plutôt désastreux. La venue au pouvoir d’un dictateur comme dans le cas de l’Allemagne en 1933 est lié à la peur collective d’un peuple. Saisi d’un sentiment de culpabilité collectif, un tel peuple peut être tenté de se trouver un bouc émissaire afin d’exorciser par la violence ses démons intérieurs. Le psychanalyste suisse C. G. Jung a fait une analyse psychologique remarquable de la folie collective allemande autour d’Hitler. Ce dernier a été selon Jung pour le peuple allemand une sorte de chaman censé exorciser ses peurs les plus profondes. Pour le psychanalyste suisse, l’Allemagne aurait toujours souffert du complexe d’infériorité du frère cadet dans l’ombre de ses aînés la France et l’Angleterre. Sous le coup de la peur panique que les grands frères ne dévorent tout, la jeune Allemagne aurait cherché à se servir toute seule dans le réfrigérateur de l’Histoire d’où le déclenchement de deux guerres suicidaires au XXe siècle !
Jean-Luc Berlet
(café-philo du 23 octobre 2012)
peur
Étymologie
Du latin pavorem, accusatif de pavor (« effroi, épouvante, crainte »). Il est dérivé d’une autre version latine pavere (« être saisi d’épouvante », « craindre »), en passant par les formes intermédiaires pavor, poür, peür. Le sens originel de pavorem semble être « être frappé », proche d’une autre version latine pavire (« battre la terre pour l’aplanir ») et du verbe paver qui veut dire niveler la terre.
φόβος
De φέβομαι, « avoir peur ».
Action de faire fuir en effarouchant d’où action de chasser, d’effaroucher, d’effrayer, objet d’épouvante. Le fait d’être effarouché d’où le fait d’être mis en fuite par la crainte.
Crainte, crainte soudaine, frayeur, effroi.
– Fuite.
La peur est une émotion ressentie généralement en présence ou dans la perspective d’un danger ou d’une menace. En d’autres termes, la peur est la capacité de reconnaître le danger et de le fuir ou de le combattre, également connue sous le terme « réponse combat-fuite ».
Par extension, le terme peut aussi désigner l’appréhension liée à des situations déplaisantes ou à des animaux répugnants. Il est alors question de phobie, mot issu d’une racine grecque désignant la peur comme notamment la claustrophobie, l’acrophobie, l’arachnophobie ou l’agoraphobie.
D’un point de vue neurologique, la peur est essentiellement une activation de l’amygdale (ensemble de noyaux au niveau des lobes temporaux). L’activation de l’amygdale correspond généralement à un sentiment de danger imminent. Elle peut entraîner une inhibition de la pensée et prépare l’individu à fuir ou à se défendre.
Certains psychologues tels que John B. Watson, Robert Plutchik et Paul Ekman ont suggéré que la peur était créée par un flux d’émotions incluant la joie, la tristesse et la colère. La peur devrait être distinguée de l’état d’anxiété. Par ailleurs, la peur est générée par les comportements spécifiques de l’évitement et de la fuite, alors que l’anxiété est le résultat de menaces perçues comme étant incontrôlables ou inévitables.
choisir
Étymologie
(1050) En ancien français coisir, du francique *kausjan. De cette racine germanique sont issus l’anglais (to) choose, l’allemand kiesen, et le néerlandais kiezen. Petit à petit, le mot a fini par supplanter élire, qui a pris un sens spécialisé.
Choisir d’abord déverbal de coisir est issu du gothique Kausjan goûter, examiner, éprouver le mot appartient à la même racine indo-européenne que le latin gustare goûter, et que le sanskrit josayate il prend plaisir à…
Le sens ancien distinguer par la vue voir distinctement, d’où choisir à l’œil apercevoir s’est éteint au XVIe siècle il a été éliminer par le sens de prendre référence avec lequel le mot a supplanté dans l’usage courant son doublet d’origine latine élire.
Cette nuance est très vivante dans les emplois du déverbal choix qui outre les sens de « action, liberté de choisir et concrètement l’“ensemble des choses entre lesquelles choisir” désigne particulièrement un ensemble de choses sélectionner pour leur qualité.
En philosophie, la question de savoir si un individu effectue des choix librement ou est déterminé renvoie à la problématique de l’existence ou non du libre arbitre.
En quoi.
Question qui invite à proposer une réponse ; elle sous-entend d’autres questions : pourquoi, comment, dans quelles mesures, existe-t-il des limites ?
La question infère que la réponse à la question préliminaire, incluse dans la question ; la peur conditionne-t-elle nos choix ? Est affirmative.