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velickovick-naissance-3.jpgLe corps en sait plus sur l’amour que les poètes, du moins que ces poètes-là – presque tous – qui nous mentent sur le corps. »

(André Comte-Sponville, Petit traité des grandes vertus)

 

 

La façon dont le sujet est posé relève plus d’un titre de journal que d’un intitulé philosophique. Pourquoi supposer un choix entre le sexe et le langage pour définir l’amour, là où celui-ci semble évidemment relever des deux ? Peut-être pour mieux remettre en cause les (fausses) évidences des discours actuels qui se veulent hédonistes. C’est aussi l’occasion de mettre en cause la conception que l’Occident s’est fait de l’émancipation depuis les années 70 (libération ou libéralisation des mœurs ?...). Tantôt défini par un vif désir, tantôt par une affection vers une personne, l’amour semble bien revêtir, à la fois, une dimension corporelle et psychologique. Le sujet prend davantage de profondeur si, au lieu de tomber dans le piège de l’alternative, on évalue le(s) différents mode(s) d’expression du sexe, et le type de langage dont on parle ici. Le sexe se réduit-il à nos organes sexuels ? Le langage est-il nécessairement associé à la parole ? Quelle est l’imbrication de ces 3 réalités de la vie ?

Les zones érogènes de notre corps se réduisent-elles à notre sexe, pour commencer ? S’il est vrai que l’amour et le sexe se conditionnent – bien que sans garantie, le plaisir, l’orgasme, nous font expérimenter quelque chose de plus qu’un plaisir corporel. Les expressions pour exprimer à d’autres ce que l’on a expérimenté, content, dénotent bien souvent une expérience de grandeur, singulière, que chacun s’approprie comme unique, voire inédite pour les plus romantiques d’entre nous. On attribue au sexe la vertu de l’amour, par la consolation qu’il procure souvent, l’énergie qu’il donne, l’optimisme dont il nous gratifie pendant un temps. Indéniablement, même banalisé, animalisé ou « biologisé », parfois réduit à une interaction d’hormones, l’amour ne cesse de faire parler de lui. Une part de mystère l’entoure encore, surtout quand on le moque ou qu’on s’en défie… Même dans et à travers le sexe, quelque chose nous échappe, n’obéit pas à nos ordres ou à nos désirs. Le tableau de Courbet, « L’Origine du monde », continue de laisser perplexe : que cachent les poils pubiens du sexe de la femme qui y est représentée, comme de toute femme ? Qu’y a-t-il d’autre que son sexe, derrière ? L’imagination fait le reste : ventre cupide, ventre nourricier, ventre maternel, ou ventre mortifère ? Expérience de l’amour sexuel ou régression vers le ventre maternel, pour un homme ?

C’est précisément la tendance à tout montrer des corps, sans voile ni ombre, ni mystère, qui lui ôte tout érotisme, en nous laissant quasi muets… Comme si la volonté de transparence des corps, nubiles, au lieu de susciter l’amour sexuel les désexualisait au contraire. Comme si l’on privait le corps et le sexe de son langage. Le regard, les gestes, la sensualité qui s’en dégagent jouent sur un registre propice à l’amour : celui du sacré. N’est-ce pas cela dont nous sommes avides, à travers le corps de l’autre ? Quelque chose qui nous transcende. Pascal Bruckner et Alain Finkielkraut, dans Le Nouveau désordre amoureux, ont fait l’éloge du silence – toujours risqué - de l’amour, seul vrai langage : celui des corps, et non du mental. A la sujétion du « je t’aime », ils vantent les amants qui diffèrent cette parole, pour échapper aux sentiers battus, au besoin de sécurité induit par cet aveu, qui dit trop et colonise l’être aimé, sommé de répondre… L’exigence de clarté du désir de l’Autre, qui s’exprime par le langage – associé à la parole, tue le désir avant qu’il n’ait été vécu dans un acte sexuel. Tout se passe comme si l’amour se logeait dans un entre-deux : entre le silence et la parole, le langage des corps.

Ni simple affaire de corps, ni langage seulement, et si l’amour demeurait un mystère ? Au-delà du sexe et du langage, Fabrice Hadjadj, dans La Profondeur des sexes, remet en cause ce que nous croyons connaître de l’amour et du sexe. Par-delà leur réduction biologique ou leur dimension psychologique, il propose de les considérer dans leur profondeur : « Et si des voies impénétrables s’ouvraient sous nos ceintures ? Si nos bas-ventres dissimulaient une ruse du Très-Haut ? ». Sortir du dualisme de notre intitulé présente l’avantage de redonner au désir sa dramaturgie… L’Epouse du Cantique des Cantiques ne craint pas de dire à propos de l’Epoux divin : « Mon bien-aimé a passé la main par la fente, et pour lui mes entrailles ont frémi » (Ct 5, 4).Qu’on voit dans l’Epoux du cantique des cantiques l’amour de l’humain pour Dieu, ou l’amour d’une femme pour son amant, ne s’agit-il pas d’une même chose ? L’intime, la véritable obscénité, qui se passe des yeux ou de tout voyeurisme. L’intimité de l’autre qui nous dépossède de tout, nous rend soudainement faibles ou vulnérables. Chacun de nous va devoir y révéler ce qu’il est… L’amour, notamment sexuel, est donc une création du divin, dont nos sexes et son langage, notre langage, ne sont que les outils : matière et forme, terre et ciel, le creux et le plein se rencontrent. Tout se désire. A l’opposé d’une vision mécaniste de la nature aujourd’hui, nous lisons chez Hadjadj l’amour comme une religion (la seule authentique ?) : « Les choses supérieures sont dans les inférieures par mode de participation, dit saint Thomas, et les inférieures sont dans les supérieures par mode d’excellence », rappelle-t-il. Le réel serait donc une ascension par degré – ainsi que l’amour -, vers une union de plus en plus parfaite. « Et la communion des sexes en serait le couronnement corporel. Ce qui s’y passe est une image inférieure de ce qui fulgure en Dieu (2 qui font 1, 1 qui fait 3 – l’unité trine). » La Trinité bien comprise, ajouterais-je, vivante.

velickovick naissance 4L’amour serait ce dont on ne peut parler, car c’est lui qui se joue de nous, et non le contraire, malgré bien des apparences. C’est sans doute la raison pour laquelle nous en rêvons tous, de cet amour-là, à travers la poésie, la littérature, ou le cinéma ; mais quand il vient nous surprendre, à un moment où on ne l’attendait plus, nous fuyons souvent à toutes jambes, tant il nous dépossède de nous-mêmes, au-delà du sexe et du langage, au plus intime de chacun.

Sabine Le Blanc.


Café philo
  du 9 fév. 2010
Suite… 
L'art pense 

Tag(s) : #Textes des cafés-philo

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