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Nous ne considérons pas les animaux comme des êtres moraux. Mais pensez-vous donc que les animaux nous tiennent pour des êtres moraux ?
Nietzsche

La moralité est-elle une conséquence de l’évolution animale?

Du point de vue de l’anthropologie, le primate supérieur qui enterre ses morts et qui se met à parler peut être appelé un être humain. De fait, le respect des morts peut légitimement être identifié à la marque de la moralité au sein de l’animalité. Le refus de donner une sépulture aux morts, même s’il s’agit d’ennemis tués lors d’une guerre, a été de tout temps et en tout lieu considéré comme la pire marque de sauvagerie. Homère s’en est bien souvenu dans l’Iliade où, Achille en dépit de sa haine contre les Troyens, a tout de même accepté de restituer le corps défunt d’Hector à son père le roi Priam…

Hegel a fait de la position verticale de l’homme le signe de sa dignité spirituelle le mettant au-dessus de l’animalité. C’est aussi cette position verticale qui aurait selon lui conduit l’être humain à éprouver un sentiment de pudeur en raison de l’exposition de ses parties génitales. Aujourd’hui, la science du cerveau semble confirmer la pertinence de l’intuition hégélienne, la station verticale favorisant la bonne irrigation du cortex cérébral d’où son meilleur développement. 

Bien qu’implicitement matérialiste, la théorie darwiniste de l’évolution des espèces conforte également la thèse selon laquelle la moralité serait une conséquence de l’évolution animale. Le fait que ce sont les animaux sociaux qui prennent progressivement le pas sur les autres semble d’ailleurs conforter l’idée d’un bénéfice vital lié à l’amorce d’une forme de moralité. Du  point de vue de Darwin, tout se passe comme si la suprématie de l’humanité sur le reste du vivant était la conséquence de sa capacité d’adaptation, elle-même liée à l’apparition d’une certaine moralité. Car, c’est bien en se donnant des règles qui empêchent les individus qui la composent de s’entretuer qu’une espèce assure le mieux sa pérennisation…

Cependant, il y a un philosophe qui a osé mettre à bas le beau consensus régnant autour de cette question au 19e siècle : Nietzsche ! Pour Nietzsche, la moralité n’a rien à voir avec une quelconque évolution naturelle, mais elle constitue une ruse de la majorité des faibles pour soumettre la minorité des forts. Le philosophe allemand prend d’ailleurs le contre-pied radical du zoologiste anglais. Pour Nietzsche, Darwin s’est entièrement fourvoyé en pensant naïvement que l’évolution devait conduire à une amélioration des espèces à travers le processus de sélection naturelle. Selon lui c’est le contraire qui est vrai, tout se passant comme si l’évolution, qui est en réalité une involution, entraînait un affaiblissement du génotype au sein du vivant. Pour l’élitiste qu’est Nietzsche, il y a un rapport d’inversion entre le quantitatif et le qualitatif, le grand nombre nuisant à la qualité des unités… il existe aujourd’hui un mouvement philosophico-scientifique qui prétend avoir su tirer les conséquences ultimes de la pensée de Nietzsche : le transhumanisme. Pour les transhumanistes, la moralité ne saurait être une conséquence de l’animalité, mais elle au contraire une conséquence de l’artificialité techno-scientifique. Ce sont les hommes-machine de demain qui rendront l’humanité meilleure en prenant le pas sur les hommes-animaux que nous sommes encore…

 

Jean-Luc Berlet

(café-philo du 20 janvier 2014)

Tag(s) : #La morale

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