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« Belle, sans ornements, dans le simple appareil d’une beauté qu’on vient d’arracher au sommeil » 

Jean Racine  


En guise de prélude à ce « striptease philosophique », je ne pouvais m’empêcher de vous donner un bref résumé du roman de l’auteur anglais David Lodge
La vérité toute nue. Adrian Ludlow a connu dans sa jeunesse un succès retentissant avec son premier roman. Il vit désormais retiré dans une petite ferme du Sussex avec sa femme. Un jour son ami Sam Sharp qu’il a connu à la fac et qui a réussit à Hollywood dans les séries télé vient briser sa tranquillité en débarquant chez lui. Celui-ci est furieux à cause d’un article féroce qu’une journaliste, Fanny Tarrant, a publié sur lui suite à une interview qu’il lui a accordée pour un journal du dimanche. Ensemble, Adrian et Sam décident de se venger de la journaliste, au risque pour Adrian de mettre en danger ce qu’il tient le plus à préserver : son intimité…Ce polar anglais assez banal en apparence contient tout de même une vérité philosophique implicite : la vérité toute nue se rapporte fatalement aux thèmes du scandale, de la calomnie et de l’humiliation ! Les penseurs du soupçon que sont Kierkegaard, Sade ou Freud auraient probablement apprécié la lecture d’un tel roman ! A l’image du héros malheureux du roman Kierkegaard a été victime de la calomnie du célèbre journal danois Jiland Posten après la rupture scandaleuse de ses fiançailles. Pour se justifier aux yeux de ses contemporains, de la postérité et de Dieu, il a entrepris une véritable mise à nu de son individualité à travers une œuvre colossale ! La vérité toute nue de Kierkegaard c’est la vérité de son vécu singulier dans ce qu’il a de plus unique, d’où son cri du cœur: « la vérité c’est la subjectivité » ! La vérité toute nue, c’est la vérité existentielle par opposition à la vérité conceptuelle qui se dissimule toujours sous les habits de l’abstraction. C’est Jésus qui battu, ensanglanté et probablement nu répond à Pilate qui lui demande ce qu’est la vérité un cinglant : « Je suis la Vérité ! ». Pilate attendait une définition conceptuelle de la vérité, tandis que Jésus lui donne une définition existentielle qu’il ne peut comprendre. Pour Kierkegaard, la vérité toute nue, c’est que Dieu ne fait qu’un avec cet homme supplicié sur une croix en bois comme un vulgaire bandit ! C’est une vérité dérangeante et scandaleuse que la bienséance tient à recouvrir comme le valet couvre sa maîtresse endormie nue ! Or pour Kierkegaard une vérité qui refuserait de se déshabiller devant nous ne serait qu’une supercherie. Si chez Luther, la raison est la putain du diable chez Kierkegaard la vérité est la stripteaseuse de Dieu…
Avec la question du voyeurisme c’est toute l’œuvre du marquis de Sade qui est annoncée. Le « toute » de la vérité toute nue fait signe en direction de l’excès. Or, la pensée de Sade est une pensée de l’excès au sein de laquelle apparaît une évidente volonté d’humilier la vérité. Tandis que chez Kierkegaard c’est la vérité qui nous déshabille, chez Sade c’est à nous de déshabiller la vérité avant d’en profaner l’intimité. En bon romantique, Sade voyait dans la belle jeune femme vertueuse l’incarnation la plus accomplie de l’idée de vérité. Mais en tant que libertin pervers, voulant se venger d’une « vérité » officielle qui l’avait relégué au cachot, il a fait subir les pires sévices aux belles innocentes dans ses romans…C’est la vérité des fantasmes pornographiques d’un libertin trop longtemps privé de sexe qui s’est exprimé avec talent dans les œuvres les plus crues de Sade…Enfin, la vérité toute nue pourrait aussi être comprise comme le mot d’ordre de la psychanalyse, Freud ayant proposé une mise à nue de l’âme humaine à travers sa cure par la parole. Du point de vue psychanalytique, la névrose est toujours la conséquence d’un refoulement des traumatismes de la petite enfance généralement liés au complexe d’Œdipe. La guérison passe par une épreuve de vérité où le patient doit énoncer sincèrement ses pulsions sexuelles et criminelles. Si l’on compare l’inhibition à un voile pudique qu’on dépose  sur notre inconscient, la psychanalyse est aussi un striptease de la vérité…      


Biblio :
Kierkegaard, In vino veritas – Sade, Les infortunes de la vertu – Freud, Au-delà du principe de plaisir    

 Jean-Luc Berlet


      (café-philo du 12 janvrier 2010 au Dupont-café)     


Tag(s) : #Textes des cafés-philo

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