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 « Le bonheur, c’est d’avoir une bonne santé et une mauvaise mémoire ». 

             Ingrid Bergman  

 

Cette définition du bonheur proposée par Ingrid Bergman rappelle un peu Voltaire qui faisait l’éloge de l’imbécile heureux dans son conte philosophique Zadig. De fait, si l’on n’a mal nulle part, il suffit d’oublier très vite les autres désagréments de l’existence pour se sentir heureux. Comme l’a affirmé Épicure, le bonheur se résume à l’absence de trouble. L’ataraxie épicurienne se caractérise par une absence de douleur physique conjuguée à un oubli du passé et une insouciance du futur…

L’aphorisme sur le bonheur de la belle actrice suédoise a aussi un accent nietzschéen très marqué. En effet, l’idéal du bonheur de Nietzsche repose sur un subtil mélange de bonne santé et de capacité d’oubli. Le philosophe allemand voit dans la rumination du passé et dans le ressentiment contre la vie les principaux poisons qui viennent gâcher notre bonheur. Le médecin de la civilisation que se voulait Nietzsche a pressenti que la maladie n’était jamais que la conséquence d’une trop bonne mémoire du corps. Or pour lui, la société occidentale de son temps est comme un grand corps malade de son ressassement permanent de l’histoire. Selon Nietzsche, l’occident souffre d’un mal qu’il appelle le nihilisme et qui se caractérise par une fatigue de vivre et une dévalorisation des instincts. 

L’intuition audacieuse de Nietzsche sera largement exploitée par Freud à travers la psychanalyse. Selon Freud, les traumatismes subis dans la petite enfance et refoulés dans l’inconscient peuvent être somatisés au point d’entraîner des maladies graves. D’ailleurs, Anna O., une hystérique guérie par Freud souffrait de paralysies, le mal physique constituant un transfert de son mal psychique. Il n’est d’ailleurs pas anodin ici d’ajouter qu’Ingrid Bergman a été une admiratrice fervente de la psychanalyse ! 

Cependant, en dépit de son apparent bon sens, l’aphorisme d’Ingrid Bergman n’est pas une vérité incontestable. L’exemple de Marcel Proust vient même contredire de manière frontale la pertinence de l’aphorisme bergmanien. Proust a été un grand malade qui n’a eu cesse de cultiver le sens de sa mémoire à travers l’écriture et à en croire son propre témoignage il a été un homme plutôt heureux ! Proust a développé avec génie l’art de transfigurer le réel à travers la magie du souvenir qui a le pouvoir de rendre les choses plus belles qu’elles ne l’étaient. La position du Proust sur le bonheur se résume à cette magnifique phrase du Temps retrouvé : 

 

        « Les plus beaux paradis sont ceux que l’on a perdus. »

Tag(s) : #Textes des cafés-philo

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