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« L’homme porte le mystère de la vie qui porte le mystère du monde. »  Edgar Morin 


 

Ce sujet poétique « le monde et ses mystères » est à la fois séduisant et embarrassant, car il présente en même temps le charme de l’infini et le piège de l’indéfini. Il y aurait tant de manières différentes de le traiter qu’il me faut préalablement préciser mon angle d’analyse en revenant sur les divers sens de ces deux termes de monde et de mystère. Le monde peut d’une part être envisagé sous le registre épistémologique où il désigne l’ensemble des réalités matérielles qui composent le cosmos, l’univers ou en un sens plus restreint le système planétaire terrestre. Le monde peut d’autre part être appréhendé sous une approche phénoménologique où la notion  renvoie aux phénomènes de conscience comme dans l’expression « le monde intérieur » par opposition au « monde extérieur ». L’ « être au monde » de Heidegger est un exemple célèbre d’une telle approche phénoménologique ou ontologique de la notion de monde. Enfin on peut aussi privilégier un sens esthétique du monde tel que dans la notion grecque de cosmos qui donnera le terme de cosmétique ou dans la notion indienne de samsara qui a donné son nom à un parfum célèbre ! Quant à la notion de mystère, elle a d’abord une connotation religieuse et ce tant à travers religions à mystère de l’Antiquité grecque qu’à travers la dogmatique chrétienne. En latin médiéval, misterius signifie la cérémonie et le mystère désigne alors un genre théâtral particulier avec la succession de divers tableaux de vie. Le mystère va recevoir plus tard un sens existentiel où il se définit comme ce qui demeure étranger à la raison, bien qu’étranger à la Révélation divine. Gabriel Marcel oppose ainsi le mystère au problème : les données d’un problème sont toute entières étalées devant moi et elles préparent une démarche visant à le résoudre tandis que le mystère est une difficulté inhérente à la nature des choses, « quelque chose où je me trouve engagé » personnellement tout entier.

La forme de l’énoncé « le monde et ses mystères » présuppose une foi au moins philosophique dans l’existence de mystères. Cela me permet d’éliminer d’office de mon champ de réflexion la perspective épistémologique, cette dernière excluant implicitement l’idée que le monde puisse avoir des mystères. De fait, le sujet nous place d’emblée dans une perspective « religieuse » que ce soit au sens ésotérique, dogmatique ou existentiel. Du point de vue ésotérique tel qu’on le trouve dans les religions à mystère comme l’orphisme, le monde possède un sens caché contenu dans ses mystères que seuls des « initiés » peuvent élucider. Du point de vue dogmatique du christianisme, les dogmes de la foi constituent des mystères qui ne pourront être compris que par les élus de Dieu à « la fin du monde ». Enfin, du point de vue existentiel il existe un mystère ontologique, que ce soit sous la forme du paradoxe de l’existence de Kierkegaard, du retrait de l’Être de Heidegger ou du mystère de l’Être de Marcel. Leibniz avait bien mis le doigt sur ce mystère fondamental de l’Être avec sa question métaphysique incontournable : « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? ». Pour le philosophe allemand, tous les mystères du monde ne sont jamais que des expressions de ce mystère ontologique fondamental. Heidegger s’étonne d’ailleurs qu’il ait fallu attendre Leibniz et le XVIIème siècle pour qu’on pose enfin cette question qui avait échappé à tout le monde… 

Enfin, le monde et ses mystères est aussi à rapprocher de la belle métaphore du voile d’Isis qui a inspiré à Pierre Hadot un livre au titre éponyme. Le voile d’Isis est l’image poétique de ces mystères que nous dissimule le monde. L’idée féconde exprimée par la métaphore est que le mystère divin du monde ne se révèle qu’à des « initiés », Isis ne dévoilant son visage d’une beauté infinie qu’à ses fidèles animés de l’amour le plus pur ! Peut-être que le philosophe russe Soloviev a eu cette grâce dans le désert d’Egypte où il aurait vu le beau visage divin de la Sophia à travers une Illumination ? 

 

Jean Luc Berlet

café-philo du 9 novembre 2010.

Tag(s) : #Textes des cafés-philo

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