La possibilité d’une île…
«Qui parmi vous mérite la vie éternelle ? » Michel Houellebecq
Il est devenu de bon ton aujourd’hui de rapprocher Michel Houellebecq de Nietzsche. En réalité, Houellebecq est bien plus schopenhauerien que nietzschéen, ce que du reste il assume parfaitement. Sa vision du monde pétri de pessimisme désabusé et exprimé avec une bonne dose d’humour noir rappelle bien plus l’auteur du « Monde comme volonté et représentation » que celui du « Ainsi parlait Zarathoustra ». A mon sens, le vrai romancier nietzschéen d’aujourd’hui ce serait plutôt Frédéric Beigbeider, mais c’est là une autre histoire qu’il faudra un jour traiter en café-philo ! Cela dit, il est vrai que Nietzsche a été le disciple fervent de Schopenhauer avant de rompre brutalement avec son maître sans pour autant abandonner la totalité de sa pensée. De plus est, selon moi il y a au moins un roman de Houellebecq qui comporte des accents plus nietzschéens que schopenhauerien : il s’agit de « La possibilité d’une île ». Dans ce roman qui tourne autour du clonage humain avec la secte Raël en toile de fond, c’est l’idée nietzschéenne du Surhomme dans sa version biopolitique qui transparaît…
La tradition philosophique a longtemps sous-estimé la dimension « biopolitique » de la pensée de Nietzsche, certainement dans un souci de la « dégager » de son odeur de souffre eugénique laissée après sa « récupération » par le nazisme. Or, si l’idée nietzschéenne du Surhomme a incontestablement une signification esthétique à travers la figure du philosophe-artiste, il ne faut pas pour autant refuser de voir sa signification biopolitique. Nietzsche a résolument prôné une forme d’eugénisme en appelant de ses vœux la création d’une nouvelle « race » aristocratique chargée de conduire le destin de l’humanité. Il préconisait à la fois une « union » entre les élites politiques prussiennes et les élites intellectuelles juives ainsi que la « régénération » de la « vieille Europe décadente » par le sang plus vigoureux des « hordes sauvages » de l’Asie ! Comment ne pas mettre ce « fantasme » nietzschéen en rapport avec celui de Houellebecq dans « Plateforme » où il oppose le sourire plein de vitalité des putes thaï à la tristesse morbide des putes occidentales ! Dans « La possibilité d’une île », Houellebecq nous confesse subtilement son admiration pour la techno-science ainsi qu’une certaine fascination pour la possibilité du clonage humain. Il nous rappelle dans ce livre qu’avant d’être devenu un romancier à succès il était ingénieur d’où sa remarquable culture scientifique. Et comme Nietzsche, Houellebecq exprime dans ce livre son dégoût pour la « populace », l’évocation « futuriste » de ce qu’il appelle les « grandes réductions démographiques » semblant lui procurer une jouissance à peine voilée. Pour Houellebecq comme pour Nietzsche, il y a incontestablement trop d’hommes sur la planète. Pour eux, c’est un peu comme si la quantité était inversement proportionnelle à la qualité…
A bien des égards, dans « La possibilité d’une île » Houellebecq fait le pont entre la version nietzschéenne du Surhomme et celle du mouvement transhumaniste né en Californie. Mais le pont de Houllebecq est piégé, d’où la chute finale annoncée par l’intrigue dans la secte Raël. Le mouvement transhumaniste, dont Raël n’est jamais qu’une contrefaçon à la française, s’est en effet fixé pour objectif de créer un homme nouveau plus fort, plus beau et plus moral que l’ancien avec le clonage comme voie royale pour atteindre un tel objectif…En reprenant un style « biblique » dans « La possibilité d’une île » avec les cotations du livre de Daniel, c’est un peu comme si Houellebecq s’inspirait du style prophétique de Nietzsche dans « Ainsi parlait Zarathoustra ». Du coup c’est une impression « apocalyptique » qui se dégage du roman et qui rend bien compte de notre thématique du « trop d’hommes »…
Biblio : Michel Houellebecq, La possibilité d’une île – F. Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra