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Au Sujet de personne.

L’origine du mot personne provient probablement de l’étrusque et désignait les masques que portaient les comédiens au théâtre. Ces masques donnaient l’apparence, incarnaient chaque « personnage ». Le film de Bergman, « Persona », y fait référence.

Le mot personne évoque l’idée d’une présence ou d’une absence humaine, tandis qu’individu est utilisé pour désigner l’un, en tant qu’indivisible, d’une espèce.

 

« Qui t’agresse ? » « Personne ! »

Dans l’Odyssée d’Homère, Personne (Οὖτίς / Oũtis en grec ancien) est le nom par lequel le cyclope Polyphème désigne Ulysse, qui lui a crevé l’œil. Le jeu de mots permet d’éviter le renfort des autres cyclopes, qui croient alors leur congénère devenu fou, étant attaqué par « personne ». Ulysse peut ainsi fuir l’île des cyclopes avec ses marins.

Les jeux de mots de cet épisode sont complexes et portent sur des homophonies difficiles à percevoir, qu’une prononciation par le grec moderne éclaire en lui donnant une dimension vertigineuse !

Πολύφημος = Polyphème nom du Cyclope correspond à πολύφημος = le bavard, mot qui comporte la racine du verbe φημί (phemi) manifester sa pensée par la parole. À rapprocher aussi des racines πολυ (polu) et σημ (sem) qui ont donné le mot polysémie, σῆμα (sema) étant un signe à interpréter, par exemple un augure en l’occurrence il s’agirait d’une « Polyphème » qui est la cause de l’erreur du Cyclope, ce qui rajouterait encore un jeu de mot à l’histoire...

Quand Polyphème lui demande son nom (en grec la question est : comment t’appelle-t-on ?) Ὀδυσσεύς (Ulysse à prononcer odissefs) répond que ses amis l’appellent Ὀδύς ( à prononcer, odiss, apocope de son prénom, comme Nicos pour Nicolaos)...

C’est en fait par la langue qu’est trahi Polyphème, et non par Ulysse l’homme aux mille ruses. Ulysse lui dit être appelé Ὀδύς (Odiss), Polyphème entend οὐδείς (oudiss) et répète οὖτις (outiss) à ses congénères qui le croient devenu fou !

Il y a donc jeux de mots multiples qu’une traduction française peut difficilement rendre.

« Οὖτίς με κτείνει / Oũtís me kteínei » mot à mot « Personne me tue » ou « personne ne me tue » puisque la langue grecque n’a pas besoin d’une deuxième négation celle-ci étant déjà incorporée au sujet.

Dans le film « Mon nom est Personne », la même idée est reprise. Elle est un jeu entre le héros finissant et un de ses jeunes admirateurs, sur la notion de notoriété. Le nom « Personne » est une référence à un épisode de L’Odyssée d’Homère.

La réplique dite par Jack Beauregard à Personne à propos de la horde sauvage « apprends d’abord à devenir quelqu’un, et nous irons ensuite les encercler » sonne comme un appel à grandir et à mûrir.

Dans le film Dead Man de Jim Jarmusch, un des personnages principaux, interrogé sur son nom, réplique : My name is nobody. (« Mon nom est personne. »)

En grec il y a plusieurs façons de dire personne au sens négatif (nobody en anglais ou nemo en latin, et non au sens de somebody en anglais ou persona en latin ...) : οὖδείς (à prononcer oudiss), οὖτις (à prononcer outiss), μήτις (à prononcer mitiss) - en outre, μήτις a lui même un homonyme μῆτις qui signifie ruse...-

 

Les droits de l’homme et l’idée de dignité humaine se fondent aujourd’hui encore sur la notion de « personne ». Fonder la dignité de l’homme sur la notion de personne paraît doublement problématique.

– Premièrement, le concept de « personne » énonce une dignité qui n’est pas propre aux hommes : ce concept s’applique aussi à Dieu et aux anges (à supposer qu’ils existent), aux êtres rationnels non humains, et même à certaines bêtes possédant la conscience de soi.

– Deuxièmement, cette dignité ne concerne pas tous les hommes : les embryons, les nouveau-nés, les comateux profonds, certains handicapés mentaux, etc., en sont exclus, car ils ne manifestent pas ou plus les caractères de la « personne ».

Pour mettre ce point en évidence, un bref rappel historique. Le concept de personne fut élaboré par Boèce (470 à Rome, mort en 525 à Pavie). Non pas pour mettre en lumière une dignité proprement humaine, mais pour lever une difficulté théologique. Autrement dit le concept de personne n’a pas été formé pour qualifier l’homme et ce qui fait sa dignité. C’est au chapitre III de son ouvrage « Contra Eutychès et Nestorius » que Boèce élabore le concept de « personne », en le distinguant du concept de « nature ». Cette distinction est à ses yeux nécessaires, car la confusion entre « nature » et « personne » conduit aux hérésies.

Les nestoriens partent de l’idée que le Christ possède une double nature, humaine et divine. De là, ils concluent que le Christ incarne non pas une, mais deux personnes. Par son verbe, le Christ est une personne divine, mais, du fait de son incarnation, c’est une personne humaine. Cette interprétation met en péril l’unité personnelle du Christ. Les eutychiens, de leur côté, posent l’unité de la personne du Christ. De là, ils concluent à l’unité de sa nature. Le Christ est uniquement divin. Cette position met en péril un des enseignements majeurs de l’incarnation selon Boèce, qui est que Dieu peut assumer une nature non divine, mais humaine, tout en restant le même individu. Il s’agit pour Boèce de justifier la position officielle di catholicisme, selon laquelle le Christ possède deux natures, humaine et divine, tout en étant une seule personne (divine).

N’étant pas élaborée pour souligner une qualité proprement humaine, la notion de personne ne cerne pas l’homme comme tel. L’extension du concept de personne est beaucoup

Boèce écrit :

    1    « Nous disons qu’il existe une personne de l’homme, nous le disons de Dieu, nous le disons des anges ».

Dire que Dieu et les anges sont des personnes au même titre que les hommes, c’est dire que le concept de personne garderait tout son sens même si l’homme n’existait pas.

Saint Thomas d’Aquin ajoute au concept de « personne » l’idée de liberté. La personne désigne l’individualité d’un être libre de choisir, en tant qu’il est capable de raisonnement et de délibération. Locke enrichit la notion de personne en lui adjoignant la notion de « conscience de soi ». Si je perds la conscience de mes actes passés, je ne suis pas la « personne » qui a fait ses actes, tout en étant le même homme.

« S’il est possible à un même homme d’avoir en différents temps une conscience distincte et incommunicable, il est hors de doute que le même homme doit constituer différentes personnes en différents temps. »

Selon Locke confondre « homme » et « personé » est une faute morale et juridique : cela revient à sanctionner injustement une personne, disons Dr Jekyll pour les actes commis par une autre personne, M Hyde, même s’il s’agit du même homme.

Kant dit qu’un être humain devient une personne lorsqu’il possède le « Je » dans la pensée. Est une « personne » tout être raisonnable capable d’autonomie, c’est-à-dire capable d’obéir à la loi de sa raison comme critère du bien moral. Kant reste fidèle à ses prédécesseurs le domaine de la personnalité est plus large que celui de l’humanité. En résumé, ceci revient à dire que si l’homme est digne en tant que personne, il ne l’est pas à proprement parler en tant qu’homme.

Bref étendre la notion de personne au-delà de l’univers de l’homme n’enlève rien au fait que l’homme en tant que personne est digne de respect. On peut même aller plus loin ; continuer de placer la dignité de l’homme dans la personnalité, cela expose un grand nombre d’êtres humains à être traités comme de simples choses.

 

Dire : « tel homme est une personne » revient à dire :

Cet homme est capable d’inférences de déductions rationnelles même minimes.

Il possède la capacité d’agir librement.

Il possède le « Je » dans sa pensée, il est conscient de soi et assume ses actes comme étant les siens.

Cette notion a contribué à la défense de certains humains soumis à de mauvais traitements, même sert aussi à justifier la suppression ou encore l’exploitation de certains humains.

Ainsi selon Peter Singer non seulement l’embryon, mais encore le bébé humain n’est pas une personne, car « il n’est pas capable de se concevoir lui-même comme existant dans le temps ». On peut ainsi hiérarchiser les valeurs des différentes vies selon qu’elles correspondent ou non aux critères de la personne.

Lucine Sève souligne que la notion de personne (individu conscient, rationnel, etc.) est insuffisante pour faire face aux problèmes que posent les sciences biomédicales et par développement la marchandisation du matériel biologique humain. Il est ainsi difficile d’admettre que l’on puisse « débrancher » les hommes en coma profond et les traités comme de simples choses au motif qu’ils ne manifestent plus les caractéristiques de la personne. Comme s’il n’y avait personne.

L’enjeu est clair, il s’agit de parvenir à identifier la personne à l’être humain réel, pour donner une toute autre effectivité aux impératifs que commande la reconnaissance de sa dignité.

La définition ; la personne est une valeur attachée à tout humain en tant que tout humain est lié socialement à d’autres personnes (parents civilisation dans lequel il s’inscrit). Le fait d’être lié socialement à des personnes confère à tout humain la dignité de la personne. Est-elle suffisante ?

On se demande : en quoi le fait d’appartenir à un groupe humain suffit à conférer une quelconque dignité. 

En quoi le concept de personne a encore à voir avec le sens usuel du terme de « personne »

 

Plus tôt que de tordre la notion de personne pour l’élargir, au risque de la vider de son sens traditionnel, renonçons purement et simplement à cette notion trop restrictive, pour déterminer la dignité de l’être humain comme tel. Cherchons un autre trait en l’homme qui serait susceptible de manifester une dignité attachée à tout être humain comme tel.

Tag(s) : #Textes des cafés-philo

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