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Cette expression tellement courante nous a permis d’ancrer dans le quotidien un questionnement typiquement philosophique puisque l’ambition — certes démesurée — était d’apprendre à évaluer la gravité des faits auxquels nous sommes confrontés (qu’est-ce qui est grave?) et d’en tirer une sagesse (quand faut-il être grave?). Loin de reproduire toute la richesse du débat, nous nous focaliserons sur la manière dont notre perception de la gravité peut être faussée.

 

Quand l’homme est-il grave?

L’homme grave peut être vu comme « prenant appui sur un cadre de permanences ». Cette approche permet de décliner différentes acceptions du mot entre.

 — d’une part la gravité de l’imbécile dont parle Montesquieu ou du salaud dont parle Sartre qui ont tout intérêt à ce que le cadre moral ou social reste ce qu’il est

— et à l’opposé la gravité de l’homme responsable aux actions conséquentes.

Le détachement peut correspondre au fait que le cadre (lois physiques ou divines, par exemple) ne dépend pas de nous.

 

Quand un fait est-il perçu comme grave?

L’implication du soi semble déterminante dans la perception de la gravité : elle nous touche voire nous déstabilises-y compris indirectement par compassion ou (auto) culpabilisation.

Et bien sûr, elle est relative à chacun.

Charles Melman  s’interroge sur ce qu’il appelle une « nouvelle économie psychique », favorisée par notre époque de zapping, qui peut mener à des cas d’apathie totale où plus rien n’est ressenti comme grave. Essayons tout de même de voir la gravité objectivement.

Comment la gravité des choses nous échappe-t-elle?

Les catastrophes, événements graves par excellence, sont soit naturelles soit humaines (soit divines, — mais il faudrait reproduire tous les débats autour de la théodicée leibnizienne pour en parler). 

Mais peut-il y avoir des catastrophes uniquement naturelles? Rousseau note après le tremblement de terre de Lisbonne en 1755 que ce n’est pas la nature qui avait placé là cette concentration humaine.

L’implication-responsabilisation de l’homme — propice à la perception de la gravité — est ainsi brouillée notamment

— par l’impression que l’événement nous échappe parce qu’il semble venir du cours naturel des choses ou de la volonté divine. Même dans le cas des horreurs du nazisme, qui sont clairement de la responsabilité humaine, et en s’appuyant sur les réflexions d’Annah Arendt, il apparaît que les acteurs mêmes de ces horreurs ont perdu le sens de leur implication et de la gravité de leurs actes en se croyant pris dans un système qui les dépassait à la manière d’un phénomène naturel — même si ce n’est pas la seule explication.

— par le manque de rapport apparent entre la cause individuelle et la conséquence collective. (Ce n’est pas moi qui vais asphyxier la planète en prenant l’avion).

— par l’incertitude apparente de la catastrophe. En ce sens, Jean-Pierre Dupuy parle de « catastrophisme éclairé » : il faut voir la catastrophe comme présente pour avoir une chance de l’éviter.

— par le caractère chronique des dégradations. La gravité est plus évidente avec l’effet de rupture d’une catastrophe. Mourir à petit feu paraît dans l’ordre naturel des choses — surtout si on en reste à une conscience individuelle.

 

Conclusion : faut-il être grave?

La gravité des dégradations écologiques, mais aussi économiques et sociales est-elle exagérée? Sans tomber dans la culpabilisation, il faut sans doute se demander si nous nous laissons prendre dans une machine humaine destructrice, un mouvement de foule suicidaire qui semble nous échapper et pourtant dépend de nous.

 

Sandrine Roussel

Tag(s) : #Textes des cafés-philo

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