Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

 

 

Bonjour,

 

Aujourd’hui, les Français sont confinés. Certes, cela nous empêche de nous réunir autour d’une table au café. Nous nous y retrouvons deux fois par mois. Personne ne sait encore quand nous pourrons converser ensemble.

Les techniques modernes nous permettraient de nous retrouver via les écrans, certains le font, j’y participe parfois.

Mais nous avons la chance, d’être chacun chez soi. En quoi cela est extraordinaire, en ce sens qu’au 20e siècle, l’ordinateur devint un objet commun. Puis sont apparu les réseaux internet, réseaux qui à l’origine permettaient aux savants d’échanger par la voie épistolaire, pourquoi pas scripturaire.

 

Certain d’entre vous dirons, «les antiques» philosophaient par le discours, le dialogue. C’est Socrate qui nous le fait croire. Mais pour ceux qui connaissent la Grèce antique, on sait que de nombreux textes philosophiques furent écrits. Je connais un philosophe allemand qui l’a écrit, Friedrich Wilhelm Nietzsche, il est musicien, il est philosophe, et il est philologue. Science bien étonnante ont on a sans doute oublié l’importance. «Philologie», nom d’une science sœur presque jumelle de la philosophie. Dès ses premiers pas comme science des textes, elle s’attira les foudres de Sénèque pour s’être substituée à la philosophie. Il faut attendre Nietzsche pour que se réalise l’inversion de ce processus, à la fois espoir et programme de transmutation de la philologie en philosophie. Le philosophe allemand n’abandonna jamais totalement la philologie de ses jeunes années et la capacité de critique de la modernité qu’elle lui avait ouverte, au point de l’ériger au rang de méthode générale, l’art de bien lire toutes choses. Lire Nietzsche requiert donc une prise en compte de son activité philologique savante. Nietzsche s’est toujours intéressé à l’art ou la science de la lecture, de la tragédie à Platon, en passant par la rythmique, la poésie lyrique ou la figure d’Héraclite.

Dans Aurore vous pouvez lire ceci au 5 ° paragraphe de l’avant-propos :

 

«Un tel livre et un tel problème n’ont nulle hâte; et nous sommes, de plus, amis du lento, moi tout aussi bien que mon livre. Ce n’est pas en vain que l’on a été philologue, on l’est peut-être encore. Philologue, cela veut dire maître de la lente lecture : on finit même par écrire lentement. Maintenant ce n’est pas seulement conforme à mon habitude, c’est aussi mon goût qui est ainsi fait — un goût malicieux peut-être — ne rien écrire d’autre que ce qui pourrait désespérer l’espèce d’hommes qui “se hâte”.»

 

Lire Platon est indispensable. Comment ces textes nous sont arrivés? Qui ne se pose pas de questions. Platon, mais les présocratiques tels Pythagore Parménide nous ont laissé des traces écrites.

Le 11 mai 1988, paraissait à la «Pléiade», dans a collection encyclopédie, «Les Présocratiques» un ouvrage de 1680 pages. Cet ouvrage est une recension des textes philosophiques grecs.

 

Il faut prêter l’oreille aux stridences et à la polyphonie chatoyante du sacre de ce printemps de la Grèce, pour entendre la réponse aux questions : «Qui sommes-nous?» et «D’où venons-nous?». On ne peut, en effet, entrer dans les pensées achevées des grands maîtres du IVe siècle, tels Platon ou Aristote, si l’on n’observe pas la manière, dont les sciences rationnelles; arithmétique, géométrie, stéréométrie, harmonie, astronomie, éthique, politique, esthétique, médecine ont pris naissance.

Il est indispensable d’observer le processus de développement de la pensée grecque en ayant sous les yeux les textes originaux, au moment où ils naissent.

Cet ouvrage concerne plus de soixante-dix philosophes, prédécesseurs ou contemporains de Socrate. Cela déplace la coupure, qui n’est plus à «présocratique», mais plutôt, comme le proposait le jeune Nietzsche, à «préplatonicien».

Chez ces auteurs-philosophes, les textes sont écrits certes en grec, mais aussi en latin, arabe, syriaque, arménien, hébreu.

La philosophie n’est pas que dialogue. Entendons par dialogue la façon d’écrire telle que le faisait déjà Homère, des paroles échangées entre plusieurs personnes, le plus souvent deux. Au théâtre, on joue sur un dialogue écrit.

 

Pourquoi cette longue introduction? Pour vous proposer de revenir à une forme de réflexion philosophique, celle qui fut toujours pratiquée, la réflexion par l’écriture, puis la lecture.

La philosophie a des outils. Ils sont multiples, je ne les citerai pas il ne s’agit pas d’un mémoire, mais d’un travail collectif comme tous les philosophes l’on fait.

 

La méthode est simple. Vous écrivez, une version informatique est plus pratique, un texte plus ou moins long (attention certains lecteurs se lassent) et vous le placez dans les commentaires, ou vous me les envoyez par «mail» et me chargerez de les placer à la suite de ce texte.

 

La question pourrait être; peut-on philosopher sans paroles ?

 

Confinement, mot à la mode, qui n’est nullement une privation de liberté, un enfermement,

confinium a un double sens; la limite commune, le voisinage, la proximité. La parole ne porte pas aux limites.

 

 

Maxime.

__________________________________________________________________________________

__________________________________________________________________________________

 

Mardi 7 avril 12h00

 

Bonjour Maxime et merci pour votre proposition.

Je propose à votre lecture et critique ce texte issu du Zarathoustra de Nietzsche, merci pour vos retours:

 

« De la nouvelle idole, »

Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra (1883-1885), première partie

 

Il y a quelque part encore des peuples et des troupeaux, mais ce n’est pas chez nous, mes frères : chez nous il y a des Etats. L’Etat ? Qu’est-ce cela ? Allons ! ouvrez les oreilles, je vais vous parler de la mort des peuples. L’Etat, c’est le plus froid des monstres froids. Il ment froidement, et voici le mensonge qui rampe de sa bouche : « moi, L’Etat, je suis le Peuple ». C’est un mensonge ! Ils étaient des créateurs ceux qui créèrent les peuples et qui suspendirent au-dessus des peuples une foi et un amour : ainsi ils servaient la vie. Ce sont des destructeurs ceux qui tendent des pièges au grand nombre et qui appelle cela un Etat : ils suspendent au-dessus d’eux un glaive et cents appétits. Partout où il y a encore du peuple, il ne comprend pas l’Etat et il le déteste comme le mauvais œil et une dérogation aux coutumes et aux lois. Je vous donne ce signe : chaque peuple a son langage du bien et du mal : son voisin ne la comprend pas. Il s’est inventé ce langage pour ses coutumes et ses lois. Mais l’Etat ment dans toutes ses langues du bien et du mal ; et, dans tout ce qu’il dit, il ment – et tout ce qu’il a, il l’a volé. Tout en lui est faux ; il mord avec des dents volées, le hargneux. Même ses entrailles sont falsifiées. Une confusion des langues du bien et du mal – je vous donne ce signe, comme le signe de l’Etat. En vérité, c’est la volonté de la mort qu’indique ce signe, il appelle les prédicateurs de la mort ! Beaucoup trop d’hommes viennent au monde : l’Etat a été inventé pour ceux qui sont superflus ! Voyez donc comme il les attire, les superflus ! Comme il les enlace, comme il les mâches et les remâches ! « Il n’y a rien de plus grand que moi sur la terre je suis le doigt ordonnateur de Dieu » - ainsi hurle le monstre. Et ce ne sont pas seulement ceux qui ont de longues oreilles et la vue basse qui tombent à genoux ! Hélas, en vous aussi, ô grandes âmes, il murmure ses sombres mensonges ! Hélas, il devine les cœurs riches qui aiment à se répandre ! Certes, il vous devine, vous aussi, vainqueurs du Dieu ancien ! Le combat vous a fatigués et maintenant votre fatigue se met au service de la nouvelle idole ! Elle voudrait placer autour d’elle des héros et des hommes honorables, la nouvelle idole ! Il aime à se chauffer au soleil de la bonne conscience, le froid monstre ! Elle veut tout vous donner, si vous l’adorez, la nouvelle idole : ainsi elle s’achète l’éclat de votre vertu et le fier regard de vos yeux. Vous devez lui servir d’appât pour les superflus ! Oui, c’est l’invention d’un tour infernal, d’un coursier de la mort, cliquetant dans la parure des honneurs divins ! Oui, c’est l’invention d’une mort pour le grand nombre, un mort qui se vante d’être la vie, une servitude selon le cœur de tous les prédicateurs de la mort ! L’Etat est partout où tous absorbent des poisons, bons et mauvais : l’Etat, le lieu où le lent suicide de tous s’appelle « la vie ». Voyez donc ces superflus ! Ils volent la puissance et avant tout le levier de la puissance, beaucoup d’argent, ces impuissants ! Voyez les grimper ces singes agiles ! Ils grimpent les uns sur les autres et se poussent ainsi dans la boue et l’abîme. Ils veulent tous être proches du trône – et souvent aussi le trône est dans la boue. Ils m’apparaissent tous comme des fous, des signes grimpeurs et impétueux. Leur idole sent mauvais, ce froid monstre : ils sentent tous mauvais, ces idolâtres. Mes frères, voulez-vous donc étouffer dans l’exhalaison de leurs gueules et de leurs appétits ! Cassez plutôt les vitres et sautez dehors. Evitez donc la mauvaise odeur ! Eloignez-vous de l’idolâtrie des superflus. Evitez donc la mauvaise odeur ! Eloignez vous de la fumée decUne vie libre reste ouverte aux grandes âmes. En vérité, celui qui possède peu est d’autant moins possédé : bénie soit la petite pauvreté ! Là où finit l’Etat, là seulement commence l’homme qui n’est pas superflu : là commence le chant de la nécessité, la mélodie unique, à nulle autre pareille. Là où finit l’Etat – regardez donc mes frères ! – ne voyez-vous pas l’arc en ciel et le pont du Surhumain ?

__________________________________________________________________________________

__________________________________________________________________________________

 

Lundi 13 avril 20h00

 

 

Face au choix d’un texte sorti de son contexte, peut-on identifier les préoccupations de sa lectrice?

 

Voici trois propositions qui pourraient être une source de réflexion : 

 

–La légitimité de l’état?

 

Au nom de quelles valeurs ou de quels principes et dans quelle mesure, l’État a-t-il la compétence de réprouver, de prévenir ou de sanctionner certaines conduites et de gérer la vie privée de ces citoyens

 

–Le mensonge, comme forme de coercition, moyen d’exercer un pouvoir arbitraire sur l’autre en le faisant agir contre ses intentions et sa volonté?

 

Harry G. Frankfurt dans De l’art de dire des conneries, un monde de mensonges responsables est peut-être plus sûr qu’un monde de conneries irresponsables, où personne ne se donne la peine de mesurer ses actes de parole trompeurs à leurs conséquences.

Un menteur dit délibérément le faux, le diseur de conneries n’est tout simplement pas intéressé par la vérité.

 

–Que faire de cette expérience inédite de retrait du monde?

 

«Ne pensons plus autant à punir, à blâmer et à vouloir rendre meilleur! Nous arriverons rarement à changer quelqu’un individuellement; et si nous y parvenions, peut-être sans nous en apercevoir, aurions-nous fait autre chose encore : nous aussi, nous aurons été changés par l’autre! Tâchons plutôt que notre influence sur ce qui est à venir contrebalance la sienne et l’emporte sur elle! Ne luttons pas en combat direct! — et toute punition, tout blâme, toute volonté de rendre meilleur est cela. Élevons — nous au contraire nous-mêmes d’autant plus haut! Donnons à notre exemple des couleurs toujours plus lumineuses! Obscurcissons l’autre par notre lumière! Non! À cause de lui nous ne voulons pas devenir plus obscurs nous-mêmes, comme tous ceux qui punissent, comme tous les mécontents.

Mettons-nous plutôt à l’écart! Regardons ailleurs! . Ainsi parlait Zarathoustra.

 

Béatrice.

Envoyé de mon iPad

__________________________________________________________________________________

__________________________________________________________________________________

Mardi 14 avril, 12h00

 

 

Maxime,

Suite à votre introduction sur le rôle de l’écriture en philosophie, j’ajoute un élément de connaissance et sans doute de réflexion. J’ai apprécié votre référence à Nietzsche,  particulièrement la citation extraite de Aurore, l’insistance sur le philologue qu’il a été et qu’il est resté, et  plus généralement, de la philologie dans ses rapports très étroits à la philosophie, au sens où elle constitue une lecture savante des textes.Je précise quand même ce que Nietzsche en dit, lors de son discours d’ouverture lors de sa nomination à l’Université «Absolument toute activité philologique doit être enfermée et enserrée dans une vision du monde philosophique...» mais au fur et à mesure de son œuvre, on constate qu’il entretient un rapport paradoxal avec la philologie, tantôt elle sera désignée comme close à la dérive ou au contraire comme ne faisant que commencer. Ce fut néanmoins son intérêt 1er, essentiel et permanent, indissociable de sa philosophie.

En réfléchissant au sujet  que vous proposez, j’ai trouvé que je manquais de beaucoup   trop de  connaissances ethnologiques et philologiques, pour en dire quelque chose de valable.    Mais, en vous lisant, j’ai tout de suite pensé à ce que Nietzsche appelle «la faculté de ruminer», idée pouvant prolonger le texte d’Aurore que vous citez, et dont qu’il nomme particulièrement dans l’Avant Propos de la Généalogie de la Morale, terminé à Sils Maria en 1887. J’en cite quelques lignes :

«Il est vrai que, pour élever ainsi la lecture à la hauteur d’un art, il faut posséder avant tout une faculté qu’on a précisément le mieux oubliée aujourd’hui-et c’est pourquoi s’écoulera encore du temps avant que mes écrits soient “lisibles” — d’une faculté qui exigerait presque que l’on ait la nature d’une vache, et non point, en tous les cas celle d’un homme» moderne» : j’entends la faculté de ruminer...»

D’abord on doit faire remarquer que les métaphores digestives sont fréquentes dans l’œuvre de Nietzsche. Par exemple il emploie le mot dyspeptique pour parler de celui qui est en proie au ressentiment.

Ici, la faculté de ruminer, ne signifie pas le fait de ressasser, elle désigne un élément de sa méthode de penser, qui n’est ni dans le discontinu ni dans le définitif, et désigne en même temps la continuité de l’œuvre de Nietzsche; en effet, d’un bout à l’autre de l’œuvre ce sont les mêmes idées essentielles qui sont travaillées : retours périodiques de thèmes appelés par les interprétations et réinterprétations successives opérées à chaque moment de l’enquête.

On peut certes en tirer une leçon sur la manière de penser de lire et d’écrire en philosophie.

Qu’en pensent nos chers amis du café philo?

 

Bien à vous Maxime

Vale

Françoise Prudham

Partager cet article

Repost0