« Le Beau est le symbole du Bien » Emmanuel Kant
Dès sa naissance en Grèce avec Socrate et Platon, la philosophie a proclamé la compatibilité entre le Beau et le Bien. Socrate qui voyait dans les beaux corps de ses jeunes émules la promesse de bonnes âmes vivait sa propre laideur physique sinon comme un sacrifice mais en tout cas comme une invitation à l’humilité. Platon à travers son célèbre agathos kalon esti est même allé jusqu’à identifier le Beau au Bien. C’est pourquoi, il a déclaré la guerre aux poètes et notamment à Homère, les accusant de séparer outrageusement le Beau du Bien en racontant des histoires de beautés funestes. La plus célèbres de ces histoires est bien sûr celle de la guerre de Troie avec la figure de la Belle Hélène. Certes, dans son récit Homère se garde bien de doter Hélène d’un caractère perverse, l’idée de la beauté du diable étant étrangère à l’esprit grec. Il n’empêche qu’à travers l’amour suscité chez Pâris, la beauté d’Hélène a été la cause efficiente du grand carnage de la guerre de Troie, ce qui est inadmissible pour Platon. De façon plus générale, Platon ne supportait pas l’idée de dieux méchants et frivoles et ce d’autant plus que ces dieux étaient représentés par les Grecs sous les traits de la plus grande beauté humaine…
Avec le christianisme, la compatibilité entre le Beau et le Bien est à la fois remise en question et paradoxalement maintenue à travers une tension dialectique assez pathétique. D’une part, à travers l’interprétation augustinienne de la Chute comme conséquence d’une séduction sexuelle, le christianisme invente l’idée si féconde de la « beauté du Diable ». Mais d’autre part, le m^me Augustin, toujours platonicien dans l’âme, reconnaît que toutes les belles femmes qu’il a aimé étaient comme des préfigurations de la Beauté divine rencontrée à travers sa conversion. Si le Beau peut nous perdre, il est aussi ce qui nous sauve ! Dans le cadre de la pensée chrétienne, c’est certainement Kierkegaard qui a le mieux questionné cette tension tragique entre le Beau et le Bien et cela peut-être précisément parce qu’il a été lui-même dans son vécu intime déchiré par une telle tension. En effet, devant l’épreuve amoureuse incarnée par la belle Régine Olsen, Kierkegaard s’est senti obligé de choisir entre le stade esthétique et le stade religieux de l’existence, convaincu que son amour humain était un obstacle à son amour humain. Mais en refusant le mariage, Kierkegaard refusait en même temps l’expérience du stade éthique dont l’union conjugale et l’engagement professionnel sont les deux piliers. Dans son remarquable essai sur l’équilibre entre l’éthique et l’esthétique, Kierkegaard montre l’incompatibilité entre la vie consacrée à la quête du Bien et celle vouée au culte du Beau. Le philosophe Danois évite subtilement la lourdeur du jugement moral qui consisterait à reléguer la vie de l’esthète ou du dandy qu’il a été du côté du mal. Il n’est pas dupe non plus quant à la valeur morale réelle d’une vie rangée dans le stade éthique. Pour lui, la différence essentielle entre l’éthique et l’esthétique se situe au niveau du choix. Dans le stade éthique, l’individu est amené à choisir entre le Bien et le Mal, tandis que dans le stade esthétique, à l’image d’un Don Juan, il est indifférent à toute valeur morale. Du coup, tout en rejetant l’identification platonicienne entre le Beau et le Bien, Kierkegaard évite également la thèse désastreuse de la beauté du diable…
Sur cette question du rapport entre le Beau et le Bien comme sur beaucoup d’autres, Kant est le philosophe de la synthèse. En tant que symbole du Bien, le Beau lui est compatible, mais Kant refuse l’identification platonicienne des deux principes. En définissant le Beau comme étant ce qui est l’objet d’une satisfaction désintéressée et le Bien comme l’acte motivé par le seul devoir moral, Kant est finalement assez proche de la position kierkegaardienne. Pour lui aussi c’est le choix moral qui fait la différence entre l’éthique et l’esthétique…
Dès sa naissance en Grèce avec Socrate et Platon, la philosophie a proclamé la compatibilité entre le Beau et le Bien. Socrate qui voyait dans les beaux corps de ses jeunes émules la promesse de bonnes âmes vivait sa propre laideur physique sinon comme un sacrifice mais en tout cas comme une invitation à l’humilité. Platon à travers son célèbre agathos kalon esti est même allé jusqu’à identifier le Beau au Bien. C’est pourquoi, il a déclaré la guerre aux poètes et notamment à Homère, les accusant de séparer outrageusement le Beau du Bien en racontant des histoires de beautés funestes. La plus célèbres de ces histoires est bien sûr celle de la guerre de Troie avec la figure de la Belle Hélène. Certes, dans son récit Homère se garde bien de doter Hélène d’un caractère perverse, l’idée de la beauté du diable étant étrangère à l’esprit grec. Il n’empêche qu’à travers l’amour suscité chez Pâris, la beauté d’Hélène a été la cause efficiente du grand carnage de la guerre de Troie, ce qui est inadmissible pour Platon. De façon plus générale, Platon ne supportait pas l’idée de dieux méchants et frivoles et ce d’autant plus que ces dieux étaient représentés par les Grecs sous les traits de la plus grande beauté humaine…
Avec le christianisme, la compatibilité entre le Beau et le Bien est à la fois remise en question et paradoxalement maintenue à travers une tension dialectique assez pathétique. D’une part, à travers l’interprétation augustinienne de la Chute comme conséquence d’une séduction sexuelle, le christianisme invente l’idée si féconde de la « beauté du Diable ». Mais d’autre part, le m^me Augustin, toujours platonicien dans l’âme, reconnaît que toutes les belles femmes qu’il a aimé étaient comme des préfigurations de la Beauté divine rencontrée à travers sa conversion. Si le Beau peut nous perdre, il est aussi ce qui nous sauve ! Dans le cadre de la pensée chrétienne, c’est certainement Kierkegaard qui a le mieux questionné cette tension tragique entre le Beau et le Bien et cela peut-être précisément parce qu’il a été lui-même dans son vécu intime déchiré par une telle tension. En effet, devant l’épreuve amoureuse incarnée par la belle Régine Olsen, Kierkegaard s’est senti obligé de choisir entre le stade esthétique et le stade religieux de l’existence, convaincu que son amour humain était un obstacle à son amour humain. Mais en refusant le mariage, Kierkegaard refusait en même temps l’expérience du stade éthique dont l’union conjugale et l’engagement professionnel sont les deux piliers. Dans son remarquable essai sur l’équilibre entre l’éthique et l’esthétique, Kierkegaard montre l’incompatibilité entre la vie consacrée à la quête du Bien et celle vouée au culte du Beau. Le philosophe Danois évite subtilement la lourdeur du jugement moral qui consisterait à reléguer la vie de l’esthète ou du dandy qu’il a été du côté du mal. Il n’est pas dupe non plus quant à la valeur morale réelle d’une vie rangée dans le stade éthique. Pour lui, la différence essentielle entre l’éthique et l’esthétique se situe au niveau du choix. Dans le stade éthique, l’individu est amené à choisir entre le Bien et le Mal, tandis que dans le stade esthétique, à l’image d’un Don Juan, il est indifférent à toute valeur morale. Du coup, tout en rejetant l’identification platonicienne entre le Beau et le Bien, Kierkegaard évite également la thèse désastreuse de la beauté du diable…
Sur cette question du rapport entre le Beau et le Bien comme sur beaucoup d’autres, Kant est le philosophe de la synthèse. En tant que symbole du Bien, le Beau lui est compatible, mais Kant refuse l’identification platonicienne des deux principes. En définissant le Beau comme étant ce qui est l’objet d’une satisfaction désintéressée et le Bien comme l’acte motivé par le seul devoir moral, Kant est finalement assez proche de la position kierkegaardienne. Pour lui aussi c’est le choix moral qui fait la différence entre l’éthique et l’esthétique…
café philo du 9 janvier 2008 au St René
Jean-Luc Berlet
Biblio : Platon, Le Phèdre – Kierkegaard, Ou bien…ou bien…
Jean-Luc Berlet