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Ladislas Kijno  "Icône pour une nuit solaire"

Ladislas Kijno "Icône pour une nuit solaire"

« Le grand péché du monde moderne, c’est le refus de l’invisible. »

Julien Green, Journal

 

Supposer que l’invisible soit dans le visible, mais au-delà du regard, c’est penser un paradoxe : il existerait du visible au-delà du regard. Mais sont-ce encore les yeux, organes de la vision, qui voient cet au-delà du regard ? On pense à l’œil de l’esprit, à la clairvoyance du visionnaire – poète, prophète, philosophe ou même scientifique. Ainsi les « aveugles » ne seraient pas ceux qu’on croit, ni les « voyants » ceux que l’on pense… Quelle est donc cette vision au-delà de la vision ? André Neher, dans L’Exil de la Parole, y fait directement allusion : « devant les deux statues du portail sud de la cathédrale de Strasbourg, écrit-il, plus d’un chrétien a été frappé par la beauté fascinante de la Synagoga, de cette femme si étonnamment jeune, que le bandeau sur ses yeux empêche de voir, et qui, à coup sûr, n’a rien entendu ni n’entend rien, poursuivant quelque rêve intérieur dont le silence savait plus que le regard éloquent et loquent de l’Ecclesia. » Le bandeau sur les yeux de la jeune femme nous avertit que sa vision est au-delà de la vision. Le poète Albrecht Goes, a cru sentir que la Synagoga n’est pas seulement plus « belle », mais plus « vraie ». C’est ce qui lui fit dire : « C’est elle qui voit ».

Les yeux bandés, n’est-ce pas aussi une métaphore de l’invisible, comme condition du visible qui s’en détache ? Pour analyser ce sujet, il faut commencer par reconnaître un fond invisible à partir duquel le visible apparaît, telle une révélation. Le rêve, par exemple nocturne, est parfois mémorisé par nous, à travers des images, des personnes, des animaux et des objets que nous n’avons pas à proprement parler « vus ». Pourtant, nous serions capables de les décrire, comme si nous les avions vus devant nous… Or nous ne saurions nier l’existence de cette réalité qui n’est pas palpable, tangible, invisible à l’œil, mais visible à l’esprit. Qu’est-ce que cette réalité invisible qui nous traverse spirituellement et corporellement, à travers nos actes manqués, lapsus, dont l’origine et le sens nous échappent parce qu’il n’est pas visible ? Qu’est-ce que quelque chose d’invisible qui a des effets visibles sur l’Homme ? Merleau-Ponty, dans Sens et Non-sens, clame qu’ « il nous faut retrouver un commerce avec le monde et une présence au monde plus vieux que l’intelligence ». Une présence antérieure à l’intelligence : serait-ce l’imagination créatrice, dont on nous dit qu’elle nous inspire un modèle ou une idée qu’on n’a jamais vus nulle part ni entendus où que ce soit ?

La philosophie rejoint ici le religieux : « C’est parce que vous dites je vois que vous êtes aveugles. Je suis venu pour que ceux qui ne voient pas voient…», déclare Jésus, dans L’Evangile selon st Jean (9, 39). L’imagination transcendantale, « sans patrie », pour reprendre la formule de Heidegger, serait cette mystérieuse capacité à voir, sans rien à toucher. Comme si une intuition, toute féminine, reconnaissait quelque chose qu’elle a connu, dans une autre dimension. Ici, ce qui est perçu est l’image elle-même, qui ne ressemble à rien de connu (mais inconsciemment, n’est-ce pas reconnaissable ?). Myriam de Magdala fut, amie très proche de Jésus et disciple éclairée, celle dont Simon Pierre et quelques autres contestaient les « visions » ; c’est-à-dire les enseignements invisibles de Jésus, visibles au-delà du regard pour Myriam de Magdala. Elle nous a peut-être enseigné, bien avant un Kant, un Merleau-Ponty ou un Heidegger, à nous tourner vers le Pneuma, qui voit et écoute les informations que le souffle de Dieu lui communique. Un esprit qui oriente et éclaire le psychisme. Qu’on refuse que Dieu soit la source de l’invisible visible au-delà du regard, ou qu’on l’accepte, ce sujet pose la question d’une révélation intérieure à l’Homme, qui opère en lui, sans lui, malgré lui… Un entre-deux mondes, un pied dans la temporalité, l’autre dans l’atemporalité, humain et divin à la fois. C’est sans doute cela, cette sur-vision, qui permet à l’Homme de s’élever à un niveau de conscience supérieur :

« Celui qui fait voir, c’est Dieu lui-même, Lumière qui éveille en nous la lumière », commente Jean-Yves Leloup, dans L’Evangile de Marie. C’est « l’œil du cœur », ou « l’oreille intérieure » qui nous font intuitionner ce que nous ne connaissons pas encore, mais savons déjà…

 

Sabine Le Blanc

Illustration "Icône pour une nuit solaire" Ladislas Kijno

 
 

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