Peut-on manquer de quelque chose qu’on ne connaît pas ?
(café-philo du 27 sept. 2006)
« Ce qu’on n’a pas, ce qu’on n’est pas, ce dont on manque, voilà les objets du désir et de l’amour. »
Platon, dans Le Banquet, nous propose un mythe fécond à cet égard : comment peut-on ressentir ce manque de ce qu’on ne connaît pas ? Un exemple de ce manque est analysé sous la forme du mythe de l’androgyne. Autrefois un, les humains étaient homme et femme à la fois, dotés de 4 bras et 4 jambes. Mais à la suite de leur désobéissance envers les dieux qu’ils ont cherché à défier, Zeus les frappa de sa foudre afin de les couper en deux, séparant désormais les femmes des hommes, moitié d’eux-mêmes en perpétuelle quête de leur autre moitié. Ainsi naquit le désir sexuel, manque d’être, avant même d’être tombés amoureux. Platon recourt ici, dira-t-on, à un mythe quelque peu puéril, peu crédible, sans valeur démonstrative. Et pourtant, ce mythe porte sur l’origine du désir, au-delà de tout réductionnisme biologique. Il a le mérite, efficace, de soupçonner une origine spirituelle du manque de ce qu’on ne connaît pas encore…
Comment une telle prescience est-elle possible ? La théorie platonicienne de la connaissance peut sans doute nous éclairer ici. Il s’agit de ce que l’histoire des idées a malencontreusement appelé « la théorie de la réminiscence ». Car s’agit-il d’une théorie ? Ce qui nous permet de connaître quelque chose, explique Platon, c’est un acte de reconnaissance qui s’opère en nous, malgré nous. Et ceci n’est compréhensible que parce que l’Homme, selon Platon, a une origine divine. Avant de revêtir un corps physique mortel, nous étions des êtres immatériels, en harmonie avec les dieux, et connaissant toute chose. Lorsque l’âme déchue est tombée sur terre pour former un seul tout (corps et âme entremêlés), nous avons perdu notre omniscience et n’avons conservé que quelques bribes de souvenirs. D’où la sensation de manque de ce que nous ignorons à présent, et que nous connaissions, dont nous jouissions, jadis, dans le monde des Idées, monde immuable antérieur à la pâle copie que représente le monde physique. Nous avons un vide à combler, nous le savons confusément, mais sans parvenir d’emblée à identifier de quoi il s’agit.
Mais quelle peut être l’actualité, plus sérieuse, d’une telle utopie dira-t-on ? La profondeur d’un tel propos : imagé, certes, ce mythe du char ailé (de la chute de l’âme dans un corps), pourrait bien comporter une vérité symbolique, psychique. Serait-ce l’expression de l’ancêtre de l’Inconscient que préfigurait Platon sans le savoir ? Ce quelque chose qui sait en nous, et dont nous ignorons l’existence, qui faisait dire à Socrate que tout ce qu’il sait, c’est qu’il ne sait pas ? L’Inconscient sait ce qu’il nous faut, ce que nous voulons réellement ; la conscience n’en capte que la sensation d’appétit, de manque à combler. Ce qui nous fait défaut ici, ce qui nous manque, ne serait-ce donc pas la connaissance de nous-même ? Socrate, porte-parole de Platon, pourrait bien être cet initiateur qui exhorte l’individu à plonger en lui-même, à affronter ses propres contradictions, bien avant Freud… Ce qui nous manque, en résumé, ne serait-ce pas l’unité, le retour à notre véritable patrie dont nous sommes ici exilés, un au-delà ?
« Ce qu’on n’a pas, ce qu’on n’est pas, ce dont on manque, voilà les objets du désir et de l’amour. »
Platon
S’il semble curieux que l’on puisse manquer de quelque chose qu’on ne connaît pas, c’est peut-être parce
que bien souvent, on est incapable de définir, de nommer ce manque, et plus encore sa cause. La question posée souffre donc d’une absence cruelle de diagnostic d’un tel mal-être : « j’ai soif
d’autre chose », mais de quoi ? C’est de ne pas arriver à préciser ni à analyser ce manque dont nous pourrions souffrir…Platon, dans Le Banquet, nous propose un mythe fécond à cet égard : comment peut-on ressentir ce manque de ce qu’on ne connaît pas ? Un exemple de ce manque est analysé sous la forme du mythe de l’androgyne. Autrefois un, les humains étaient homme et femme à la fois, dotés de 4 bras et 4 jambes. Mais à la suite de leur désobéissance envers les dieux qu’ils ont cherché à défier, Zeus les frappa de sa foudre afin de les couper en deux, séparant désormais les femmes des hommes, moitié d’eux-mêmes en perpétuelle quête de leur autre moitié. Ainsi naquit le désir sexuel, manque d’être, avant même d’être tombés amoureux. Platon recourt ici, dira-t-on, à un mythe quelque peu puéril, peu crédible, sans valeur démonstrative. Et pourtant, ce mythe porte sur l’origine du désir, au-delà de tout réductionnisme biologique. Il a le mérite, efficace, de soupçonner une origine spirituelle du manque de ce qu’on ne connaît pas encore…
Comment une telle prescience est-elle possible ? La théorie platonicienne de la connaissance peut sans doute nous éclairer ici. Il s’agit de ce que l’histoire des idées a malencontreusement appelé « la théorie de la réminiscence ». Car s’agit-il d’une théorie ? Ce qui nous permet de connaître quelque chose, explique Platon, c’est un acte de reconnaissance qui s’opère en nous, malgré nous. Et ceci n’est compréhensible que parce que l’Homme, selon Platon, a une origine divine. Avant de revêtir un corps physique mortel, nous étions des êtres immatériels, en harmonie avec les dieux, et connaissant toute chose. Lorsque l’âme déchue est tombée sur terre pour former un seul tout (corps et âme entremêlés), nous avons perdu notre omniscience et n’avons conservé que quelques bribes de souvenirs. D’où la sensation de manque de ce que nous ignorons à présent, et que nous connaissions, dont nous jouissions, jadis, dans le monde des Idées, monde immuable antérieur à la pâle copie que représente le monde physique. Nous avons un vide à combler, nous le savons confusément, mais sans parvenir d’emblée à identifier de quoi il s’agit.
Mais quelle peut être l’actualité, plus sérieuse, d’une telle utopie dira-t-on ? La profondeur d’un tel propos : imagé, certes, ce mythe du char ailé (de la chute de l’âme dans un corps), pourrait bien comporter une vérité symbolique, psychique. Serait-ce l’expression de l’ancêtre de l’Inconscient que préfigurait Platon sans le savoir ? Ce quelque chose qui sait en nous, et dont nous ignorons l’existence, qui faisait dire à Socrate que tout ce qu’il sait, c’est qu’il ne sait pas ? L’Inconscient sait ce qu’il nous faut, ce que nous voulons réellement ; la conscience n’en capte que la sensation d’appétit, de manque à combler. Ce qui nous fait défaut ici, ce qui nous manque, ne serait-ce donc pas la connaissance de nous-même ? Socrate, porte-parole de Platon, pourrait bien être cet initiateur qui exhorte l’individu à plonger en lui-même, à affronter ses propres contradictions, bien avant Freud… Ce qui nous manque, en résumé, ne serait-ce pas l’unité, le retour à notre véritable patrie dont nous sommes ici exilés, un au-delà ?
Sabine Le Blanc
« On ne peut désirer ce qu'on ne connaît pas»
Voltaire
L'affirmation de Voltaire selon laquelle nous ne pourrions pas désirer ce que nous ne connaissons pas a pour elle les apparences du bon sens. Mais comme il est de la vocation de la philosophie de remettre en question I'évidence du bon sens et qu' en plus Voltaire est a mon sens meilleur écrivain que philosophe, il y a tout lieu de remettre en cause Ie bien fonde d'une telle déclaration. II est clair que Voltaire a lance cette petite phrase dans un esprit polémique contre la religion. Car, avoir la foi en un Dieu, c' est précisément désirer quelque chose que l'on ne connaît pas. Ce ne sont que les mauvais théologiens qui prétendent limiter Ie Divin un discours humain, car il est évident que si Divin il y a, ce dernier ne peut qu' être au-delà ( l'entendement humain comme l'a bien montre Kant, un vrai philosophe !
Nier une telle possibilité de désirer l'inconnaissable, c'est montrer qu'on n'a rien compris l'essence même du désir. De par sa nature même, Ie désir est infini et par conséquent l'inconnaissable est son domaine de prédilection. Des lors qu'un désir se porte sur un objet connu, il commence déjà a mourir pour se transformer en volonté, car Ie désir fondamentalement besoin du mystère pour vivre! Le désir amoureux nous fournit d'ailleurs la preuve éclatante de la compatibilite entre Ie désir et l'inconnu. Le mythe romantique tout entier repose sur cette idée que Ie désir amoureux a besoin de l'inconnu pour être entretenu Le héros romantique tombe précisément amoureux de la femme voilée de mystère, celle qui le fait Ie plus rêver. Et bien souvent l'amour meurt au moment ou Ie mystère est dévoilée, c'est à-dire au moment ou être aime rejoint a nouveau Ie commun des mortels. Le héros d'Oscar, Wilde, Dorian Gray, tombe amoureux d'une actrice de théâtre parce que cette dernière incarne Ie mystère de l'éternel féminin en prenant chaque fois un autre visage. Mais des que Doria est confronte à la « banalité» d'une jeune femme comme les autres dans la vie quotidienne son désir est tué et la fille se tue de désespoir..
Ainsi, non seulement on peut désirer quelque chose que l'on ne connaît pas, mais on a même tout intérêt a faire en sorte que l'on ne puisse jamais tout a fait connaître ce que l'e désire. La part d'inconnu est justement ce qui fait vivre Ie désir et qu'il faut donc savoir entretenir pour ne pas voir s'éteindre la belle flamme du désir. Le savoir est en fait l' ennemi Ie plus redoutable du désir. Et aujourd'hui, notre société saturée de scientisme est en train d'assassiner Ie désir. Le gynécologue ne désire pas la femme qu'il ausculte, sinon il n'e plus un gynécologue. Mais rien ne l'empêche de redevenir homme après son travail!
Voltaire
L'affirmation de Voltaire selon laquelle nous ne pourrions pas désirer ce que nous ne connaissons pas a pour elle les apparences du bon sens. Mais comme il est de la vocation de la philosophie de remettre en question I'évidence du bon sens et qu' en plus Voltaire est a mon sens meilleur écrivain que philosophe, il y a tout lieu de remettre en cause Ie bien fonde d'une telle déclaration. II est clair que Voltaire a lance cette petite phrase dans un esprit polémique contre la religion. Car, avoir la foi en un Dieu, c' est précisément désirer quelque chose que l'on ne connaît pas. Ce ne sont que les mauvais théologiens qui prétendent limiter Ie Divin un discours humain, car il est évident que si Divin il y a, ce dernier ne peut qu' être au-delà ( l'entendement humain comme l'a bien montre Kant, un vrai philosophe !
Nier une telle possibilité de désirer l'inconnaissable, c'est montrer qu'on n'a rien compris l'essence même du désir. De par sa nature même, Ie désir est infini et par conséquent l'inconnaissable est son domaine de prédilection. Des lors qu'un désir se porte sur un objet connu, il commence déjà a mourir pour se transformer en volonté, car Ie désir fondamentalement besoin du mystère pour vivre! Le désir amoureux nous fournit d'ailleurs la preuve éclatante de la compatibilite entre Ie désir et l'inconnu. Le mythe romantique tout entier repose sur cette idée que Ie désir amoureux a besoin de l'inconnu pour être entretenu Le héros romantique tombe précisément amoureux de la femme voilée de mystère, celle qui le fait Ie plus rêver. Et bien souvent l'amour meurt au moment ou Ie mystère est dévoilée, c'est à-dire au moment ou être aime rejoint a nouveau Ie commun des mortels. Le héros d'Oscar, Wilde, Dorian Gray, tombe amoureux d'une actrice de théâtre parce que cette dernière incarne Ie mystère de l'éternel féminin en prenant chaque fois un autre visage. Mais des que Doria est confronte à la « banalité» d'une jeune femme comme les autres dans la vie quotidienne son désir est tué et la fille se tue de désespoir..
Ainsi, non seulement on peut désirer quelque chose que l'on ne connaît pas, mais on a même tout intérêt a faire en sorte que l'on ne puisse jamais tout a fait connaître ce que l'e désire. La part d'inconnu est justement ce qui fait vivre Ie désir et qu'il faut donc savoir entretenir pour ne pas voir s'éteindre la belle flamme du désir. Le savoir est en fait l' ennemi Ie plus redoutable du désir. Et aujourd'hui, notre société saturée de scientisme est en train d'assassiner Ie désir. Le gynécologue ne désire pas la femme qu'il ausculte, sinon il n'e plus un gynécologue. Mais rien ne l'empêche de redevenir homme après son travail!
Jean-Luc Berlet