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LA REVOLUTION JUSQU'A L’UNIVERSELLE RESURRECTION

Vendredi 3 avril 1968

« Les chefs d’Etat, des nations, oppriment leurs peuples ».
Je ne connais pas une seule parole qui conteste le pouvoir aussi radicalement que celle-là. Il en va de ce simple mot comme de tout ce qui a trait à l’argent. Nous n’y découvrons pas le moindre jugement de valeur. C’est un fait, c’est une réalité que peut discerner l’œil le moins exercé. Le pouvoir corrompt celui qui le détient parce que la puissance aveugle : « Ceux qui président aux destinées des nations écrasent les hommes, les humains, les tiennent sous leurs pieds, en font leurs sujets ; « la Parole que je viens d’articuler, à laquelle je me réfère, est du Verbe, elle ne peut être que de lui. Il ne m’apporte rien qui me serait extérieur. Il me révèle à moi, homme, femme , humain l’ampleur, l’envergure insoupçonnée, insoupçonnable de ce que je suis. Voilà pourquoi je considère comme le fondement omis par tous les systèmes, de l’éducation vraie : le fait d’apprendre à parler avec rigueur. J’ai à faire de ma vie l’apprentissage du grand acte d’allègrement, passionnément, librement prendre la parole de toute mon âme, de toute mon intelligence, de tout mon cœur, de toutes mes forces, de toute ma verve déchaînée, pour qu’elle soit prise ainsi et avec davantage encore de puissance d’indignation contre l’injustice, le mensonge, par tout le monde. Si je prends tous les mots au sérieux…mais voyons que suis-je en train de dire là ? Il ne faut rien prendre au sérieux, encore moins au tragique – rien, surtout pas moi- mais c’est pour tout prendre à cœur, d’abord la singularité infinie des autres, de tous les autres et après enfin, moi ou plutôt je dans ce qu’il a d’infiniment, d’universellement singulier libéré du poids écrasant de moi, rien que moi. Si donc si je prends tous les mots non pas au sérieux mais à cœur et à cœur pensant d’imagination créatrice cordiale sans frontières ni d’espace ni de temps et accompagné d’un travail de mémoire ininterrompu, si je ne parle pas à le légère pas plus qu’à la gravité frivole de toute la pesanteur académique cosmique d’ennui officiel, mortel, c’est parce que je crois, parce que j’adhère au Verbe, parce que j’ai Foi dans le Verbe dont un jeune ami m’a dit qu’il est la Parole chargée de sens. Je n’ai plus qu’à préciser, expliciter,
Actualiser : la Parole chargée du Sens de tout.
Si je prends tous les mots à leur juste poids de pensée universellement aimante, liante, c’est parce que j’ai le Verbe, la passion du Verbe chevillée au corps. Si je donne toute ma vie à la Parole, c’est parce que je suis croyant du Verbe, adhérent au Verbe. C’est parce que je suis croyant, pratiquant, partisan, militant du Verbe. C’est parce que le Verbe a tant de force, de vitalité, d’enthousiasme fou créateur libérateur qu’il lui est intolérable d’être pris pour un mot en l’air, qu’il s’incarne, qu’il se fait chair, matière même qu’il prend corps dans l’histoire d’aujourd’hui jusqu’à ce qu’elle devienne l’Evènement de toujours, puisqu’à l’évidence non pas crevant mais ouvrant les yeux de tous, il n’y a qu’un événement, l’événement unique n’ayant rien de religieux au sens d’objet de foi réservé à la catégorie des croyants qui ont le foi en chasse gardée, en propriété privée. Et cet Evénement discernable au fait qu’il opère la rupture avec le chaos pré-historique du mélange moderne de caserne et de jungle pour l’entrée dans l’histoire consciente, c’est la Pâque. Le passage à la fois de la servitude à la libération et de la mort à la vie. Le Verbe incarné, Jésus Christ, le Fils de l’Homme né de la femme fait remarquer constamment et ceci jusqu’à la veille de sa mort sur la croix comme esclave révolté, que le pouvoir est un phénomène d’oppression. Ecoutons-le dans l’évangile de Mathieu Jésus le tribun, le subversif radical : « Vous le savez, les chefs des nations tiennent les peuples sous leur pouvoir et les grands sous leur domination » (Mathieu XX v.25)
Je pourrais évoquer ici Luc et jean. Mais une seule prédication même avec trois conférences de Carême ne peut tout dire de l’inépuisable Pâque. D’autant plus que les Evangiles écrits sont loin de raconter la totalité des paroles et des actes de Jésus. Je m’en tiendrai d’abord à Marc. Celui-ci ne mentionne pas seulement les titulaires du pouvoir, les hommes qui, de fait, ont le pouvoir . « Vous le savez, ceux qu’on regarde comme les chefs des nations ». Ils ne sont pas en réalité les chefs, les rois, les dirigeants. On les regarde comme tels. On a pris l’habitude séculaire de les regarder comme des souverains , comme disposant du droit de commander, dominer les autres, leurs semblables, leurs égaux faits ainsi leurs sujets, leurs subordonnés. La pouvoir par conséquent est un phénomène de crédulité. Le pouvoir n’existe que dans la mesure où un nombre suffisamment important d’hommes, de femmes se montrent crédules, ont pris le pli, le réflexe, l’habitude collective de la crédulité à son égard. Et la crédulité, ce n’est pas du tout la foi. Les crédules du pouvoir ne peuvent pas être les croyants du Verbe. Les croyants, les partisans pratiquants du Verbe sont obligatoirement les incrédules, les agnostiques, les athées du pouvoir. Ceux donc que l’on regarde comme les chefs des nations les tiennent les nations avec leurs peuples par là domestiqués, sous leur pouvoir et les grands sous leur domination. Eh bien ! il n’en est pas ainsi parmi vous. (Marc X 42)
Pour le coup, Jésus le Fils de L’homme né de la femme, ne mâche pas ses mots. Il n’arrondit pas les angles, non, il les rend aigus. Il choisit l’angle le plus aigu. Jésus ne dit pas : il ne doit pas en être ainsi parmi vous selon les pratiques de supériorat et d’obéissance, les habitudes disciplinaires propres à toute société humaine qui se respecte et veut durer. Non, c’est beaucoup plus âpre, direct. Voyez, constatez. Où que vous portiez votre regard, les uns commandent et les autres exécutent. Pas de çà chez vous. « Au contraire, si quelqu’un veut être grand parmi vous, qu’il soit votre serviteur. Et si quelqu’un veut être le premier parmi vous, qu’il soit l’esclave de tous ». (Marc X 43-44). On ne peut plus clair ! Impossible de tirer d’une telle parole la nécessité, l’utilité d’une cour, d’un roi, d’un gouverneur, d’un président directeur général, d’un empereur ou même d’un souverain fut-il pontife. Au regard du Verbe, aucun pouvoir n’a le droit d’exister. Il suffit d’observer autour de nous, en nous, la force d’une pente à la puissance pour voir que tout est loin d’être réglé dans les sociétés où l’on passe de l’appropriation privée à l’appropriation collective des biens de production. Le passage dont je parle représente peut-être une condition nécessaire mais non suffisante, de l’affranchissement des hommes et des femmes. Il n’entre absolument pas dans mon propos de prendre appui sur les failles, les limites, voire les échecs d’un système révolutionnaire, pour placer le motif irremplaçable de ma foi. Les hommes d’Eglise, au cours des âges, ont par trop mondanisé, monarchisé, dynastisé, impérialisé, absolutisé l’autorité pour qu’ils soient en droit de faire grief aux autres du caractère oppressif de leur pouvoir.
Il n’empêche que les premiers révolutionnaires socialistes ont trop cru qu’il suffisait d’un changement de conditions économiques, même avec action sur les phénomènes idéologiques et religieux, pour faire surgir un type d’homme nouveau. Du même coup, ils ont dogmatisé, ils ne sont pas allés jusqu’au bout du socialisme et de la révolution. Si je me laisse aller à moi-même, moi, homme, je suis, je reste un animal hiérarchique, un instinctif de la sélection, de la compétition, de la séduction qui est capable pour peu que les circonstances le favorisent, de se muer en machine, en bête à pouvoir. Livrés à nous-mêmes, nous ne concevons pas nos rapports autrement qu’en termes de domination et de sujétion. Dès là que deux êtres, deux vivants se trouvent en présence, aux prises, il s’agirait de savoir quel est celui qui commande et quel est celui qui se soumet, qui exécute. Combien de fois des ménages, des couples m’ont-ils dit qu’en cas de divergence, il fallait bien que l’un des deux prenne la décision, l’autre n’ayant qu’à s’incliner. Nous n’admettons de fait que des rapports de force même camouflés en influence, désir, volonté de bien, religion et morale, voire d’utilité, d’efficacité d’action révolutionnaire. A l’instant où Jésus-Christ observe, constate le caractère d’oppression de tout pouvoir, il casse, du moins dans son principe, pas encore dans son déroulement, dans son processus, l’instinct hiérarchique, l’instinct de conservation, l’instinct de mort. Tous ceux qui détiennent une parcelle d’autorité ne s’imaginant pas autrement qu’en style de puissance. Camus a écrit profondément dans « La chute » que « Dominer c’est respirer ».
Dans ce sens, le vocable de « hiérarchie » appliqué aux évêques m’apparaît païen et, du pire des paganismes, romain pagano-chrétien. C’est mon respect évangélique de l’épiscopat qui me pousse à ne pas lui faire l’injure de le traiter de hiérarchie. La seule parole qui corresponde à la vérité ne peut être que celle de succession apostolique…Et encore ! parce qu’il y a toujours, alors que le ciel et la terre passeront et, à plus forte raison, les institutions civiles comme cléricales, la Parole qui ne passera pas, qui donnera sans fin sa forme expressive de radicalité à l’exigence du service gratuit infini : « Ceux qu’on regarde comme les chefs des nations dominent leurs peuples. Pour vous pas question mais le contraire absolu : celui qui veut être le plus grand parmi vous qu’il soit le serviteur des autres. Et le désireux du premier rang qu’il devienne l’esclave de tous ». Donc, à aucun prix une succession de pouvoir mais l’héritage d’une condition d’esclave volontaire. La Parole reste en travers de la gorge des prélats du Primat de tous les supériorats.
L’honneur des évêques de l’Eglise Catholique, de son vrai nom l’Assemblée Universelle, vient de ce qu’ils sont consacrés, mieux, reçoivent l’onction d’indomptable prophète pour succéder collégialement aux apôtres dont le « primus inter pares », le premier parmi ses pairs, c’est à dire d’après l’Evangile, l’heureuse nouvelle, est le dernier de tous, le serviteur de tous, le serviteur des serviteurs de Dieu, lui-même donné à la création en service volontaire de tous. La tâche fondamentale des évêques réside dans l’éveil au rejet de la conception mondaine, courante, habituelle du pouvoir pour l’apprentissage par tous les hommes, toutes les femmes, de l’art humano-divin du service. Et du service gratuit. De celui qui, contrairement au tout marché moderne ultra libéral de façon chaque fois plus grossière déguisé en société, ne se fait jamais payer pas plus qu’il ne vend et n’achète puisque, ma Parole, dit l’infini Dieu, « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement ». Mais si tous ces titres de serviteurs devaient rester des mots en l’air de pure théorie contredits par une pratique du pouvoir et du pire des pouvoirs,le pouvoir sacré, alors qu’ils retournent au livre de comptes du prince de ce monde, qu’ils aillent au diable !
Face aux multiples dérives notionnelles ou pragmatiques, je crois le Verbe fait chair Jésus-Christ parce que personne même pas son Eglise par qui néanmoins je l’ai connu , n’a pu me l’apprendre, parce que l’idée ne m’en était pas venue, parce qu’elle n’est pas montée au cœur de l’homme, parce qu’il modifie à la racine la nature même du pouvoir.


Il n’est pas suffisant pour modifier l’exercice de l’autorité d’en changer les titulaires ; sinon, les opprimés d’hier se muent en oppresseurs d’aujourd’hui et de demain. Je suis impressionné par la rapidité avec laquelle les persécutés deviennent persécuteurs. L’Eglise des premiers siècles en est d’un exemple saisissant. Mais quand il s’agit d’un pouvoir révolutionnaire, la masse des petits, des pauvres, est souvent trahie par ceux qui la re-présentent au pouvoir foncièrement inchangé. La revanche est naturelle et terriblement instructive. Si la problème du pouvoir se concentrait tout entier dans celui qui l’exerce, dans le chef, la tâche serait très facile. Tout se limiterait à l’art de détrôner le chef. Mais en même temps que le pouvoir et l’autorité résident dans ceux qui les détiennent, ils existent dans la foule de ceux qui subissent, entendent continuer à les subir et même à les manier tels quels quand viendra leur tour de les prendre. Tant l’acte de gouverner demeure dans son essence le fait du prince. En vérité nous manquons majoritairement d’imagination. Nous sommes incapables de nous représenter, de rêver-penser, de penser rêver réaliser une autre forme d’existence que celle qui est multiséculairement pratiquée. Nous n’imaginons pas d’autres styles de liens, d’autres rapports que le rapport hiérarchique. L’instinct de puissance du chef se légitime par la paresse des sujets ; car il est infiniment plus facile d’être sujets que citoyens, il faut beaucoup moins d’effort pour se soumettre que pour participer. Jésus Christ nous fait peur parce qu’il va jusqu’à la racine des exigences non soupçonnées, non soupçonnables de l’Impossible fait homme, fait humain . Mais c’est justement çà, c’est très exactement çà le Verbe Dieu, Dieu le Verbe, la force créatrice de libération, le Créateur qui se fait homme, humain pour que tout l’homme, tout l’humain devienne créateur. Elle se situe précisément ici notre peur face à Jésus-Christ. Elle vient de l’invitation au changement sans limite, sans borne et qui ne laisse rien à l’état inchangé. La révolution permanente.
Il ne faut pas plus d’une réflexion de dix minutes pour le saisir : une révolution qui n’est pas permanente finira toujours par devenir conservatrice. Et d’une conservation plus féroce dans son changement révolutionnaire saisonnier que si elle était restée conservatrice à l’état pur. C’est le Verbe, la Parole incarnée qui nous donne à comprendre, réaliser le mot prodigieux du philosophe pré-socratique Héraclite : il n’y a de permanent que le changement. J’ai cru longtemps que notre principal obstacle était la paresse. Non, c’est la peur, la peur fille-mère de la paresse, du confort de l’inertie, du fixisme fondamental. Mais pourquoi donc avons-nous peur à ce point de changer alors que la Foi, l’adhésion de Foi-confiance en Jésus-Christ est invitation au changement jugé excessif par les clans de la modération et les clercs du raisonnable ? Ivan Illich a pu définir la liturgie et au cœur de celle-ci, les premiers pas d’une fraternité cordiale nouée dans le Corps et le Sang signes sensibles efficaces de la Parole donnée à tous, comme l’enthousiaste célébration du changement.
C’est maintenant à partir de la célébration du changement de la Pâque représentée par le don Total du verbe incarné Jésus que retentit la question des questions : pourquoi tenons-nous au maintien, à la conservation de l’ordre ancien, du vieux ? C’est l’opposé, le contraire de la Foi en Jésus Christ . Un chrétien conservateur, c’et un monstre et un monstre ordinaire, courant, une caricature, un blasphème monté sur pattes.
A la vérité, sans la moindre contestation du moule héréditaire même chrétien dans lequel on nous a fabriqués malgré quelques différences de surface, nous sommes, nous restons tous les mêmes : nous voulons bien – mais c’est une velléité, un pieux désir, un vœu pieux- naître à une vie nouvelle,, mais sans faire les frais de la mort à la vie ancienne, au vieil homme, à la vieille femme, au vieil humain, à la vie qui fait semblant d’être la vie alors qu’elle est seulement la vie mortelle…d’ennui mortel. Je ne résiste pas au plaisir d’ajouter maintenant le mot que j’ignorais en mars et Mai 68. Il est de Martin Luther : « Bien sûr, le vieil homme est noyé dans les eaux du baptême, mais il nage rudement bien, le bougre ! » Je vais donc proclamer une vérité enfantine, la simplicité absolue : pour naître à la vie toute neuve, renouvelée, il est indispensable de mourir à la vie ancienne, à la vie sénile, à la vie déjà morte. Comme pour le sens révolutionnaire du Carême, je pèse bien mes termes, tous mes mots parce que je crois au Verbe, j’adhère à la Parole incarnée : la condition d’une révolution qui ne tourne pas court, qui ne perde pas son souffle, son élan, qui soit permanente, totalisante, je dirai plutôt aujourd’hui radicalisante, allant jusqu’à la racine, c’est la Foi, non pas la foi religieuse, déiste en un être suprême, un potentat, mais la foi en la transformation de l’homme, de la femme, de tout humain en la globalité, la radicalité de lui-même, c’est-à-dire sa manifestation, sa révélation en son principe d’humanité, sa réalisation fraternelle, Jésus Christ, la Verbe fait chair. « Celui qui ne croit pas en l’homme, tout homme capable d’une forme supérieure de vie et de comportement n’est pas un révolutionnaire ». La phrase que je viens de citer a pour auteur Fidel Castro. J’ai conscience d’affirmer la même vérité mais en la portant au paroxysme de son existence : « Celui qui ne croit pas l’homme, tout homme, toute femme , tout humain, tout vivant et même tout mort capable d’ampleur universelle et singulière de la vie sans limite, du comportement d’amitié neuve, créatrice, n’est pas un croyant du Verbe Orateur à plein temps exécuté, crucifié par les corps constitués suscitant res-suscité ».
« Les rois des nations agissent avec elles en seigneurs, et ceux qui dominent sur elles se font appeler Bienfaiteurs. Pour vous, rien de tel. Mais que le plus grand parmi vous, le Maître qui enseigne, de l’autorité du magistère, se fasse le disciple, le plus jeune et que celui qui commande devienne celui qui sert, le serviteur ». Jusqu’ici sur le problème du pouvoir, je vous avais cité Mathieu et Marc. Aujourd’hui, je proclame la version de Luc (ch XXII 25-26). Quelque soit sa formulation parvenue jusqu’à nous, je crois Jésus Christ parce qu’il pose l’exigence à l’œuvre dans l’histoire d’une refonte radicale des deux forces d’oppression : l’enseignement et le pouvoir. Le pouvoir sous toutes ses formes, politique, religieux, spirituel.
Je signale l’erreur qui consiste à profondément affadir l’Evangile , la Bonne Nouvelle jusqu’à la dégrader en enseignement religieux. Les universitaires même catholiques osent à peine parler d’une réforme de l’enseignement dans le sens des possibilités d’accès du paysan, du cultivateur, de la classe ouvrière, du prolétariat à l’université maintenu telle qu’elle est. Disons le avec force : c’est insuffisant, encore que ce ne soit même pas réalisé. Les mouvements d’étudiants, de jeunes en Espagne, en Italie, par l’organisation de contre-cours, en France, témoignent d’une admirable force de contestation. Rappelons à ce sujet ou proclamons pour la première fois que contester au sens primordial, étymologique, veut dire, signifie être témoins ensemble de l’événement. De fait, en réalité l’enseignement et le pouvoir aveuglent. Chefs et pédagogues, professeurs ne voient les enfants, les jeunes gens, les jeunes filles, les hommes, les femmes qu’en forme de sujets et d’enseignés, d’élèves que l’on ne regarde même pas dans la vérité du mot : des vivants candidats multiples au foisonnement de la vie que l’on aide à s’élever au dessus de tous les miasmes écœurants du pouvoir et du Tout Marché. Quel programme, quelle charte qu’il suffit d’énoncer pour voir qu’en est appliqué rigoureusement le contraire ! L’abbé Pierre avait raison de s’écrier que la puissance aveugle et que l’extrême misère rend muet.
Nous n’avons pas encore digéré la révolution de 1789, la révolution d’octobre 1917 nous fait toujours trembler alors que Jésus christ, le Fils de l’’Homme que l’on essaie en vain d’édulcorer, d’atténuer, nous révèle l’urgence d’une révolution culturelle. Pour éviter le risque de confusion avec le phénomène chinois des années maoïstes je dis aujourd’hui : la nécessité d’incarner le Verbe, de faire prendre corps à la Parole universellement créatrice, libératrice, implique l’acte de réaliser en histoire, aventure d’humanité, une révolution de la culture, des rapports humains, des structures mentales et sociales passant du pouvoir, du profit à l’amour mutuel fraternel.
Car Jésus christ change la nature même du pouvoir. La monstruosité du pouvoir tel qu’il s’exerce jusque dans l’Eglise en tant que société tient au fait qu’il ne conduit qu’à lui-même. On commande pour commander. Nous disons volontiers : le pouvoir, le métier politique, c’est l’art de mener les hommes. Je dis ingénûment : les mener…où ? Mener pour mener, c’est contre nature. Dire le mot pouvoir signifie appeler un complément . Pouvoir quoi ? Faire autre chose que le pouvoir. Je crois Jésus Christ parce qu’il donne à Pouvoir tout son sens de Verbe qui n’a pas fini d’affoler, de coaliser contre lui tous les pouvoirs. IL innove une seigneurie universelle donc de tous, sans précédent.
« A votre avis, quel est le plus important, celui qui est assis à table et qui se fait servir ou le domestique qui sert ? » Bien sûr, c’est le bon sens : »Le plus important c’est celui qui se fait servir ». Mais alors comment expliquez-vous ceci ? « Moi, vous m’appelez Maître, Seigneur . Vous avez raison parce que je le suis, pourtant je ne suis pas celui que l’on sert. Je suis votre domestique, celui qui vous sert ». C’est à n’y rien comprendre. J’y laisse toutes mes idées qui n’étaient que des préjugés. Je ne sais quel est le plaisantin qui a dit qu’il était très dangereux d’arracher leurs préjugés à ceux qui n’ont pas d’idées. Jésus Christ change la nature du pouvoir. Le Pape Paul VI actualisait l’exigence radicale du Christ Jésus en proclamant à l’assemblée des Nations Unies les conditions élémentaires de la paix : « Jamais plus la guerre ! Que jamais personne ne soit supérieur à un autre ! Jamais l’un au dessus de l’autre ! » Jésus Christ fait basculer le pouvoir, Jésus Christ est l’auteur d’un renversement total du pouvoir qui passe, d’infini de la Pâque, de la domination à la cordialisation, à la fraternisation. Jésus Christ proclame que tous les hommes, toutes les femmes, tous les humains sont capables de tout pouvoir, c’est à dire qu’ils peuvent et doivent aller jusqu’au bout, jusqu’à l’extrême de leurs possibilités, jusqu’à l’humanité.
Les révolutions historiques déséspèrement sectorielles, partielles et donc très vite récupérées par l’optique conservatrice du pouvoir, n’en finiront pas de traduire dans la suite des temps une exigence radicale. Du même coup, le Verbe, la Parole faite chair Jésus Christ, c’est le changement absolu, la conversion de tous les rapports humains depuis le lien de l’homme et de la femme jusqu’à l’avènement de la communauté plus qu’internationale, universelle.
Depuis très longtemps, régnait une ségrégation entre garçons et filles. Les éducations cloisonnées sécrétaient, sécrétent encore obsessions et névroses. Or il est urgent d’aboutir à une santé des rapports hommes-femmes que nous devons libérer de l’érotisme sur lequel spécule la civilisation de l’argent.
Avez-vous remarqué combien le langage de l’amour est marqué par le vocabulaire de l’armée, du guerrier, de la conquête ? Il s’agit toujours de conquérir un cœur, de faire une ou des conquêtes : l’homme prendrait, la femme cèderait pour peut-être ensuite obtenir sa revanche. Là aussi, nous ne sortons pas du rapport de forces.
Jésus Christ révèle le don mutuel à substituer au couple maître-maîtresse servante, mais le lien de l’homme et de la femme dépasse celui du couple. Il est essentiel à l’homme et à la femme de faire dès l’enfance l’apprentissage d’une vie commune pour ensemble former l’humanité.
Mais il y a plus encore et maintenant après Mathieu, Marc et Luc, c’est au tour du quatrième évangile chapitre XIII :
« Avant la fête de la Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue de passe de ce monde au père, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’à la fin. Au cours d’un repas, alors que déjà le Diable avait inspiré à Judas Iscariote, fils de Simon, le projet de le livrer ». (Ce petit lambeau de phrase d’apparence innocente, j’ai honte de le relire dans la manière qui fut la mienne de le citer sans une once d’esprit critique à la Mutualité lors de mon Carême 68. Il m’a fallu plus de trente ans pour rejeter, renvoyer l’expéditeur au diable, ceci dans mon « Judas l’Innocent » cet indigne verset 2 du magnifique chapitre XIII en quatrième évangile). Il faut en finir avec la diabolisation de Judas destinée à innocenter le pouvoir romain du meurtre de Jésus : « Sachant que le Père lui avait tout remis dans les mains qu’Il était venu de Dieu et revenait à Dieu, il se lève de table, quitte son manteau et prenant un linge, il s’en fait une ceinture. Puis, il verse de l’eau dans un bassin et commence à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge dont il s’était entouré les reins ».


Le Fils de l’Homme célèbre la Pâque, l’unique Pâque, le passage prophétique par tous les peuples , de l’oppression à la liberté. Il aime les siens, toute l’humanité jusqu’au bout à l’extrême, à l’excès. Mais comment ? Que signifie aimer ? C’est au cours d’un repas que Jésus livre son secret, sa suprême révélation ; pendant le dîner, parce que le repas n’est pas fait pour être pris seul mais pour être partagé. Je me suis demandé longtemps, je me demande encore la raison , la nécessité d’un début aussi important, solennel, d’un prologue d’ampleur liturgique. Jean le Confident, le témoin mais pas le petit préféré d’intrusion sentimentale qu’a cru bon d’en faire la tradition, part de l’aspect qui se prête le mieux au doctrinal et non au dogmatique, il éprouve le besoin d’affirmer que le Père a tout remis aux mains de son Christ, que Jésus est de Dieu et revient à Dieu… par ce geste quotidien, élémentaire, banal, domestique en même temps qu’insolite : laver les pieds. Partir de si haut pour atterrir si platement. On dit souvent dans l’Eglise qu’il faut considérer les deux dimensions, tenir les deux bouts de la chaîne : le Transcendant et l’immanent, l’incarnation, le Tout autre et le Tout proche. La conséquence est le strabisme du chrétien qui regarde deux directions différentes, se prête au monde et ne s’y donne jamais. A la vérité, Dieu lui ne donne jamais moins que lui-même. Il ne donne pas que sa grâce qui serait prélévement sur un capital jalousement gardé car sa grâce n’est rien moins que lui, lui donné en totalité.
Le secret de Dieu, c’est de n’en avoir aucun. La supériorité de Dieu, c’est de n’en manifester aucune. Dieu c’est celui en qui n’existe aucun retour à soi, aucun profit. Jésus Christ vient de son Père et revient à lui. Il est lié en permanence à son Père qui n’a rien à voir avec le gouverneur, avec l’empereur de tous les mondes. Son père, c’est l’éveilleur de la résistance, l’animateur du maquis du plus opprimé d’entre les peuples ; Jésus est le Verbe de son Père, le dernier mot de son père. Tout Dieu se trouve dans son Verbe, dans son Fils, dans son Messie, dans son Christ. Si Jésus-Christ est l’expression de son Père, l’expression ne peut mentir à ce quelle exprime. Le Fils qui sert les hommes ne peut avoir un père dominateur ; il ne peut être le délégué aux relations humaines de l’entreprise du grand patron du trust de son papa roi des rois. Le seigneur a le geste de l’esclave et, du même mouvement, je découvre que ce nom romain, latin de Seigneur ne lui a jamais convenu. C’est créateur qui correspond en vérité, en réalité à l’homme. Dieu se faisant esclave. J’ai beau tourner et retourner dans tous les sens la question centrale, radicale mais aussi marginale du y-a-t-il Dieu ? Et en plein cœur de l’hypothèse où il y aurait Dieu, qui donc est Dieu ? Car le fait qu’il soit ne dit absolument pas qui il est ? Je me heurte au paradoxe absolu au scandale des scandales : celui que les siècles des siècles sans compter les anges non pas rebelles mais conservateurs s’acharnent à me présenter comme le Très Haut, le roi des rois, le Seigneur des Seigneurs, ne serait, n’est vraiment si du moins j’en crois la dernière nouvelle, qu’un vulgaire laveur de pieds. Pas des pieds aériens, élégants, aristocratiques, primés au concours des pieds bien soignés, parfumés. Non, mais des pieds boueux, des pieds écrasés, des pieds piétinés, des pieds de choses humaines qui n’ont rien de l’homme modèle courant, des pieds d’esclaves.

Donc, le Seigneur qui n’a jamais voulu de ce nom vulgaire de Seigneur incompatible avec sa réalité de créateur donné à sa création, a spontanément le geste de l’esclave. De celui dont l’invité, comme le Maître, le Patron, le Seigneur ne voit pas le visage. Le créateur, le geste créateur c’est exactement dans l’histoire celui du bétail, de l’objet à visage humain, de tous ceux qui sont traités en objets. On dit habituellement que, dans ce geste de l’esclave, Jésus Christ Dieu voile son propre visage. Non, ce n’est pas vrai, il le dévoile. Dieu réalise, effectue, accomplit dans sa Parole donnée qui est son Autre lui-même, son Fils, ce qu’il fait de toujours à toujours, le service gratuit du monde, sa création. Le visage de tous ceux que l’on ne voit pas, le visage de tous les oubliés, c’est le visage de Dieu. Voilà sa transcendance car il n’est de transcendance que du Dieu caché au plus épais, au cœur de la grande masse humaine. Je comprends alors l’étonnement, le scandale de Pierre, mon étonnement, mon scandale dans ce qui me reste de bon sens, d’équilibre, de modération, de juste milieu, de réticence, devant l’amour d’excès, devant la folie radicale, transcendantale, devant le délire, l’impossible irréaliste, réalisé : le maître, la grandeur qui a le geste de l’esclave, qui se conduit en esclave volontaire de tous les esclaves, afin qu’il n’y ait pas un seul esclave qui ne devienne non seulement humain mais créateur et créateur de créateurs. Mais ce n’est pas raisonnable, ce n’est pas pensable. C’est l’innommable : « Toi, me laver les pieds ! s’écrie Pierre, le premier pape, Jamais de la vie ! »
Quelle est la réponse de Jésus ? « Ce que je fais, tu ne peux le savoir à présent, tu le comprendras plus tard ». Eh bien ! Environ deux mille ans se sont déroulés depuis et les représentants officiels de Jésus comme si le Verbe fait humain pouvait avoir une représentation officielle ! , n’ont toujours pas compris la renversement fondateur du nouveau Absolu, de toutes les situations acquises.
La Parole du Verbe ne s’adresse pas seulement à Pierre mais à tous ces successeurs, aux papes, aux évêques, aux prêtres, aux hommes d’Etat, à toutes les autorités, à tous les corps constitués, à tous les humains.
Nous ne pouvons pas faire le tour de cette parole ; elle nous dépasse, elle nous transgresse, elle nous déborde. IL ne faudra rien moins que l’histoire entière de l’humanité pour qu’elle commence à s’incarner partout. Elle conteste toutes nos hiérarchies, nos conceptions du commandement, des nations même unies, de la patrie, de la famille, de la marche du monde. Elle secoue les fondements mêmes de notre croyance en Dieu.

Laissez-moi vous le confier comme je l’ai dit à des enfants. Je vous fais l’honneur évangélique de vous parler comme à des enfants. Quand j’étais petit, on me demandait de dire l’homme de mon pays et du monde que j’admirais le plus et je répondais : Napoléon Bonaparte. Pourquoi ? parce qu’il commandait à des millions d’hommes qui lui obéissaient au doigt et à l’œil. Un grand homme c’est celui qui tient des foules humaines à ses pieds sous ses pieds. Sa grandeur même se mesure au nombre de ceux qu’il tient à sa merci. Mais alors un grand homme, c’est un petit dieu. Parce que le grand Dieu tient le monde entier , l’univers de tous les siècles, sous ses pieds. Eh bien non ! l’Evangile m’apprend que c’est faux, archi faux, que c’est le contraire absolu qui est vrai, Dieu ne tient pas le monde sous ses pieds. Il est aux pieds de tous. Par là, Dieu en Jésus Christ conteste toutes les grandeurs dominatrices, tous les pouvoirs jusqu’à Celui qui les sacralise tous, Dieu tel que les hommes se le représentent, le Maître, le Patron, le Chef, le Dieu du Diktat. Dieu n’est pas l’autocrate, le théocrate. Dieu n’est même pas déiste, il n’est pas théiste, encore moins monothéiste. Dieu est l’athée de toute divinité.
Dieu n’a pas la divinité. Il n’a rien qu’il ne donne. Le Verbe, la Parole nous dit encore : « Ma vie, on ne me la prend pas. Je la donne ». « Ayant aimé les siens » non pas de propriété, de possession mais les siens par don total de lui-même à eux tous, « il les aima jusqu’au bout à l’extrême, à l’excès ».
Jésus, le Fils de l’Homme ne cède pas à la demi-mesure. Il ne fait rien avec mesure, il aime avec passion au point d’être la passion du monde. Il est le Don de l’unique au monde à rassembler en une seule communauté, en un seul peuple, en un seul corps.
Mais la résurrection, me direz-vous, où est-elle ? Vous ne voyez pas ? C’est une erreur que de situer la passion d’un côté, la résurrection de l’autre. C’est la passion, c’est l’amour de passion jusqu’à la totale solidarité, jusqu’à la radicale convivialité, jusqu’à pâtir, universellement compatir, qui fait res-susciter, qui suscite et res-suscite des énergies toujours nouvelles, créatrices, re-créatrices. Ce que je donne librement, personnellement, absolument, personne n’a pouvoir de me le prendre. Un homme a vécu qui n’a eu aucun geste de profit, de possédant, de puissant, encore moins de tout-puissant, de propriétaire, d’amasseur de capital, d’accaparement, de pouvoir. Tout en lui est solidarité avec tous, passion de tous. Alors, quand la mort, au terme du supplice, vient, elle ne trouve rien à prendre : tout est déjà donné. Ainsi, la mort est refaite. Mort, où est ta victoire ? Mort, je serai ta mort. Et pas seulement la mort de la mort. Mais la mort bien pire que la mort, la vie mortelle.
La résurrection, l’universelle résurrection de la chair, ce n’est pas un miracle. C’est la logique de l’Amour d’amitié en acte libérateur. Parce que Jésus Christ, la Parole faite chair n’a aucun geste de retour à soi, il n’existe aucun stimulant matériel, égoïste qui puisse le retenir enfermé, enchaîné. Il est toujours vivant et contagieusement vivant. Il inaugure, il innove une forme sans précédent de vie et de comportement. La mort et même la mort en vie, la vie mortelle n’a aucune prise sur lui.
Par le retour au vieil homme, au manque d’imagination, à l’esprit de puissance, au réflexe du propriétaire, au conformisme, à l’instinct de conservation, à l’instinct de mort, au vieux pouvoir, à l’amour jaloux, compétitif, violeur, tueur, les révolutions se dé-composent en directoire, se durcissent en consulat pour enfin se pétrifier en vulgaire empire suivi des féroces restaurations. Il faut un souffle immense pour porter la Révolution toujours plus loin au lieu, selon la coutume et tous les rites d’anniversaire, d’enterrer vivantes ses promesses d’universelle résurrection. Les jouvenceaux et jouvencelles de Molière, les Cléante, les Angélique deviennent avec l’âge des Argan, des Bélise et des Géronte. A la respiration de l’homme enfin vivant, à la mesure du monde, à la conscience mondiale, à notre vitalité humaine, il faut au moins l’internationale .J’ai dit « au moins » parce que c’est insuffisant, parce qu’il nous faut davantage, parce que l’Internationale n’est que le genre humain, et le genre humain n’est pas l’universel. Parce que l’universel, c’est l’humanité. Prononcer le mot d’humanité avec tout son poids de pensée, d’affectivité, de sensibilité, d’acte implique le fait de croire à la résurrection des vivants et des morts. Car l’humanité, à l’instant où j’en dis le nom, ne se borne pas aux hommes et aux femmes qui ne sont pas encore morts. Tout grand projet auquel on donne sa vie, toute passion à la mesure de tous les humains, du monde rassemblé par le lien d’amitié, parle même s’il n’est pas nommé, Jésus Christ sauveur puisque son nom signifie « Libérateur en mission », le nom de Résistance de Dieu à l’immonde trafic auquel on veut réduire sa création.
Chacun n’aura son nom propre, personnel, qu’au cœur du peuple universel, du peuple unanime. Comme l’écrivent les évêques du Tiers Monde : « Quand par sa résurrection, le Christ libère l’humanité de la mort, il conduit toutes les libérations humaines à leur plénitude éternelle ».

LA QUESTION CRUCIALE

Quand au soir du vendredi 5 avril , j’ai prononcé ma dernière conférence de Carême à la Mutualité, Martin Luther King venait d’être tué. Quelqu’un m’a posé l’éternelle question cruciale. « Au moment où est assassiné Martin Luther King, que pensez-vous de la violence ? »
Je réponds : « Je n’ai jamais rencontré Martin Luther King, mais sa mort m’atteint au point que je croyais tout à l’heure qu’il me serait impossible de parler. C’est un homme qui se dresse en permanence contre le pouvoir dominateur pour le pouvoir auquel tous participent. Comme Gandhi, Martin Luther King n’a jamais absolutisé la non violence. Il faut rappeler sans cesse la parole de Gandhi. « Mieux vaut la violence qu’une injustice ». La violence est assimilée par beaucoup en notre monde occidental à la violence insurrectionnelle, révolutionnaire. Alors surgissent les imageries du couteau entre les dents, des exécutions sommaires. Mais nous oublions l’organisation du monde qui fait mourir au Brésil 20% des enfants avant l’âge d’un an et 50% avant l’âge de 5 ans. Ceci sans oublier l’Afrique prise à la gorge, niée. Il existe une violence de l’ordre . Dans le texte du Concile Vatican II, « Gaudium et spes », « Joie et espérance » ; il est précisé que l’homme, la femme qui ne peut se procurer du travail, vivre par des moyens légaux, est en droit de s’emparer du bien d’autrui. Ce n’est pas du vol car nous retrouvons avec le cas d’extrême nécessité, la destination fondamentale des biens à tous les humains. Qu’arriverait-il si les peuples du Tiers Monde appliquaient ce droit fondateur d’humanité ? S’ils reprenaient par la lutte ce qui leur est structurellement volé ? A la vérité, ce qui me stupéfie, c’est la patience infinie des pauvres. Je n’aime pas que l’on oppose Camillo Torres, le prêtre colombien passé à la lutte armée contre l’oppression par amour des pauvres, et Martin Luther King : l’un et l’autre relativisent violence et non violence. Je crois angélique et illusoire une révolution sans la moindre dureté, en douceur. Je crois absurde le culte systématique de la violence comme seul moyen révolutionnaire. En définitive, une révolution ne se mesure pas à la violence qu’elle déploie mais à la profondeur des racines qu’elle atteint. Or, ne l’oublions jamais, la première et la dernière violence faite à l’humanité, à toute la création, au créateur libérateur, c’est la violence du pouvoir.
J’allais vous cacher l’une des plus savoureuses de toutes les perles . Elle est de Charles Péguy. Je suis loin de tout admirer chez lui. Il a pu se montrer odieux avec Jean Jaurès. Mais je lui dois la plus admirable parole sur la révolution. Je la confie en prélude à tous les amis : « Une révolution c’est l’appel d’une tradition moins profonde à une tradition plus profonde ». 


Jean Cardonnel

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