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Sören Kierkegaard (1813-1855), le « père de l’existentialisme » nous a légué une œuvre écrite philosophico - littéraire  colossale. Comme nous le rappelle Stéphane Vial dans son excellent Kierkegaard : Ecrire ou mourir, l’hyper- graphie kierkegaardienne a été indiscutablement thérapeutique pour Kierkegaard lui-même. Sans céder pour autant à la frénésie de psychanalyse posthume autour de Kierkegaard, Vial a montré de manière pertinente comment le philosophe danois  Pour Kierkegaard, c’est vraiment le difficile qui s’est avéré être le chemin, un peu comme si la souffrance était le prix à payer pour l’éclosion du génie. Mais pour lui, la difficulté n’est pas seulement un aiguillon pour stimuler la créativité intellectuelle, elle est aussi plus fondamentalement le chemin étroit du salut. Selon Kierkegaard c’est particulièrement l’angoisse qui constitue une difficulté formatrice. L’angoisse éduque à la liberté en tant qu’elle est toujours l’angoisse en face du choix et de l’infini des possibles qu’il implique d’où le sentiment de vertige ontologique. Kierkegaard aurait pu devenir pasteur ou épouser Régine, mais il a choisi de devenir écrivain et a cru, à tort ou à raison, qu’un tel choix était exclusif de tout autre choix.
La citation de Kierkegaard est d’autant plus intéressante qu’elle marque bien la différence entre le stade éthique et le stade religieux de l’existence. Par opposition au stade esthétique caractérisé par la légèreté et la facilité, le stade éthique marque le sérieux de l’engagement et la responsabilité du choix. Dire que le chemin est difficile constitue  en quelque sorte le mot d’ordre du stade éthique, alors que la formule inversée « le difficile est le chemin » constitue le point d’ancrage du stade religieux. Pour Kierkegaard, le stade religieux se caractérise par le saut dans la foi, saut qui passe  par le sacrifice de la raison sur l’autel de l’absurde. Le sacrifice d’Abraham est incontestablement l’exemple le plus parlant d’un tel saut absurde dans la foi et c’est pourquoi cette histoire biblique a tant inspiré Kierkegaard. Dans son ouvrage intitulé fort à propos Craintes et tremblements Kierkegaard fait une analyse très fouillée du calvaire d’Abraham à qui Dieu demande de sacrifier son fils Isaac. Kierkegaard est fondé à voir dans cette histoire l’illustration parfaite de sa citation, car avec Abraham c’est vraiment le difficile qui est le chemin ! Que peut-il y avoir de plus douloureux que de perdre son enfant ? Que peut-il y avoir de plus monstrueux que d’être soi-même la main qui lui donne la mort ? Et que peut-il y avoir de plus absurde que de recevoir un tel ordre d’un Dieu d’amour censé détester la pratique du sacrifice humain ? Kierkegaard propose sa propre interprétation de ce récit scandaleux qui a fait perdre la foi a tant de croyants. Pour lui, la foi n’est pas la confiance aveugle qui peut mener à des actes fanatiques, mais bien un au-delà de la raison qui lui est infiniment supérieur. Abraham, le père de la foi croit dans la possibilité que Isaac puisse être sauvé malgré sa décision d’aller jusqu’au bout de l’obéissance au terrible commandement divin. Et finalement, Isaac est sauvé in extremis  par un ange de Dieu…
Kierkegaard s’est lui-même identifié à Abraham et a vu dans sa propre existence des similitudes troublantes avec celle du « père de la foi ». Né d’une mère qui avait 46 ans, il aurait pu aussi s’identifier avec Isaac, Sarah ayant plus de 80 ans au moment de sa naissance si l’on en croit la Bible…Mais Kierkegaard a préféré laisser le rôle d’Isaac a sa bien-aimée Régine Olsen, préférant se réserver le rôle d’Abraham. Kierkegaard a choisi de sacrifier son amour pour Régine en se convaincant à posteriori que c’était la volonté divine sans être pourtant dupe de son scénario ! Il a longtemps espéré une reprise avec elle après la rupture des fiançailles, mais le mariage de Régine avec Frédéric Schlegel en a décidé autrement. Dans son Journal Kierkegaard confesse que s’il avait vraiment eu la foi, il aurait épousé Régine Olsen…Son erreur avait sans doute été de vouloir infliger à Régine le chemin difficile qu’elle n’avait pas choisi… 
                                   Biblio : S. Kierkegaard, Craintes et tremblements –
                                                            Jean-luc Berlet
Tag(s) : #Textes des cafés-philo

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