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Du stade esthétique de Kierkegaard à la clinique esthétique d’aujourd’hui
«Quelle est la  force par laquelle Don Juan séduit ? C’est celle du désir : l’énergie du désir sensuel. Dans chaque femme, il désire la féminité toute entière, et c’est en cela que se trouve la puissance, sensuellement idéalisante, avec laquelle il embellit et vainc sa proie en même temps». 
Sören Kierkegaard

Le mot esthétique comme tant d’autres a subi de nombreux déplacements sémantiques au fil du temps. Mais nous allons voir que pour l’esthétique les déplacements sont particulièrement significatifs. Le mot esthétique vient du grec aesthesis qui signifie la sensation. Mais la philosophie va opérer à un premier changement notoire de sens à travers le critique d’art Allemand Baumgarten à travers son Aesthesis en 1750.  A la suite de Baumgarten l’esthétique prend le sens d’une théorie de l’art et du beau et c’est ce sens que reprend la tradition philosophique idéaliste à travers Kant et Hegel notamment.
La question qui se pose est de savoir s’il demeure un lien entre l’étymologie grecque du mot esthétique et sa définition « baumgartienne ». En fait, Kant admet implicitement un tel lien lorsqu’il définit le Beau comme la source d’un plaisir désintéressé. Mais c’est le philosophe Danois Sören Kierkegaard qui va le plus loin dans sa tentative de conciliation entre les sens grec et allemand de l’esthétique. Par un coup de génie qui doit beaucoup à une analyse approfondie de son propre vécu, Kierkegaard crée la notion de stade esthétique dans l’existence. Selon lui, le stade esthétique de l’existence précède le stade éthique et religieux. C’est une phase de la vie qui se caractérise simultanément par la recherche du plaisir sensuel et la quête de la beauté. C’est un mode d’existence qui se caractérise par la séduction, Don Juan étant selon Kierkegaard l’incarnation emblématique de la vie esthétique. Pour le philosophe danois, c’est la musique qui réalise à la perfection la synthèse entre l’esthétique sensuelle et l’esthétique artistique, d’où l’idée d’un érotisme spécifiquement musical. Le Don Giovanni de Mozart constitue en ce sens le chef d’œuvre absolu pour Kierkegaard.  Sans être lui-même un véritable séducteur, Kierkeggard a tout de même vécu une jeunesse de dandy désoeuvré, méditant sur la terrasse des cafés avec son éternel cigare. Et il a réalisé à quel point cette esthétique de la mélancolie pouvait suscité l’amour des demoiselles, la belle Régine s’étant prise au piège. En rompant brutalement ses fiançailles avec Régine, Kierkegaard a refusé le passage par le stade éthique caractérisé essentiellement par le mariage et le travail, bref par tout ce qui demande le sens de l’engagement et de la responsabilité. Tenaillé par un vif sentiment de culpabilité pour avoir brisé le cœur de Régine Olsen, Kierkegaard est directement passé au stade religieux…

En conciliant, désir de sensualité et quête de beauté, le stade esthétique de Kierkegaard permet de comprendre le phénomène actuel de l’engouement pour tout ce qui tourne autour de la clinique esthétique en allant des soins cosmétiques à la chirurgie esthétique. D’un point de vue kierkegaardien on peut poser la Grèce Antique comme le stade esthétique de la civilisation occidentale. Or, notre époque semble reproduire sous d’autres formes le culte du  beau corps humain propre aux Grecs. Tout semble donc se passer comme si nous vivions aujourd’hui une sorte de résurgence historique du stade esthétique avec son culte du plaisir et  de la beauté…Et en termes freudiens, on pourrait dire qu’à l’image de l’amour, l’esthétique est une notion propice à toutes les sublimations imaginables…

Bibliographie : S. Kierkegaard, Ou bien…ou bien…- Etapes sur le chemin de la vie

Jean-Luc  Berlet  
(café-philo du 29 /08/ 07  au St René)

Tag(s) : #Textes des cafés-philo

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