A quelle condition prétendre à l’universel ?
Le débat a confirmé que la notion d’universel suscite de nombreuses critiques et très peu d’adhésion. On lui attribue le pire de la civilisation occidentale : l’impérialisme, l’Inquisition, le totalitarisme. En fait, elle ne serait que le produit de notre orgueil et de notre arrogance. Pourquoi, en effet, sommes-nous les seuls à nous poser la question de l’universel ?
Pourtant, cette affirmation est déjà à vérifier tant elle paraît... ethnocentrique. Comme cette idée si répandue que notre culture serait la seule à connaître la notion d’individu. L’anti-universalisme est d’abord une posture réactive contre nos déraisons (scientisme, volonté de domination), à défaut d’être un point de vue informé sur les autres cultures et plus précisément sur « l’homme », c’est-à-dire sur nous-mêmes. De plus, elle joue très fâcheusement le jeu d’une autre déraison, l’anti-humanisme déferlant du 20ème siècle !
Précisons d’abord de quel universel il est question. Dire que tous les hommes éprouvent de l’amour, de la colère, de l’angoisse, de la joie, qu’ils ont tous une capacité de création intellectuelle et spirituelle, c’est dire aussi qu’ils ont deux poumons, deux bras, deux jambes... Comment ne pas s’accorder sur cet universel ? Montaigne, qui a fait de lui-même « la matière de [son] livre » et qui s’adresse à son lecteur comme à un ami, est en même temps en quête d’universel : il cherche ce qu’il y a d’humain en l’homme.
Mais le sujet implique une orientation, et aussi un objectif. L’humain en l’homme, cela peut être la barbarie, la bêtise, la médiocrité, le désir de soumission, le refus de savoir... Or, il ne s’agit pas ici de décrire l’homme « tel qu’il est » mais de chercher autre chose, justement, que la barbarie ou la bêtise ! Pour se rendre meilleur, en fait, et parce que c’est cela qui demande le plus d’effort.
Cet universel est difficile à définir, mais ce n’est pas la preuve qu’il n’existe pas. Penser la différence, la singularité, la variation, le doute, être « humain » tout simplement tiendrait-il debout sans universel quelque part ? Celui-ci est à chercher... et en mal de réalisation. Dans l’absolu, il n’est peut-être pas accessible comme l’ont rêvé les philosophes des Lumières. Mais il est déjà plus fréquentable que « Dieu », la vérité, le réel, qui cumulent les impossibles : impossibles à nommer, à connaître, à dire, à supporter ! Il ne se confond pas non plus avec la Totalité, c’est même à cette condition qu’il est une hypothèse acceptable... et vérifiable.
Pour répondre au procès idéologique condamnant la notion d’universel, distinguons maintenant les différents niveaux de l’être et de la pensée auxquels elle peut s’appliquer : l’ontologie, l’éthique, la connaissance, et les différents points de vue, de la métaphysique à l’anthropologie. Les problèmes commencent quand on « descend » du plus haut niveau spirituel ou philosophique jusqu’aux valeurs et aux formes de société. Par ex ., les philosophes arabo-musulmans qui ont joué un rôle dominant au Moyen Age appartiennent à l’universel, ce que nul ne conteste, tandis que les sociétés despotiques ou féodales du type de celles où ils vivaient s’en excluent, point de vue aujourd’hui politiquement incorrect.
Finalement, la question est de savoir quelle culture, quelle forme de société peuvent donner le meilleur accès à l’universel, au sens de ce qui réalise « l’humain ». Cette question n’est pas innocente car il y a fort à parier que l’altérité et la liberté créent la situation expérimentale nécessaire, tandis que la soumission, la discrimination, la violence, les mondes clos en interdisent l’accès. Il n’est pas possible de soutenir que toutes les idéologies et toutes les formes de société se valent.
Bien sûr, aucune démonstration n’est possible en ce domaine, et l’on ne peut qu’interpréter des faits. D’où la méthode pragmatique du dernier chapitre.
Alain Parquet
débat du 26 septembre 2007 au Saint-René
débat du 26 septembre 2007 au Saint-René