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guernica-etatI.jpgPicasso à l’officier nazi qui lui demanda qui est l’auteur de ce tableau. « C’est vous ! ».                  

Hegel avait déjà clairement affirmé que l’art reflétait l’esprit du temps, mais il n’est pas allé au bout de son affirmation, sinon il n’aurait pas décrété la mort de l’art. Car pour lui, le divorce entre le beau et l’art équivaut à la mort de ce dernier. Or, l’art moderne s’inscrit clairement en faux avec l’assertion hégélienne en assumant pleinement ce divorce entre l’art et le beau. Le cas est particulièrement patent avec l’art surréaliste qui parfois n’hésite pas à représenter la laideur du réel à travers des œuvres réellement laides ! On ne peut pas dire que la pissotière de Marcel Duchamp soit spécialement esthétique…
Picasso, qui sans être à proprement parler un surréaliste a tout de même eu sa période dadaïste, assume aussi à sa manière un tel divorce entre le beau et l’art. Pour lui, à son époque la vocation de l’art n’est plus de refléter le beau mais de refléter son temps. Or, la toile qui incarne certainement le mieux la théorie de Picasso est certainement son Guernica. Picasso a peint ce tableau juste après le bombardement de la ville de Guernica par l’aviation allemande. Le temps était alors à la guerre totale et l’art ne pouvait faire autre chose que refléter cet état de fait. Cependant, il va de soi que Picasso ne s’est pas contenté de peindre simplement une toile représentant une scène de désolation urbaine après la barbarie d’un bombardement. Cet acte de guerre odieux a aussi été l’occasion pour Picasso de révéler à travers son art pictural l’esprit de son temps voué à la contamination fasciste avec les conséquences déshumanisantes que cela implique. En observant le tableau on aperçoit des morceaux de corps mutilés, des visages ulcérés par la douleur ainsi que des coupures de journaux disséminées, un peu comme si Picasso avait voulu nous signifier que le désastre était à la fois physique et intellectuel. La pâleur des couleurs utilisées, jaune et bleu pâles sur fond noir, ne fait que d’accentuer la caractère mortifère de cette scène d’Apocalypse ! Mais Picasso, comme souvent, glisse aussi des aspects autobiographiques  dans cette toile. Ainsi, la présence du taureau et du cheval n’est pas anodine, car Picasso s’identifie au taureau et identifie la femme au cheval. Le taureau semble se détourner du cheval à son grand désespoir, ce qui est probablement révélateur d’une rupture amoureuse de Picasso qui était coutumier du fait…C’est un peu comme si le film de la vie personnelle de Picasso était en résonance avec le film de l’actualité géopolitique. D’ailleurs, ce n’est certainement pas par hasard que la toile de Picasso reproduit exactement le rectangle d’un écran de cinéma. Le fait que Picasso était un grand cinéphile ne suffit pas à expliquer une allusion aussi claire au cinéma. Tout se passe comme si Picasso voulait montrer à travers son Guernica que la vocation de la peinture était la même que celle du cinéma : refléter le plus fidèlement possible l’esprit du temps ! Or Picasso est par excellence l’incarnation artistique de l’idée selon laquelle l’art reflète son temps…
En définitive, s’il est vrai que l’art reflète généralement  son temps, il peut aussi arriver parfois que l’art devance son temps. N’est-ce pas la caractéristique des plus grands chefs d’œuvre que d’anticiper ainsi sur l’avenir ? Plus fondamentalement encore, n’est-ce pas limiter l’art et minimiser sa valeur que de le comparer à un reflet du temps. Platon ne reprochait-il pas à l’art de n’être que le reflet du réel et par conséquent ontologiquement inférieur à ce dernier ? Enfin, la vocation de l’art n’est-elle pas d’aller voir se qui se cache de l’autre côté du miroir plutôt que de se contenter de reproduire l’image que ce miroir lui renvoie ? Enfin, l’artiste ne doit-il pas aspirer à être un médium plutôt qu’un journaliste ?            


                                               Jean-Luc  Berlet.
philosoph’art du 20 /09/ 07 

Illustration:
Guernica, état I
Chronique documentant le travail de Picasso tout au long de la réalisation de Guernica, commande faite à Dora Maar de Christian Zervos pour la revue Cahiers d'Art, publiée dans le vol 12 en 1937. mai-juin 1937
Auteur : Markovitch Henriette Dora (1907-1997), Maar Dora (dit), Picasso Pablo (dit), Ruiz Blasco Pablo (1881-1973)
1937 .
Tag(s) : #Textes des cafés-philo

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