«L’important n’est pas ce qu’on a fait de moi mais ce que je fais moi-même de ce qu’on a fait de moi.» Jean-Paul Sartre
L’idée de transformation de soi est d’autant plus intéressante qu’elle n’a pas encore été trop galvaudée par la mode « psy » du moment. Il ne serait pas surprenant qu’après la coupe du monde de rugby, les « coachs » s’empare d’une telle expression. Pour l’instant, le marketing du développement personnel préfère encore parler de réalisation de soi sans être trop précis sur ce qu’il faut comprendre précisément par cette expression. A mon sens la notion de transformation de soi a beaucoup plus de sens comme je vais essayer de le montrer.
Prenons d’abord isolément la notion de transformation issue du mot formation auquel a été ajouté le préfixe « trans ». La formation correspond à l’acte de donner forme à une matière préexistante. Aristote a donné un bel exemple de formation avec le sculpteur qui donne une forme au bloc de marbre. En ce sens, la formation de soi serait une sculpture de soi. Or, Socrate applique précisément une telle métaphore à son idée de la formation humaine. Mais l’être humain n’est pas un bloc de marbre et l’on ne peut le former comme le sculpteur donne une forme à une matière première. C’est pourquoi Socrate préfère comparer son art du dialogue philosophique à celui de la sage femme, la profession de sa mère, plutôt qu’à celui de la sculpture, profession de son père ! La maïeutique socratique est véritablement un processus de transformation de soi à travers la questionnement et la prise de conscience de notre ignorance. C’est à ce niveau que le préfixe « trans » s’avère décisif, car il apporte une évidente valeur ajoutée à l’idée de formation. En effet, l’être humain n’est pas une statue que l’on peut reformer indéfiniment à partir d’un même moule originel. Chacun d’entre nous est un être singulier doté d’une identité unique qu’on peut appeler le soi. C’est cette essence singulière, ce noyau intime que le processus de transformation de soi est censé mettre à jour sous le soleil de la conscience.
Comme le dit si bien Sartre, le fait que nous soyons conditionné par notre environnement social et formé par notre éducation n’annule pas la liberté que nous avons de nous transformer. Nous avons le pouvoir paradoxal de nous réapproprier ce moi qui nous a été imposé de l’extérieur en le transformant en soi… En un sens existentialiste, la transformation de soi passe par ce que j’appelle une révélation existentielle, c’est-à-dire une prise de conscience soudaine de qui nous sommes vraiment. Une telle expérience est difficile à formuler car elle est très intime et certainement différente pour chacun. Mais il est probable que l’Eveil du Bouddha, l’Extase de Thérèse d’Avila ou même le Cogito de Descartes par exemple, sont autant de formes différentes d’une même expérience fondamentale de la révélation de soi. Et c’est précisément sur une telle base de révélation soi que la transformation de soi devient possible. Si l’on prend la métaphore photographique, le processus de la révélation transforme le négatif en image. Or, pour l’être humain, il existe aussi un processus qui permet une telle transformation de soi. Tout se passe comme si notre « moi » social était la chenille qui est destinée à se transformer en un magnifique papillon comparable au soi. Mais trop souvent, l’être humain refuse la transformation de soi et se contente de ramper sur le tronc commun du conformisme social. La transformation de soi demande du courage car elle passe par une épreuve de soi. Mais comme nous le rappelle Karl Jaspers, nous n’avons pas toujours le choix, la vie nous imposant parfois elle-même de grandes situations limites. Ces situations limites, décès d’un proche, maladie, échec ou faute, sont d’après Jaspers propices à la transformation de soi à travers une quête d’authenticité. Mais pourquoi ne retenir que des épreuves négatives ? Un bonheur soudain, un coup de foudre amoureux ou tout autre expérience positive ne pourrait-elle pas servir de déclencheur à une telle transformation de soi ?
Jean-Luc Berlet.
café philo du 21 octobre 2007
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