Luther, un moine inquiet
Martin Luther est né à Eisleben, en Thuringe, le 10 novembre 1483. Fils d'un mineur aisé, il étudie à l'Université d'Erfurt et entre au couvent des Augustins en 1505.
Devenu prêtre, il commence à enseigner la théologie à Wittenberg. Mais il ne tarde pas à s'interroger sur la grâce divine et les moyens d'accéder à la vie éternelle.
En étudiant l'épître aux Romains de saint Paul, il est frappé par l'expression : «Le juste vivra par la foi».
Par cette révélation, le théologien arrive à la conviction que l'homme ne peut être sauvé que par sa foi et non par ses oeuvres.
Il se convainc que la justice selon l'Évangile n'est pas soumission à une loi mais don de Dieu. Animé par un génie certain et une grande intégrité morale, Luther remet dès lors en question la théologie officielle.
Il puise son inspiration dans l'enseignement de Jan Hus, un réformateur tchèque brûlé à Prague un siècle plus tôt (en 1415), qui lui-même avait été attentif aux sermons d'un contemporain anglais, John Wycliff.
Ses réflexions sur la théologie conduisent Luther à s'interroger sur le comportement de la hiérarchie catholique. Celle-ci lui apparaît divisée et profondément corrompue, devenue dédaigneuse au plus haut point du message de l'Évangile.Pas plus que ses prédécesseurs Hus et Wycliff, Luther n'entend se séparer de l'Église catholique. Il voudrait seulement la ramener dans le droit chemin.
La Réforme de Luther
Le premier des scandales que dénonce Luther est l'abus qui est fait des indulgences. Il s'agit des aumônes que le clergé catholique a pris l'habitude de récolter contre la promesse d'un allègement des peines qui attendaient les pécheurs au Purgatoire, antichambre du Paradis. Ces collectes ont d'abord pour but de reconstruire Saint-Pierre de Rome dans le goût fastueux de la Renaissance italienne.
Comme par ailleurs les rois de France et d'Espagne, François 1er et le futur Charles Quint se sont portés candidats au titre impérial, les indulgences sont aussi mises à profit pour rembourser les dépenses considérables qui servent à acheter les votes des sept princes électeurs d'Allemagne.
Les 95 thèses affichées à Wittenberg ont un profond retentissement en Allemagne et échauffent les esprits. Mais le Saint-Siège et les princes allemands tardent à les condamner, ne voulant pas se mettre à dos la population avant l'élection impériale qui doit se tenir en 1519.
De son côté, Martin Luther fait preuve dans un premier temps d'une sincère volonté de conciliation. Tout en se plaçant sous la protection de Frédéric III de Saxe, il dialogue avec les théologiens romains mais doit bientôt se rendre à l'évidence : les thèses des deux bords sont inconciliables.
Au début de l'année 1520, Luther entre résolument en dissidence contre Rome qu'il présente comme la «rouge prostituée de Babylone». Il dénie à l'Église le pouvoir d'effacer les peines dans l'au-delà et formule une doctrine de la grâce divine en rupture avec la pratique catholique. Il attaque les sacrements, à l'exception du baptême et de l'eucharistie (la communion).
Entre autres choses, Martin Luther réclame pour l'ensemble des fidèles et pas seulement pour les prêtres le droit de communier sous les deux espèces, le pain et le vin. Considérant que les chrétiens n'ont pas besoin d'intermédiation pour aimer Dieu, il condamne la fonction cléricale et la vie monastique. Des pasteurs mariés peuvent suffire pour guider le peuple dans la lecture des Saintes Écritures.
Par un «Appel à la noblesse chrétienne de la Nation allemande», le prédicateur consolide son emprise sur l'Allemagne.
Victoire amère de Luther
Lorsqu'enfin, le 15 juin 1520, le pape Léon X le condamne par la bulle Exsurge Domine et fait brûler ses 95 thèses, Luther est en mesure de résister.
Il défie même le pape en brûlant la bulle à Wittenberg !
En retour, il est excommunié le 3 janvier 1521 et le légat pontifical demande sa convocation à Rome mais le jeune empereur Charles Quint, qui craint un soulèvement populaire, obtient qu'il soit d'abord entendu par la Diète, c'est-à-dire l'assemblée représentative de l'empire allemand. Le 17 avril 1521, Martin Luther comparaît devant la Diète réunie à Worms, sur le Rhin, en présence de l'empereur. Il expose sa doctrine et refuse courageusement de se rétracter. Le moine s'attend à être arrêté et brûlé comme Jean Hus, un siècle plus tôt... Grâce à son protecteur, l'Électeur de Saxe, justement nommé Frédéric le Sage, Luther est toutefois autorisé à quitter Worms. Mais l'empereur ne veut pas en rester là. Il obtient le 26 mai 1521 sa mise au ban de l'Empire.
Pour éviter à Luther d'être arrêté, l'Électeur le fait enlever sur la route de Wittenberg et l'amène dans sa forteresse de la Wartburg, en Saxe, où il va se cacher pendant un an sous le nom de «chevalier Georges».
Il défie même le pape en brûlant la bulle à Wittenberg !
En retour, il est excommunié le 3 janvier 1521 et le légat pontifical demande sa convocation à Rome mais le jeune empereur Charles Quint, qui craint un soulèvement populaire, obtient qu'il soit d'abord entendu par la Diète, c'est-à-dire l'assemblée représentative de l'empire allemand. Le 17 avril 1521, Martin Luther comparaît devant la Diète réunie à Worms, sur le Rhin, en présence de l'empereur. Il expose sa doctrine et refuse courageusement de se rétracter. Le moine s'attend à être arrêté et brûlé comme Jean Hus, un siècle plus tôt... Grâce à son protecteur, l'Électeur de Saxe, justement nommé Frédéric le Sage, Luther est toutefois autorisé à quitter Worms. Mais l'empereur ne veut pas en rester là. Il obtient le 26 mai 1521 sa mise au ban de l'Empire.
Pour éviter à Luther d'être arrêté, l'Électeur le fait enlever sur la route de Wittenberg et l'amène dans sa forteresse de la Wartburg, en Saxe, où il va se cacher pendant un an sous le nom de «chevalier Georges».
Naissance d'une nouvelle religion
Pendant ce temps, les idées luthériennes se répandent comme une traînée de poudre dans le peuple et l'élite de l'Allemagne. Les prêtres se marient, les moines et les religieuses abandonnent leur couvent. On voit émerger des sectes comme les anabaptistes.
N'y tenant plus, Luther quitte le 1er mars 1522 son repaire de la Wartburg et se rend à Wittenberg en vue de prendre les choses en main et d'organiser le cadre d'une nouvelle religion. Il abolit les jeûnes, les confessions, les messes privées,... Lui-même renonce à l'habit monastique et, en 1525, épouse une ancienne religieuse cistercienne, Catherine de Bora.
Les positions se radicalisent. Les lettrés humanistes (*) comme Érasme rompent avec Luther par fidélité à l'Église catholique. De son côté, le prédicateur n'hésite pas à prendre parti pour les privilégiés dans la guerre des Paysans qui éclate au même moment en Allemagne du sud.
Inspirés par le théologien Thomas Münzer (ou Münster), les paysans réclament l'abolition du servage, l'allègement des taxes et une réforme non seulement religieuse mais aussi sociale.
Luther appelle les nobles à les écraser de la façon la plus brutale qui soit : «Chers seigneurs, poignardez, pourfendez et égorgez à qui mieux mieux. Si vous y trouvez la mort, tant mieux pour vous ; jamais vous ne pourrez trouver une mort plus bienheureuse, car vous mourrez dans l'obéissance au commandement de la parole et de Dieu», écrit-il dans son pamphlet Wider die raüberischen und mörderischen Rotten der Bauern (Contre les hordes homicides et pillardes des paysans).
La guerre prend fin avec la défaite de Thomas Münzer et des paysans de Thuringe à Frankenhausen, le 15 mai 1525. Très vite, la noblesse pauvre de haute Allemagne est attirée par la prédication de Luther. Elle voit dans sa Réforme la possibilité de s'enrichir à bon compte en s'emparant des biens d'Église.
Le premier à saisir l'avantage de la Réforme est le grand maître de l'ordre Teutonique, Albert de Brandebourg. Sur une suggestion de Luther lui-même, il sécularise en 1525 l'État de Prusse administré par son ordre et le transforme en un duché héréditaire dont il est le premier titulaire. Son exemple est suivi par de nombreux évêques d'Allemagne du nord !
Tandis que l'Europe centrale se déchire entre catholiques et protestants et que se disputent même les disciples de Luther, l'homme qui est cause de tout cela finit sa vie en bon bourgeois obèse, amoureux de la table.
Il meurt le 18 février 1546 à Eisleben et de ses paroles de vieillesse, ses amis tirent un recueil joliment intitulé Tischeden (Propos de table).
Les 95 thèses, publiées le 31 Octobre 1517.
Préambule:
Par amour pour la vérité et dans le but de la préciser, les thèses suivantes seront soutenues à Wittemberg, sous la présidence du Révérend Père Martin LUTHER, ermite augustin, maître es Arts, docteur et lecteur de la Sainte Théologie. Celui-ci prie ceux qui, étant absents, ne pourraient discuter avec lui, de vouloir bien le faire par lettres. Au nom de notre Seigneur Jésus-Christ. Amen.
Thèses:
1. En disant : Faites pénitence, notre Maître et Seigneur Jésus-Christ a voulu que la vie entière des fidèles fût une pénitence.
2. Cette parole ne peut pas s'entendre du sacrement de la pénitence, tel qu'il est administré par le prêtre, c'est à dire de la confession et de la satisfaction.
3. Toutefois elle ne signifie pas non plus la seule pénitence intérieure ; celle-ci est nulle, si elle ne produit pas au dehors toutes sortes de mortifications de la chair.
4. C'est pourquoi la peine dure aussi longtemps que dure la haine de soi-même, la vraie pénitence intérieure, c'est à dire jusqu'à l'entrée dans le royaume des cieux.
5. Le pape ne veut et ne peut remettre d'autres peines que celles qu'il a imposées lui-même de sa propre autorité ou par l'autorité des canons.
6. Le pape ne peut remettre aucune peine autrement qu'en déclarant et en confirmant que Dieu l'a remise ; à moins qu'il ne s'agisse des cas à lui réservés. Celui qui méprise son pouvoir dans ces cas particuliers reste dans son péché.
7. Dieu ne remet la coulpe à personne sans l'humilier, l'abaisser devant un prêtre, son représentant.
8. Les canons pénitentiels ne s'appliquent qu'aux vivants ; et d'après eux, rien ne doit être imposé aux morts.
9. Voilà pourquoi le pape agit selon le Saint-Esprit en exceptant toujours dans ses décrets l'article de la mort et celui de la nécessité.
10. Les prêtres qui, à l'article de la mort, réservent pour le Purgatoire les canons pénitentiels, agissent mal et d'une façon inintelligente.
11. La transformation des peines canoniques en peines du Purgatoire est une ivraie semée certainement pendant que les évêques dormaient.
12. Jadis les peines canoniques étaient imposées non après, mais avant l'absolution, comme une épreuve de la véritable contrition.
13. La mort délie de tout ; les mourants sont déjà morts aux lois canoniques, et celles-ci ne les atteignent plus.
14. Une piété incomplète, un amour imparfait donnent nécessairement une grande crainte au mourant. Plus l'amour est petit, plus grande est la terreur.
15. Cette crainte, cette épouvante suffit déjà, sans parler des autres peines, à constituer la peine du Purgatoire, car elle approche le plus de l'horreur du désespoir.
16. Il semble qu'entre l'Enfer, le Purgatoire et le Ciel il y ait la même différence qu'entre le désespoir, le quasi-désespoir et la sécurité.
17. Il semble que chez les âmes du Purgatoire l'Amour doive grandir à mesure que l'horreur diminue.
18. Il ne paraît pas qu'on puisse prouver par des raisons, ou par les Ecritures que les âmes du Purgatoire soient hors d'état de rien mériter ou de croître dans la charité.
19. Il n'est pas prouvé non plus que toutes les âmes du Purgatoire soient parfaitement assurées de leur béatitude, bien que nous-mêmes nous en ayons une entière assurance.
20. Donc, par la rémission plénière de toutes les peines, le Pape n'entend parler que de celles qu'il a imposées lui-même, et non pas toutes les peines en général.
21. C'est pourquoi les prédicateurs des Indulgences se trompent quand ils disent que les indulgences du Pape délivrent l'homme de toutes les peines et le sauvent.
22. Car le Pape ne saurait remettre aux âmes du Purgatoire d'autres peines que celles qu'elles auraient dû souffrir dans cette vie en vertu des canons.
23. Si la remise entière de toutes les peines peut jamais être accordée, ce ne saurait être qu'en faveur des plus parfaits, c'est-à-dire du plus petit nombre.
24. Ainsi cette magnifique et universelle promesse de la rémission de toutes les peines accordées à tous sans distinction, trompe nécessairement la majeure partie du peuple.
25. Le même pouvoir que le Pape peut avoir, en général, sur le Purgatoire, chaque évêque le possède en particulier dans son diocèse, chaque pasteur dans sa paroisse.
26. Le Pape fait très bien de ne pas donner aux âmes le pardon en vertu du pouvoir des clefs qu'il n'a pas , mais de le donner par le mode de suffrage.
27. Ils prêchent des inventions humaines, ceux qui prétendent qu'aussitôt que l'argent résonne dans leur caisse, l'âme s'envole du Purgatoire.
28. Ce qui est certain, c'est qu'aussitôt que l'argent résonne, l'avarice et la rapacité grandissent. Quant au suffrage de l'Eglise, il dépend uniquement de la bonne volonté de Dieu.
29. Qui sait si toutes les âmes du Purgatoire désirent être délivrées, témoin de ce qu'on rapporte de Saint Séverin et de Saint Paul Pascal.
30. Nul n'est certain de la vérité de sa contrition ; encore moins peut-on l'être de l'entière rémission.
31. Il est aussi rare de trouver un homme qui achète une vraie indulgence qu'un homme vraiment pénitent.
32. Ils seront éternellement damnés avec ceux qui les enseignent, ceux qui pensent que des lettres d'indulgences leur assurent le salut.
33. On ne saurait trop se garder de ces hommes qui disent que les indulgences du Pape sont le don inestimable de Dieu par lequel l'homme est réconcilié avec lui.
34. Car ces grâces des indulgences ne s'appliquent qu'aux peines de la satisfaction sacramentelle établies par les hommes.
35. Ils prêchent une doctrine antichrétienne ceux qui enseignent que pour le rachat des âmes du Purgatoire ou pour obtenir un billet de confession, la contrition n'est pas nécessaire.
36. Tout chrétien vraiment contrit a droit à la rémission entière de la peine et du péché, même sans lettre d'indulgences.
37. Tout vrai chrétien, vivant ou mort, participe à tous les biens de Christ et de l'Eglise, par la grâce de Dieu, et sans lettres d'indulgences.
38. Néanmoins il ne faut pas mépriser la grâce que le Pape dispense ; car elle est, comme je l'ai dit, une déclaration du pardon de Dieu.
39. C'est une chose extraordinairement difficile, même pour les plus habiles théologiens, d'exalter en même temps devant le peuple la puissance des indulgences et la nécessité de la contrition.
40. La vraie contrition recherche et aime les peines ; l'indulgence, par sa largeur, en débarrasse, et à l'occasion, les fait haïr.
41. Il faut prêcher avec prudence les indulgences du Pape, afin que le peuple ne vienne pas à s'imaginer qu'elles sont préférables aux bonnes oeuvres de la charité.
42. Il faut enseigner aux chrétiens que dans l'intention du Pape, l'achat des indulgences ne saurait être comparé en aucune manière aux oeuvres de miséricorde.
43. Il faut enseigner aux chrétiens que celui qui donne aux pauvres ou prête aux nécessiteux fait mieux que s'il achetait des indulgences.
44. Car par l'exercice même de la charité, la charité grandit et l'homme devient meilleur. Les indulgences au contraire n'améliorent pas ; elles ne font qu'affranchir de la peine.
45. Il faut enseigner aux chrétiens que celui qui voyant son prochain dans l'indigence, le délaisse pour acheter des indulgences, ne s'achète pas l'indulgence du Pape mais l'indignation de Dieu.
46. Il faut enseigner aux chrétiens qu'à moins d'avoir des richesses superflues, leur devoir est d'appliquer ce qu'ils ont aux besoins de leur maison plutôt que de le prodiguer à l'achat des indulgences.
47. Il faut enseigner aux chrétiens que l'achat des indulgences est une chose libre, non commandée.
48. Il faut enseigner aux chrétiens que le Pape ayant plus besoin de prières que d'argent demande, en distribuant ses indulgences plutôt de ferventes prières que de l'argent.
49. Il faut enseigner aux chrétiens que les indulgences du Pape sont bonnes s'ils ne s'y confient pas, mais des plus funestes, si par elles, ils perdent la crainte de Dieu.
50. Il faut enseigner aux chrétiens que si le Pape connaissait les exactions des prédicateurs d'indulgences, il préfèrerait voir la basilique de Saint-Pierre réduite en cendres plutôt qu'édifiée avec la chair, le sang, les os de ses brebis.
51. Il faut enseigner aux chrétiens que le Pape, fidèle à son devoir, distribuerait tout son bien et vendrait au besoin l'Eglise de Saint-Pierre pour la plupart de ceux auxquels certains prédicateurs d'indulgences enlèvent leur argent.
52. Il est chimérique de se confier aux indulgences pour le salut, quand même le commissaire du Pape ou le Pape lui-même y mettraient leur âme en gage.
53. Ce sont des ennemis de Christ et du Pape, ceux qui à cause de la prédication des indulgences interdisent dans les autres églises la prédication de la parole de Dieu.
54. C'est faire injure à la Parole de Dieu que d'employer dans un sermon autant et même plus de temps à prêcher les indulgences qu'à annoncer cette Parole.
55. Voici quelle doit être nécessairement la pensée du Pape ; si l'on accorde aux indulgences qui sont moindres, une cloche, un honneur, une cérémonie, il faut célébrer l'Evangile qui est plus grand, avec cent cloches, cent honneurs, cent cérémonies.
56. Les trésors de l'Eglise, d'où le Pape tire ses indulgences, ne sont ni suffisamment définis, ni assez connus du peuple chrétien.
57. Ces trésors ne sont certes pas des biens temporels ; car loin de distribuer des biens temporels, les prédicateurs des indulgences en amassent plutôt.
58. Ce ne sont pas non plus les mérites de Christ et des saints ; car ceux-ci, sans le Pape, mettent la grâce dans l'homme intérieur, et la croix, la mort et l'enfer dans l'homme intérieur.
59. Saint Laurent a dit que les trésors de l'Eglise sont ses pauvres. En cela il a parlé le langage de son époque.
60. Nous disons sans témérité que ces trésors, ce sont les clefs données à l'Eglise par les mérites du Christ.
61. Il est clair en effet que pour la remise des peines et des cas réservés, le pouvoir du Pape est insuffisant.
62. Le véritable trésor de l'Eglise, c'est le très-saint Evangile de la gloire et de la grâce de Dieu.
63. Mais ce trésor est avec raison un objet de haine car par lui les premiers deviennent les derniers.
64. Le trésor des indulgences est avec raison recherché ; car par lui les derniers deviennent les premiers.
65. Les trésors de l'Evangile sont des filets au moyen desquels on pêchait jadis des hommes adonnés aux richesses.
66. Les trésors des indulgences sont des filets avec lesquels on pêche maintenant les richesses des hommes.
67. Les indulgences dont les prédicateurs vantent et exaltent les mérites ont le très grand mérite de rapporter de l'argent.
68. Les grâces qu'elles donnent sont misérables si on les compare à la grâce de Dieu et à la piété de la croix.
69. Le devoir des évêques et des pasteurs est d'admettre avec respect les commissaires des indulgences apostoliques.
70. Mais c'est bien plus encore leur devoir d'ouvrir leurs yeux et leurs oreilles, pour que ceux-ci ne prêchent pas leurs rêves à la place des ordres du Pape.
71. Maudit soit celui qui parle contre la vérité des indulgences apostoliques.
72. Mais béni soit celui qui s'inquiète de la licence et des paroles impudentes des prédicateurs d'indulgences.
73. De même que le Pape excommunie justement ceux qui machinent contre ses indulgences,
74. Il entend à plus forte raison excommunier ceux qui, sous prétexte de défendre les indulgences, machinent contre la sainte charité et contre la vérité.
75. C'est du délire que d'exalter les indulgences du Pape jusqu'à prétendre qu'elles délieraient un homme qui, par impossible, aurait violé la mère de Dieu.
76. Nous prétendons au contraire que, pour ce qui est de la coulpe, les indulgences ne peuvent pas même remettre le moindre des péchés véniels.
77. Dire que Saint Pierre, s'il était Pape de nos jours, ne saurait donner des grâces plus grandes, c'est blasphémer contre Saint Pierre et contre le Pape.
78. Nous disons au contraire que lui ou n'importe quel pape possède des grâces plus hautes, savoir : l'Evangile, les vertus, le don des guérisons, etc...(d'après 1 Cor. 12).
79. Dire que la croix ornée des armes du Pape égale la croix du Christ, c'est un blasphème.
80. Les évêques, les pasteurs, les théologiens qui laissent prononcer de telles paroles devant le peuple en rendront compte.
81. Cette prédication imprudente des indulgences rend bien difficile aux hommes même les plus doctes, de défendre l'honneur du Pape contre les calomnies ou même contre les questions insidieuses des laïques.
82. Pourquoi, disent-ils, pourquoi le Pape ne délivrent-ils pas d'un seul coup toutes les âmes du Purgatoire, pour les plus justes des motifs, par sainte charité, par compassion pour leurs souffrances, tandis qu'il en délivre à l'infini pour le motif le plus futile, pour un argent indigne, pour la construction de sa basilique ?
83. Pourquoi laisse-t-il subsister les services et les anniversaires des morts ? Pourquoi ne rend-il pas ou ne permet-il pas qu'on reprenne les fondations établies en leur faveur, puisqu'il n'est pas juste de prier pour les rachetés.
84. Et encore : quelle est cette nouvelle sainteté de Dieu et du Pape que, pour de l'argent, ils donnent à un impie, à un ennemi le pouvoir de délivrer une âme pieuse et aimée de Dieu, tandis qu'ils refusent de délivrer cette âme pieuse et aimée, par compassion pour ses souffrances, par amour et gratuitement ?
85. Et encore : pourquoi les canons pénitentiels abrogés de droit et éteints par la mort se rachètent-ils encore pour de l'argent, par la vente d'une indulgence, comme s'ils étaient encore en vigueur ?
86. Et encore : pourquoi le Pape n'édifie-t-il pas la basilique de Saint-Pierre de ses propres deniers, plutôt qu'avec l'argent des pauvres fidèles, puisque ses richesses sont aujourd'hui plus grandes que celles de l'homme le plus opulent ?
87. Encore : pourquoi le Pape remet-il les péchés ou rend-il participants de sa grâce ceux qui par une contrition parfaite ont déjà obtenu une rémission plénière et la complète participation à ces grâces ?
88. Encore : ne serait-il pas d'un plus grand avantage pour l'Eglise, si le Pape, au lieu de distribuer une seule fois ses indulgences et ses grâces, les distribuait cent fois par jour et à tout fidèle ?
89. C'est pourquoi si par les indulgences le Pape cherche plus le salut des âmes que de l'argent, pourquoi suspend-il les lettres d'indulgences qu'il a données autrefois, puisque celles-ci ont même efficacité ?
90. Vouloir soumettre par la violence ces arguments captieux des laïques, au lieu de les réfuter par de bonnes raisons, c'est exposer l'Eglise et le Pape à la risée des ennemis et c'est rendre les chrétiens malheureux.
91. Si, par contre, on avait prêché les indulgences selon l'esprit et le sentiment du Pape, il serait facile de répondre à toutes ces objections ; elles n'auraient pas même été faites.
92. Qu'ils disparaissent donc tous, ces prophètes qui disent au peuple de Christ : "Paix, paix" et il n'y a pas de paix !
93. Bienvenus au contraire les prophètes qui disent au peuple de Christ : "Croix, croix" et il n'y a pas de croix !
94. Il faut exhorter les chrétiens à s'appliquer à suivre Christ leur chef à travers les peines, la mort et l'enfer.
95. Et à entrer au ciel par beaucoup de tribulations plutôt que de se reposer sur la sécurité d'une fausse paix.