On est ce que nous mangeons.
«Dis moi ce que tu manges et je te dirais ce que tu es.»Brillat-Savarin.
Le célèbre mot du cuisinier et théoricien culinaire que fut Brillat-Savarin trouve son écho philosophique dans le jeu de mot non moins célèbre du philosophe matérialiste allemand Ludwig Feuerbach: «Man ist was man isst» ! (On est ce qu'on mange) Feuerbach a voulu ainsi donner une touche humoristique à sa profession de foi matérialiste. Le matérialisme philosophique est une doctrine qui réduit l'ensemble des aptitudes humaines à des processus physico-organiques et bio-chimiques, la conscience n'étant qu'un épiphénomène du cerveau. Ce qui précisément est intéressant dans le jeu de mot ontologico-alimentaire de Feuerbach, c'est qu'implicitement il tend à ridiculiser la doctrine matérialiste. De fait, si le matérialisme avait raison, l'être humain pourrait véritablement se réduire à la somme des éléments qu'il consomme. Et du coup, un matérialiste conséquent n'a plus le droit de se moquer du «bon sauvage» qui ingurgite le livre qu'on lui offre, croyant ainsi s'intégrer la connaissance qui y est contenue. Il ne devrait pas plus s'indigner de la pratique anthropophagique du « sauvage» moins sympathique, ce dernier pensant s'approprier ainsi l'intelligence de sa victime.. .Et que dire de la théorie de l'anthropologue anglais Spencer qui pensait que l'homme était le descendant d'une lignée de singes devenus plus intelligents que les autres dont ils avaient pour habitude de manger la cervelle! La gastronomie anglaise a aussi engendré d'autres cauchemars bien plus intéressants à l'image du Dracula de Bram Stocker ou du Docteur Jekill et Mister Hyde de Stevenson.. .Mais quand on voit ce que la bonne gastronomie française a fait écrire à l'auteur du «Ventre des philosophes », on peut parfois se dire que l'indigestion a du bon! Indiscutablement, en Asie le rapport à l'alimentation est beaucoup plus sain autant sur le plan physique que mental. Dans l'énergétique chinoise, la diététique tient une place de premier choix. Les Chinois ont compris bien avant les Européens que l'alimentation était d'une importance vitale pour la santé sans tomber pour autant dans la caricature matérialiste. La diététique chinoise s'appuie sur la théorie du Yin et du Yang qui prône la recherche de l'équilibre entre les deux énergies complémentaires. Sur le plan alimentaire le Yin correspond au fluide, au froid et à l'amer tandis que le Yang correspond au consistant, au chaud et au salé. Sur le plan physiologique le Yin correspond au tempérament calme et peu actif, tandis que le Yang correspond au tempérament nerveux et hyperactif. Ainsi, du point de vue de la diététique chinoise, il vaut mieux privilégier les aliments Yang pour la personne de type Yin et les aliments Yin pOlir celle de type Yang. De façon plus générale, il vaut mieux manger Yang en hiver qui est la saison Yin et Yin en été qui est la saison Yang. Enfin, les aliments Yin préviennent les maladies Yang comme l'hypertension et les aliments Yang les maladies Yin comme l'anémie. En Chine il y a des restaurants thérapeutiques où vous choisissez vos plats en fonction de votre identité énergétique et de vos éventuels problèmes de santé. Et contrairement à la diététique occidentale qui se fait au détriment du bon goût, la diététique chinoise à l'immense avantage de joindre harmonieusement l'utile à l'agréable. Ainsi plutôt que de s'acharner à supprimer la graisse indiscutablement indispensable au bon goût, la gastronomie asiatique privilégie le recours à l'oignon qui absorbe naturellement l'excédent de graisse. La philosophie alimentaire asiatique est hostile à toute forme de régimes « draconiens» qui pour la plupart du temps résolvent un problème en en suscitant un autre. Et n'oublions jamais avec Rabelais que le plaisir de la table est déjà en soi thérapeutique!
Jean-Luc Berlet
Banquet dans le jardin de lespédèzes
vers 1790
Auteur Shunshô Katsukawa