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Ce que la guerre permet de penser   (café-philo du 28 mars 2007)
« La Première Guerre Mondiale est l’évènement décisif de l’histoire du XXème siècle. C’est elle qui a décidé de son caractère général, qui a démontré que la transformation du monde en un laboratoire actualisant des réserves d’énergies accumulées durant des milliards d’années devrait forcément se faire par voie de guerre. »    Jan Patocka

Le philosophe tchèque Jan Patocka  a élaboré une pensée très subtile à partir de sa réflexion sur la Première Guerre Mondiale dans ses Essais hérétiques sur la philosophie de l’Histoire. Il a été lui-même une victime de la Troisième Guerre Mondiale, car ce sont les services secrets communistes tchèques qui l’ont assassiné après de longues tortures…Mais Patocka a préféré la mort plutôt que la dénonciation de ses amis du mouvement démocratique  « Charte 77 ». Patocka a compris tout ce que la guerre moderne avait de proprement apocalyptique. Pour la première fois de l’Histoire, avec la Première Guerre  Mondiale, nous avons un conflit  d’ordre proprement métaphysique. Car aucune des causes avancées pour expliquer cette guerre complètement suicidaire pour l’Europe ne sont vraiment convaincantes. C’est d’ailleurs l’horreur absurde de cette guerre fratricide qui a inspiré à Freud son hypothèse géniale de la pulsion de mort. Car Freud a eu a soigner des rescapés autrichiens du front  avec la gravité du traumatisme qu’une telle expérience implique. Tout se passe comme si le vertige nihiliste de l’anéantissement s’était alors emparé des principaux dirigeants politiques et militaires de l’époque. On retrouve de tels accents apocalyptiques et nihiliste dans le témoignage poignant du front par Ernst Jünger dans Orages d’acier. L’avènement de Hitler et la Seconde Guerre Mondiale était d’ailleurs en gestation dans les charniers de Verdun. Le psychanalyste Erich Fromm relate que le caporal Hitler aurait été surpris en train de humer l’odeur d’un cadavre sur le front de 14-18, preuve flagrante de sa nécrophilie…
Patocka a vu que la guerre était la manière la plus efficace pour manifester la puissance emmagasinée. En prolongeant son idée, je rattache le phénomène moderne de la guerre totale à ce que j’appelle le complexe de Dieu, cette tendance métaphysique de l’être humain à aspirer au pouvoir absolu. Tout se passe comme si ne pouvant pas rivaliser avec Dieu dans la créativité, l’homme moderne prométhéen se serait tourné vers la destructivité la plus radicale pour se donner l’illusion enivrante d’être devenu une sorte de Dieu. L’arme nucléaire n’a fait qu’accroître ce délire de toute puissance par voie apocalyptique. Il est probable que la capacité de détruire plusieurs fois la planète par l’arsenal nucléaire procure une jouissance d’orgueil incomparable aux dirigeants qui ont la possibilité d’appuyer sur le fameux bouton rouge…Le Nord-coréen Kim Jong Il et l’Iranien Ahmadinejad pourraient en témoigner !
En définitive, la guerre est ce qui permet le mieux de penser le Mal. Car c’est à l’occasion de la guerre que les deux « axes » prioritaires du Mal s’expriment avec l’efficacité diabolique la plus grande : l’orgueil le plus démesuré et la cruauté la plus gratuite…Et je crois qu’il est difficile de pas croire en l’existence du Diable quand on revient d’une guerre ! 
    
Bibliographie : Jan Patocka, Esais hérétiques  sur la philosophie de l’Histoire           
Ernst Jünger, Orages d’acier
Sigmund Freud, Essais de psychanalyse :Eros et Thanatos
 
                                          Jean-Luc Berlet
Illustration Marcel Gromaire ; La guerre
Tag(s) : #Textes des cafés-philo

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