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L’homme serait-il, par hasard, une nécessité ?
(Réponse aux questions : Quelle est la nécessité de la présence de l’homme dans la nature ? Et quel rôle peut-il se donner ? posées par Sandra sur le site du café des Phares, cf. « Forums en ligne », sujet : « La nature a-t-elle besoin de l’homme ? »)

La réponse dépend de qui a « créé » l’homme, s’il l’a été intentionnellement, et avec ou sans projet.
S’il a été créé par la nature, hypothèse matérialiste la plus vraisemblable pour un athée, est-il tout simplement le fruit de mutations génétiques aléatoires survenues au fil de l’évolution, ou bien d’un destin inscrit dans une nécessité ?
« Il faut tenir le hasard pour un dieu et les dieux pour moins puissants que le hasard » (Euripide), « la seule divinité raisonnable, je veux dire le hasard » (Camus)
Mais le hasard, seul, ne mène nulle part. En biologie, comme chacun sait, il est associé à la nécessité. Dans le fameux livre de Jacques Monod, j’ai découvert, étonné, sous la plume d’un savant une convergence troublante entre science matérialiste et pensée spirituelle : « L’évolution elle-même paraît accomplir un "projet", celui de prolonger et d’amplifier un "rêve" ancestral ». En effet, parmi les mutations, accidents singuliers et imprévisibles, qui se produisent dans la structure de l’ADN, l’organisme opère une sélection « implacable » : « Les seules mutations acceptables sont celles qui ne réduisent pas la cohérence de l’appareil téléonomique [de l’organisme], mais plutôt le renforcent encore dans l’orientation déjà adoptée ou, et sans doute bien plus rarement, l’enrichissent de possibilités nouvelles. »
Voilà de quoi interroger notre no future post-moderne : le vivant, lui, aurait donc un projet, un but ! Un programme fonctionnerait selon une finalité interne, cf. La logique du vivant de François Jacob. Des théories plus récentes retrouvent l’évolution-sélection naturelle, cf. Ni Dieu ni gène. Pour une autre théorie de l'hérédité de J.-J. Kupiec et P. Sonigo : supposons qu’un milliard de skieurs dévalent une pente les yeux bandés, il s’en trouvera un ou deux qui éviteront tous les arbres. Mais, quoi qu’il en soit, les organismes vivent sous l’emprise de la nécessité : celle d’obéir aux contraintes d’une « structure » ou d’un « système », ou bien celle de l’adaptation à un environnement.
Si elle fut le fruit du hasard, l’apparition elle-même de la vie sur terre relève pratiquement du miracle. Exemple d’image utilisée pour illustrer ce hasard exceptionnel : elle avait autant de probabilité qu’un singe, en tapant sur une machine à écrire, en aurait de produire l’oeuvre intégrale de Shakespeare... De même pour la formation de la Terre dans le système solaire. Mais un tel hasard peut-il encore servir d’explication ? D’après Raymond Aron, « un hasard (au sens matériel) est souvent l’exécuteur de la nécessité. » Nous y avons recours pour interpréter des faits que nous n’attendions pas et que nous ne comprenons pas.
Une pensée complexe, dite systémique, exclut qu’il soit le principe premier de l’histoire de la nature et, plus généralement, de l’univers. Celui-ci constituerait un « système » global dont tous les événements sont en corrélation entre eux et où la causalité agit d’une manière circulaire, non localisée. Une capacité d’auto-organisation de la matière, existant potentiellement d’après les lois de la thermodynamique, peut donc se réaliser dans ce système. De plus, le processus est irréversible. Ainsi, le prétendu hasard n’est plus qu’une fausse raison pour ne pas chercher d’explication... C’est aussi la fin du mythe du désordre organisateur, de l’indétermination et de la liberté absolues, et d’une certaine complaisance envers l’entropie.
Cette pensée implique l’existence d’une téléologie dans la nature, qui rend impossible une pensée purement mécaniste. Pour certains scientifiques, il existe des lois universelles qui déterminent le vivant et que l’on ne connaît pas encore.
« Il n'y a pas de hasard, il n'y a que des rendez-vous. » (Paul Eluard)
C’est ainsi que l’homme est apparu sur terre. Sa nécessité était donc inscrite dans une « histoire » de la nature. Mais cela suffit-il pour répondre à ta question ?
La nécessité ainsi établie reste strictement matérialiste. Une pensée scientifique, qu’elle soit déterministe ou probabiliste, mécaniste ou finaliste, ne peut pas attribuer d’intention ni de sens à l’existence de l’univers, à l’apparition du vivant, à l’évolution des espèces, à la présence de l’homme sur terre.
Il est vrai que la pensée systémique est facilement récupérable pour spiritualiser la nature. Contre le matérialisme dogmatique, cette science post-moderne semble cautionner l’idée qu’il existerait une intelligence de la matière, que l’Univers aurait une essence. Mais il s’agit d’un glissement sémantique qui fait prendre des causes pour des raisons. Une cause, qu’elle soit linéaire ou circulaire, appartient toujours au le monde matériel : une vitesse excessive a provoqué tel accident, et admettons que celui-ci déclenche une tornade dans le Middle West. Une raison fait intervenir une intentionnalité, un sens, une subjectivité : supposons que le chauffard ait tenté ainsi de se suicider.
Le hasard, « c'est peut-être le pseudonyme de Dieu quand il ne veut pas signer » (Théophile Gautier), « c'est le nom que Dieu prend quand il ne veut pas qu'on le reconnaisse » (Einstein)
Considérons donc comme acquise l’existence d’une téléologie matérialiste. Mais une question demeure : l’homme a-t-il été créé pour quelque fin que ce soit ?
La nature ne nous répondra pas car elle est muette. Si Baudelaire y entend « parfois sortir de confuses paroles », elle n’a jamais dicté de commandements sur le mont Sinaï. Et comment lui attribuer une intention ? Sa définition pourrait être « ce que l’homme n’a pas créé », elle représente surtout pour lui une étrangeté. Alors, c’est quand même plus facile d’espérer avec « Dieu ». Voilà un recours fiable pour trouver une nécessité spirituelle à l’apparition de l’homme. Il permet d’affirmer que celui-ci est le produit d’une volonté, et non des moindres, celle de son Dieu Créateur ! Certains religieux ayant le sens du compromis acceptent les mutations génétiques et pensent qu’elles sont dirigées par une puissance supérieure. Une évolution intelligente, en somme, a conduit de la bactérie à l’homme par un saut qualitatif. Ce dernier est une création divine supérieure, seul être de l’Univers pourvu d’un esprit et d’une âme et... pouvant croire en son Créateur.
Mais « Dieu », s’il garantit que la Vérité existe, nous invite surtout à la chercher. Face au grand mystère de la raison de son existence, l’homme peut tout s’interdire, faire acte de contrition perpétuelle pour s’excuser d’être là. Ou bien tout s’autoriser, se sentir légitime dans ce qu’il est et dans tout ce qu’il fait. Et même se sentir investi de missions, pourquoi pas celle de faire l’histoire de la nature ! Quand bien même il en modifie le cours et provoque ruptures et catastrophes, celles-ci en seront l’aboutissement, elles réaliseront son sublime destin. « Dieu » ayant créé l’homme comme acteur de l’histoire, son être profond, ses actes, y compris les plus déments, s’inscriront pleinement dans cette ébouriffante aventure. Question : qui sera responsable du résultat, « Dieu » ou sa créature ? « Il » semble avoir laissé celle-ci bien seule pour assumer une tâche aussi écrasante...
Il existe une troisième voie : l’homme peut aussi bien se légitimer tout seul. Il ne lui est pas absolument nécessaire de chercher une caution auprès d’une instance divine. Que l’homme soit légitimé par « Dieu » ou par lui-même, cela change-t-il quelque chose ? Et a-t-il besoin de se poser la question ? Créateur absolu de lui-même, il peut tout simplement se prendre pour Dieu. Et se donner par ex. une mission hégélienne : réaliser l’avènement de la Raison sur terre, équivalente d’une Providence divine.
Mais tous les humbles mortels, que nous sommes, ne veulent pas se prendre pour des démiurges. Seul au monde, sans « Dieu », l’homme peut-il se croire nécessaire sans être immédiatement ridicule ? Peut-il croire, en toute lucidité, qu’il décide de sa posture ontologique, et qu’il la décide seul, en étant juge et partie ? Ou bien il croit en Dieu, ou bien il est contingent. Il peut prétendre écrire son Histoire, se confronter aux mystères du réel, chercher à se dépasser. Peut-être existe-t-il, comme l’a imaginé Hegel, une téléologie de l’esprit humain : l’homme comme agent des ruses de la raison, pourquoi pas, mais dans l’immanence. Au-delà, son auto-légitimation ne fait pas le poids. A défaut d’avoir foi en Dieu, et même si cela ne se choisit pas..., il peut avoir foi en lui-même, mais comme le baron Münchhausen se tirant lui-même par les cheveux pour sortir la tête hors de l’eau.
Dans la pensée de J.-P. Sartre, notre incomplétude, notre défaut d’être fondamental a été qualifié de « néant ». Dommage... le célèbre philosophe a raté le concept d’inconscient de son contemporain Lacan. Ce néant, assure-t-il, nous condamne à être libre et, en même temps, nous rend absolument libre. L’existentialisme serait-il donc l’art de faire de nécessité vertu ? Avec ni plus ni moins de fondements que la méthode Coué. Non pas vouloir guérir, mais s’imaginer guéri. « Tous les jours et à tous points de vue, je vais de mieux en mieux », telle est la phrase qu’Emile Coué nous invite à répéter soixante fois par jour. Philosopher aussi peut être auto-hypnotique.
Pour certains philosophes, ce n’est plus l’homme qui est au centre, mais la nature, cf. le « contrat naturel » de Michel Serres. Mais quoi qu’il fasse, elle s’en sortira de toute façon, avec ou sans lui. Les désordres climatiques qu’il provoque ou amplifie doivent l’inquiéter pour lui-même, et rien de plus. Alors, quelle est la place de l’homme dans l’histoire de la nature ? Jusqu’ici, le Déluge, les éruptions volcaniques, les chutes de météorites géantes, sans parler du Big Bang, ont « fait l’histoire » plus que lui.
Alain Parquet
Tag(s) : #Textes des cafés-philo

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