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« Ceux qui voient les choses trop exactement ne les voient donc pas exactement. »

Paul Valéry, Mauvaises Pensées et autre.

Cette petite formule, sans doute un peu plate, présente l’intérêt d’un postulat de départ, imposé : qu’on la voie ou non, que l’on soit en accord ou non avec une telle affirmation, il existe une beauté des choses. Or certains ne « la » voient pas, considérant plutôt les choses telles qu’elles sont, soit ni belles ni laides ; quand d’autres ne voient que la gravité ou tristesse des choses, de la vie dans son ensemble. Cette beauté des choses nous précéderait-elle ? Est-ce nous qui passerions à côté d’elle quand nous ne la voyons pas ? Kant ne nous a –t-il pas expliqué dans sa Critique de la faculté de juger que « le beau est ce qui plaît universellement sans concept », donc subjectif ? Le sujet ici invite plutôt à considérer le contraire : la beauté est. 

Nous pouvons être en désaccord sur ce que nous estimons être la beauté, et sur son endroit, mais il serait toujours possible de saisir la beauté des choses, quelque soit son contenu ou la forme que nous lui donnons. C’est supposer qu’elle est affaire de regard, un regard à ajuster, une disposition intérieure à être, une réceptivité au rendez-vous… Nous serions ainsi créateurs de la beauté (comme de la laideur ou de l’indifférence) de ce qui nous entoure. C’est donner à chaque Homme une grande responsabilité : celle de la valeur qu’on accorde à ce que nous percevons, toujours à partir d’un état intérieur. Tantôt optimiste, rêveur, plein d’espérance ; tantôt méfiant, chagrin, nostalgique, désabusé… Laurent Gounelle, auteur d’un best-seller en ce moment (traduit en 10 langues), témoigne de son expérience intérieure dans son récit, L’homme qui voulait être heureux : curieux de rencontrer un vieux guérisseur dont il a entendu parler sur l’île de Bali, où il passe ses vacances, l’auteur va se trouver malgré lui engagé dans une découverte de lui-même, du Soi, libéré des croyances inconscientes qui l’empêchent d’être heureux. Dans un extrait du livre, le guérisseur, en véritable thérapeute, explique à son patient, sidéré, convaincu de sa laideur, cause de sa solitude, que « les autres nous voient comme nous nous voyons nous-mêmes »… De la même façon, la croyance en la malchance s’interpose entre nous-mêmes et l’extérieur, tel un miroir déformant, qui nous fait voir la laideur des choses. Inversement, la foi, l’espérance, l’optimisme opèrent un tri sélectif dans ce qui est perçu de l’extérieur de manière à attirer, ou susciter chez autrui la même disposition intérieure. Nous devenons en résumé, pour ainsi dire, les créateurs de notre propre réalité… C’est la divinité de l’Homme, ou son potentiel créateur, préféreront les athées. Sans verser pour autant dans le mythe de la toute-puissance de la pensée, cette dernière possède véritablement une efficacité, mimétique, sur ce qui nous entoure (dans une relative proximité). C’est alors se délivrer d’un fardeau terrible, celui du sentiment d’impuissance, de fatalité, que nous ressentons quand nous oublions cette vérité profondément intime. 

En d’autres termes, pour pouvoir éprouver la beauté des choses, il faut qu’il y ait une rencontre. Un point de contact entre une disposition intérieure en accord avec soi-même, une connaissance de nous-mêmes, et un élément extérieur qui y répond, comme par reflet. Les plus spirituels d’entre nous expérimentent la beauté des choses à travers l’expérience décrite par Jung de synchronicité : rencontre ou coïncidence entre une intention de l’esprit et une réalité physique, extérieure à nous. Appeler cela le hasard, ne serait-ce pas l’asile de l’ignorance ? N’est-ce pas nier que tout est lié dans l’univers, que tout fait Un ? Plus qu’une superstition, ne s’agit-il pas d’un refus du pouvoir créateur de notre esprit, plus responsable qu’il n’y parait ? Les transmissions de pensée, les opportunités incroyablement bienvenues, « le kaïros » des Grecs a toujours été. Si nous considérons que tout est lié, qu’il existerait une sorte d’Ame du monde, alors notre âme, à chacun de nous, est reliée à un grand Tout. D’où une communication des consciences, voire même des inconscients, qui favorise ou freine nos aspirations. Nos pensées marquent le réel d’une empreinte, pour le meilleur comme pour le pire. C’est aussi, et surtout, la marque de notre pouvoir créatif, au sens dionysiaque où l’entendait Nietzsche. Nous nous sentons tous isolés, individuellement distincts et séparés ; « en fin de compte, tout est esprit », conclut Deepak Chopra, dans Le livre des coïncidences. Il conçoit l’âme comme un observateur au milieu de l’observation, qui sait, non sujette au changement.

« Vous réalisez qu’une partie de vous est localisée et qu’une autre, étant non localisée, est reliée au tout. Vous vivez pleinement votre inséparabilité à tout ce qui existe. (…) Cette conscience divine vous permet de voir la présence de Dieu en toute chose. (…) Vous voyez que le monde entier est une projection de votre propre soi. ». Ces mots de Deepak Chopra résument la beauté des choses, que nous avons la possibilité de nier, ou d’accueillir…

Café philo  du 25 mai 2010

Sabine Le Blanc


« Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie. » 

 Lautréamont


La beauté des choses, c’est d’abord le titre d’un film américano-suédois de Bo Widerberg mort-né lors de sa sortie le 23 mars 2005, n’ayant jamais vu le jour en salle obscure…C’était l’histoire d’amour caché entre Viola, une prof de 37 ans marié à un alcoolique et Slig son jeune élève de 15 ans…Ce film avorté me donne tout de même une première piste de réflexion. Et si la beauté des choses c’était tout simplement la fleur de l’âge, l’innocence et la fraîcheur du blé en herbe…Une chose n’est-elle pas la plus belle quand elle vient de sortir de sa matrice industrielle comme le veau qui sort du ventre de la vache ? Le Pop art n’est-il pas la forme artistique qui exalte cette beauté des choses dans leur nouveauté rutilante à la sortie des unités de fabrication ?

Cette allusion au monde de la production industrielle m’amène à ma seconde piste de réflexion qui passe par l’ergonomie qui est une science centrée sur la beauté des choses. On a largement démontré l’importance de la démarche ergonomique et les bénéfices que sa mise en œuvre est susceptible d’engendrer. Cependant, une telle démarche ne peut être menée indépendamment de considérations sur le design qui prend de plus en plus d’importance dans les produits de consommation d’aujourd’hui. A la base du design, il y a l’idée que les belles choses donnent envie d’être utilisées. Dans son ouvrage, Emotion and design (2002), l’auteur américain Donald Norman exprime l’idée forte selon laquelle l’utilisabilité des produits serait considérablement augmentée par leur niveau esthétique. Bref, tout se passe comme si la beauté des choses serait aussi une garantie de leur rentabilité, le beau jouissant dans notre société d’un prestige de plus en plus grand.

A bien des égards,  la peinture a toujours été l’art qui avait pour vocation de nous révéler la beauté cachée des choses comme l’a admirablement montré Heidegger dans son analyse de l’œuvre de Van Gogh Les souliers de paysan. Cependant, Walter Benjamin a compris qu’avec l’avènement de la photographie, la peinture avait une dangereuse concurrence dans sa « mission » de nous révéler la beauté des choses. La célèbre « aura » de Benjamin n’est-elle pas saisie plus efficacement par l’instantanéité de la photo que par le travail de la peinture ? Et aujourd’hui n’est-ce pas le cinéma, le Septième art qui est devenu le principal medium de la beauté des choses ?     

 JL Berlet.

 


Pour parler de la beauté nous pouvons employer des périphrases, dire quelque chose autour de la beauté. Quand nous disons; «c’est de toute beauté», nous disons que cela participe de la beauté, cela à avoir avec la beauté, mais ce n’est pas encore la beauté.  

Une beauté, une chose belle est quelque chose qui incarne, montre quelque chose de la beauté. Pour pouvoir dire que quelque choses est beau, il faut avoir une certaine idée de la beauté elle-même. Dans la même temps quand nous parlons de quelque chose de beau c’est parce que nous savons ce qu’est la beauté. La beauté n’est pas relative, nous savons ce que c’est. Si nous parlons de beauté, il est évident que cette chose ne peut être relative au goût de chacun. Le joli, lui, est relatif, il dépend des personnes est des moments. Le beau est une autre affaire.

Si la beauté n’est pas selon les goûts, les jugements de chacun, elle n’est pas non plus ailleurs. La beauté comme le sens, le sens du beau apparaissent au moment même ou on les perçoit. Ils ne sont pas caché. Pour qui seraient-ils visible? Les anges!

Si la beauté existe, et elle existe, il faut quelle soit sensible, perceptible. Quand nous parlons de beauté nous ne parlons pas de quelque chose qui va au-delà de ce qui nous est donné immédiatement. La beauté n’est pas subjective, elle ne dépend pas du jugement de chacun. Elle n’est pas plus objective, au sens ou je ne peut pas dire la beauté c’est ça. 

«Aujourd’hui est une belle journée, il fait beau». Pourquoi disons nous il fait beau? Parce que c’est agréable, nous aimons la chaleur, nous préférons le soleil à la pluie. Mais la pluie peut-être belle. La mer est belle qu’elle soit d’encre ou démontée par la tempête. Ce qu’il y a de commun dans cette appréhension du beau? Cela nous plait. Quelque chose que nous appelons le beau fait naître en nous un désir. Vers quoi sommes nous attiré? Rien.

Le beau éveille en nous un attrait, un désir plus fort que le simple plaisir, un désir qui ne satisfait pas l’objet. Une partie d’échec, une démonstration mathématique est belle et pourtant nous ne pouvons la posséder. 

Michelangelo-Caravaggio-Narcisse.jpg

Un tableau du Caravage peint en 1595, Narcisse. Narcisse se voit dans l’eau et trouve l’image belle, c’est ce que dit le mythe dans «les métamorphoses» d’Ovide. «Connaitra-t-il la vieillesse? Il la connaitra s’il ne se connait pas». L’interprétation général du mythe; Narcisse s’est aimé lui-même. Il ne faut pas s’aimer soit même. Il ne faut pas tomber dans le narcissisme. L’histoire de Narcisse au travers la lecture du Caravage raconte autre chose. Le garçon ne s’est jamais vu lui même, il ne se connait pas. Il ne sait pas qu’il s’agit de lui. Il voit un visage, il le trouve beau, d’une beauté qu’il désire, une beauté t-elle qu’il va se perdre en elle. Narcisse n’illustre pas la complaisance avec lui-même, quand je me vois dans un miroir je sais que c’est moi qui me regarde, ce qui n’est pas le cas de Narcisse. Au moment ou Narcisse se voit dans l’eau ce regard est celui qui regarde la beauté. Il ne se contemple pas lui même, c’est le regard ouvert à la beauté qui se voit, et  qui se voyant voit un rapport à la beauté, se perd en elle pour resurgir en une fleur. Caravage représente la scène sur un plan vertical tranché, le reflet renvoie tout dans une dimension verticale, frontale pour  nous qui le regardons. Cela doit nous faire comprendre que le regard  sur le tableau est du même ordre que le regard de Narcisse sur l’image que le renvoi la surface de l’eau. Chaque fois que nous regardons quelque chose de l’ordre de l’art, de la beauté, nous nous rapportons à quelque chose qui nous emmène au delà du simple regard, du simple fait de la regarder, de la comprendre ou de la trouver agréable. Il y a quelque chose de difficile à saisir, elle demande que l’on s’y attache, qu’on la comprenne.

Quand je dis que ce qui est beau dans une belle image, une belle musique, cela nous entraîne plus loin que la seule image ou que la seule musique. Je dis quelque chose qu’en terme philosophique on appelle l’universel. La beauté vaut pour tous. Universelle ne veut pas dire suspendu quelque part dans le vide, ou elle serait universelle mais invisible, cela n’aurait pas de sens. La beauté doit être visible, elle est même le visible.

Si je dis «ceci me plait» ce jugement ne concerne que moi, «ceci est beau», je propose aux autres, comme à moi-même de se rapporter à quelque chose qui n’est pas individuel, subjectif ou relatif. Il s’agit  d’une tension, d’un désir, d’un appel vers la beauté. Ce n’est pas un appel vers quelque chose qui est ailleurs, la chose est là et c’est à nous de nous enfoncer dedans comme Narcisse dans l’eau. Le plaisir n’est pas pour nous, il est dans la chose même. La chose ne se plaît pas à elle même comme elle nous plaît à nous, elle ne se fait pas plaisir. La beauté ne peut jamais se contenter de convenir à quoi, à qui que ce soit, la convenance personnelle, les convenances aux formes d’une époque, d’une société. 

Il s’agit d’autre chose, et cette autre chose s’appelle vérité. Dans la beauté, il s’agit de la vérité. Une vérité invérifiable mais la vérité en tant que ce vers quoi nous sommes appelés, un désir qui va au delà de nous. Une phrase résume la pensée de deux auteurs grecs, Platon et Plotin, bien qu’aucun des deux ne l’ai écrite; «le beau est l’éclat du vrai».

Arthur Rimbaud commence son plus grand texte, une saison en enfer par:

«Un soir j’ai saisi la beauté sur mes genoux et je l’ai trouvé amère et je l’ai injurié…»

La beauté comme forme reçue, comme convenance, lui est insupportable. Quarante page plus loin, après être passé par la critique de ce monde de convention figées Rimbaud termine; 

«…cela c’est passé, je sais maintenant aujourd’hui saluer la beauté


 

 

Tag(s) : #Textes des cafés-philo

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