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L’artiste est-il toujours à la hauteur de son art?
« Bien qu’on ait du cœur à l’ouvrage, l’Art est long et le Temps est court ».
Charles Baudelaire

Dans cette strophe célèbre, Baudelaire fait l’aveu de l’impossibilité pour l’artiste d’être véritablement à la hauteur de son art en raison du facteur temps. L’art se veut éternel et immortel, tandis que l’artiste est un être temporel et mortel ! Du point de vue baudelairien, pour que l’artiste soit à la hauteur de son art, il faudrait qu’il soit Dieu pour ainsi dire…
Or, tout l’édifice conceptuel du christianisme repose sur l’analogie opérée par Augustin entre Dieu et l’Artiste. Selon Augustin, la Création de l’Univers est comparable à une œuvre d’art de Dieu avec l’homme comme chef d’œuvre final. Bien que stimulante intellectuellement, cette analogie entre Dieu et l’artiste pose plus de problèmes qu’elle n’en résout. En effet, si on affirme comme Augustin la perfection divine, il faut bien admettre que Dieu est le seul Artiste radicalement supérieur à son art, le monde tel qu’il est étant loin de la perfection. Le paradoxe insoutenable impliqué par cette analogie est que n’importe quel artiste humain s’avère être au moins aussi performant que Dieu, ce qui constitue l’horreur du péché d’orgueil dans la logique augustinienne…En plus, comment soutenir qu’un Dieu d’amour n’ait pas fait de son mieux dans son œuvre créatrice ? La seule réponse moralement acceptable à mon sens serait d’affirmer un peu à la manière hégélienne que Dieu a voulu laisser un espace à la créativité artistique de l’homme pour parfaire une Création volontairement inachevée…
Il se trouve que l’expression « être à la hauteur de » à avant tout une connotation morale. Et notre question soulève le problème difficile du rapport entre l’esthétique et l’éthique. A l’image de Platon associant nécessairement le Beau au Bien, les Grecs ne pouvaient pas concevoir notre idée moderne de l’artiste décadent. Face à l’évidence de « la beauté du diable », le christianisme n’aura cesse de chercher à circonscrire les artistes dans les limites fatalement trop contraignantes de la morale religieuse. Et comme par une singulière ironie du sort, les plus grands artistes de la Chrétienté sont des hommes qui ne correspondent pas vraiment au modèle moral de l’époque. Que dire de la probable homosexualité de Léonard de Vinci ou du libertinage d’Amadeus Mozart pour ne citer que ces deux géants de l’art chrétien ? La question devient plus sérieuse lorsque l’artiste adulé s’avère être un meurtrier en série à l’image du Jean-Baptiste Grenouille dans Le parfum ?
En dehors du cadre moral, on peut aussi évoquer la faiblesse psychologique de nombreux artistes de génie. Un Vincent Van Gogh, par exemple, souffrait vraisemblablement d’une schizophrénie entraînant chez lui un comportement nettement autodestructeur jusqu’à son suicide final. Alors que Van Gogh est mort dans la misère physique et psychique, son art a battu des records de prix de vente dans des enchères d’aujourd’hui, un milliardaire japonais ayant acquis son tableau des iris pour une somme astronomique. Le peintre impressionniste hollandais constitue même une figure emblématique pour soutenir l’idée que l’artiste n’est pas toujours à la hauteur de son art. Pour ma part, j’irais encore un peu plus loin en affirmant que l’artiste n’est jamais à la hauteur de son art, car il va de l’essence même de l’art de dépasser son auteur pour mériter un tel titre. Au demeurant, la culpabilité morale et le trouble psychologique sont certainement des stimulants précieux pour l’artiste, ce que Freud a remarquablement mis en lumière à travers sa notion de sublimation…

Bibliographie : Charles Baudelaire, L’art Romantique, J-L Chrétien, Le Beau et l’Effroi
Jean-Luc Berlet
(« Philosoph’art » du 21/04/07)
Tag(s) : #Textes des cafés-philo

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