« Je suis comme un milieu entre Dieu et le néant. »
(Descartes, Méditations métaphysiques)
Le néant existe-t-il ? Il est un sujet de philosophie rebattu, mais nul ne peut prétendre savoir, de son vivant donc, ce qu’il est. En parler, n’est-ce pas la seule chosae qui lui donne une existence ? Comment l’être (humain) peut-il se permettre de parler de ce qu’il n’est pas : le néant ? On peut aussi entendre le néant comme le sentiment que l’on a, comme Sartre, de la contingence, le non-sens de notre présence sur Terre. Plus étrange est l’association de ce « néant » à un charme, pour compliquer les choses, « discret ». Le charme, ce je ne sais quoi qui plaît, sans critères universels, n’est-il pas une caractéristique du Féminin ? Le néant serait-il une femme ?...
Force est de constater que l’Homme, création divine ou pas, a commencé par se matérialiser par une particule. Mais si on enlève cette particule, il ne reste plus que le néant. Nous n’aurions pas vu le jour… Que cette simple pensée puisse nous charmer ne manifeste-t-elle pas un regret, une nostalgie de l’avant ? Un état que nous n’avons pas connu, avant même notre naissance, où l’on pourrait, en y retournant, remettre les compteurs à zéro… A ce titre, le suicide pourrait incarner « le charme discret du néant » (discret pour qui ?). Plutôt qu’un acte désespéré – qui désespère surtout l’entourage, ne s’agit-il pas de la part de celui qui est tenté de mettre fin à ses jours de retourner à la virginité des choses, à un avant de ce qui le fait souffrir ? (Retour qu’il ne vivra pas, en raison même de son suicide). Un espoir, une tentation illusoire, morbide, certes, un espoir inversé, raté ; pauvre, mais espoir quand même. L’espoir, même vain, d’une renaissance à travers la mort, d’une rédemption, évoque à ce titre une destruction pour mieux se sentir vivant (même si ce n’est pas la seule et meilleure manière de le faire). Un acte créateur, qui ne peut que passer par la destruction, à l’image d’un Déluge dont Noé se sauve en créant un nouvel ordre du monde ailleurs, après la décrue.
Le charme discret du néant pourrait alors nous renvoyer à un refoulement des capacités créatrices de l’Homme. Le néant étant ici la condition préalable pour qu’il y ait un creux, une place ex-nihilo pour créer. On ne crée pas dans du plein, mais dans du vide, dans une absence d’être. Qu’est-ce d’autre que le creux qui appelle à être comblé par la vie que le Féminin ? Ventre vide d’une femme qui appelle la grossesse (le trop plein d’être), pure intériorité qui appelle en creux un comblement. Assumer le néant, discrédité, effrayant en Occident, confondu avec la mort, ce serait reconnaître un silence en nous et autour de nous, de la passivité, une irrésistible envie de s’abandonner, de lâcher prise, pour être, tout simplement (au lieu de courir après l’avoir). Descartes, dans ses Méditations, se définit comme entre Dieu et le néant. N’est-ce pas la condition de sa perfectibilité ? Si nous, être finis, avons l’idée d’infini – que nous n’avons pas créée -, alors cette idée ne peut venir que du seul être infini : Dieu. Tiraillés par notre aspiration à l’infini, sans pouvoir l’atteindre, avec notre finitude, nous pourrions seulement être, pour reprendre une formule de Maître Eckart, « capables de Dieu ». Il pointe ici le charme discret du néant, dont on pressent qu’il est toujours sur le point de se dévoiler à nous : Etre silencieux bien que présent, impassible et caché quand nous désespérons de lui et notre incapacité à percevoir son existence de manière certaine. Nous sommes alors toute notre vie écartelés entre la perte de notre origine – n’étant pas les auteurs de notre existence -, et la recherche plus ou moins frénétique de notre lieu originel.
Comment ne pas finir sur une note d’humour, face à la gravité d’un tel sujet ? L’humour, si tant est qu’il n’ait qu’une seule définition, n’est-ce pas la capacité à rire de soi-même et des autres, sans céder au mépris de l’un et de l’autre ? L’humour est ce par quoi on cherche à s’abolir, sans se blesser. « Une conduite de deuil », dit Comte-Sponville, où « il s’agit d’accepter cela même qui nous fait souffrir » ; mais pour en guérir, pour transcender ce dont on souffre joyeusement. « La seule chose que je regrette », dit Woody Allen laissant supposer un aveu nostalgique, « c’est de n’être pas quelqu’un d’autre ». C’est Pierre Desproges, annonçant son cancer : « Plus cancéreux que moi, tu meurs ! ». Enfin, c’est Pierre Dac répondant à l’énigme la plus grave qui soit de l’existence humaine : « A l’éternelle question toujours demeurée sans réponse ‘qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous’, je réponds : En ce qui me concerne personnellement, je suis moi, je viens de chez moi et j’y retourne ». Tant il est vrai que l’humour se dépasse lui-même, pour toucher des zones importantes de notre vie, pour faire vaciller des pans entiers de nos croyances et illusions…
(Descartes, Méditations métaphysiques)
Le néant existe-t-il ? Il est un sujet de philosophie rebattu, mais nul ne peut prétendre savoir, de son vivant donc, ce qu’il est. En parler, n’est-ce pas la seule chosae qui lui donne une existence ? Comment l’être (humain) peut-il se permettre de parler de ce qu’il n’est pas : le néant ? On peut aussi entendre le néant comme le sentiment que l’on a, comme Sartre, de la contingence, le non-sens de notre présence sur Terre. Plus étrange est l’association de ce « néant » à un charme, pour compliquer les choses, « discret ». Le charme, ce je ne sais quoi qui plaît, sans critères universels, n’est-il pas une caractéristique du Féminin ? Le néant serait-il une femme ?...
Force est de constater que l’Homme, création divine ou pas, a commencé par se matérialiser par une particule. Mais si on enlève cette particule, il ne reste plus que le néant. Nous n’aurions pas vu le jour… Que cette simple pensée puisse nous charmer ne manifeste-t-elle pas un regret, une nostalgie de l’avant ? Un état que nous n’avons pas connu, avant même notre naissance, où l’on pourrait, en y retournant, remettre les compteurs à zéro… A ce titre, le suicide pourrait incarner « le charme discret du néant » (discret pour qui ?). Plutôt qu’un acte désespéré – qui désespère surtout l’entourage, ne s’agit-il pas de la part de celui qui est tenté de mettre fin à ses jours de retourner à la virginité des choses, à un avant de ce qui le fait souffrir ? (Retour qu’il ne vivra pas, en raison même de son suicide). Un espoir, une tentation illusoire, morbide, certes, un espoir inversé, raté ; pauvre, mais espoir quand même. L’espoir, même vain, d’une renaissance à travers la mort, d’une rédemption, évoque à ce titre une destruction pour mieux se sentir vivant (même si ce n’est pas la seule et meilleure manière de le faire). Un acte créateur, qui ne peut que passer par la destruction, à l’image d’un Déluge dont Noé se sauve en créant un nouvel ordre du monde ailleurs, après la décrue.
Le charme discret du néant pourrait alors nous renvoyer à un refoulement des capacités créatrices de l’Homme. Le néant étant ici la condition préalable pour qu’il y ait un creux, une place ex-nihilo pour créer. On ne crée pas dans du plein, mais dans du vide, dans une absence d’être. Qu’est-ce d’autre que le creux qui appelle à être comblé par la vie que le Féminin ? Ventre vide d’une femme qui appelle la grossesse (le trop plein d’être), pure intériorité qui appelle en creux un comblement. Assumer le néant, discrédité, effrayant en Occident, confondu avec la mort, ce serait reconnaître un silence en nous et autour de nous, de la passivité, une irrésistible envie de s’abandonner, de lâcher prise, pour être, tout simplement (au lieu de courir après l’avoir). Descartes, dans ses Méditations, se définit comme entre Dieu et le néant. N’est-ce pas la condition de sa perfectibilité ? Si nous, être finis, avons l’idée d’infini – que nous n’avons pas créée -, alors cette idée ne peut venir que du seul être infini : Dieu. Tiraillés par notre aspiration à l’infini, sans pouvoir l’atteindre, avec notre finitude, nous pourrions seulement être, pour reprendre une formule de Maître Eckart, « capables de Dieu ». Il pointe ici le charme discret du néant, dont on pressent qu’il est toujours sur le point de se dévoiler à nous : Etre silencieux bien que présent, impassible et caché quand nous désespérons de lui et notre incapacité à percevoir son existence de manière certaine. Nous sommes alors toute notre vie écartelés entre la perte de notre origine – n’étant pas les auteurs de notre existence -, et la recherche plus ou moins frénétique de notre lieu originel.
Comment ne pas finir sur une note d’humour, face à la gravité d’un tel sujet ? L’humour, si tant est qu’il n’ait qu’une seule définition, n’est-ce pas la capacité à rire de soi-même et des autres, sans céder au mépris de l’un et de l’autre ? L’humour est ce par quoi on cherche à s’abolir, sans se blesser. « Une conduite de deuil », dit Comte-Sponville, où « il s’agit d’accepter cela même qui nous fait souffrir » ; mais pour en guérir, pour transcender ce dont on souffre joyeusement. « La seule chose que je regrette », dit Woody Allen laissant supposer un aveu nostalgique, « c’est de n’être pas quelqu’un d’autre ». C’est Pierre Desproges, annonçant son cancer : « Plus cancéreux que moi, tu meurs ! ». Enfin, c’est Pierre Dac répondant à l’énigme la plus grave qui soit de l’existence humaine : « A l’éternelle question toujours demeurée sans réponse ‘qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous’, je réponds : En ce qui me concerne personnellement, je suis moi, je viens de chez moi et j’y retourne ». Tant il est vrai que l’humour se dépasse lui-même, pour toucher des zones importantes de notre vie, pour faire vaciller des pans entiers de nos croyances et illusions…
Sabine Le Blanc
CAFÉ-PHILO du 14 janvier 2009
CAFÉ-PHILO du 14 janvier 2009
« Le néant ne manque pas d’avoir du bon »
Voltaire
L’intitulé métaphorique de notre thème du soir m’incite à tenter un éloge au néant. De fait, s’il fallait prêter un charme au néant, ce serait indiscutablement celui de la discrétion. Cette tentative d’éloge du néant commence par une analyse critique de la dévalorisation systématique de l’idée de néant dans la pensée occidentale. Depuis l’avènement de la philosophie grecque avec l’exaltation de l’Etre chez Aristote jusqu’aux idéologies matérialistes du XXème siècle, l’Occident n’a eu cesse de diaboliser le néant. Il se pourrait bien que l’avènement du nazisme, qui sur le plan intellectuel représente un culte nihiliste du néant, soit la conséquence d’une réaction extrême à ce dénigrement systématique du néant par la pensée occidentale. Peut-être aussi que l’engouement collectif du peuple Allemand en faveur du nazisme n’était jamais que le débordement frénétique d’une frustration de néant trop longtemps contenue ? Le nazisme aura été l’envoûtement indiscret du néant…
Le charme discret du néant est une expression qui assurément plairait beaucoup aux bouddhistes. Comme l’a bien montré Roger Pol-droit dans son livre Le culte du néant, il y a dans le bouddhisme un éloge implicite du néant sous la forme du nirvana. Cependant, le « néant » du nirvana n’est pas le même que le néant qui effraie tant les Occidentaux. Seule la théologie négative des mystiques rhénans à l’image d’un maître Eckhardt fait exception au sein d’une culture occidentale souffrant de saturation existentielle. Le néant bouddhique est une vacuité nécessaire au repos de l’âme tandis que le néant occidental est un vide qui inflige le tourment du vertige. Or, dans le culte du néant, Pol-Droit déplore la transposition de la pensée bouddhique dans le cadre de référence occidental. Déformée par le regard occidental, le bouddhisme a été transformé en nihilisme pessimiste alors qu’il est fondamentalement une doctrine de la sérénité. Telle a été « l’erreur » tragique et certainement volontaire d’un Schopenhauer croyant trouver dans le bouddhisme la caution spirituelle de son culte nihiliste du néant. Plus tard, Cioran n’a pas hésité à se faire le chantre du néant avec des titres aussi provocateurs que L’inconvénient d’être né ou Les cimes du désespoir. De fait, devant les affres de certaines existences, on peut comme Cioran raisonnablement faire l’éloge du néant. Pour beaucoup d’êtres humains aujourd’hui, mieux eu valu ne pas exister… En tout cas avec Cioran, le charme discret du néant a trouvé son incarnation charnelle la plus réussie !
Avec sa célèbre question métaphysique « Pourquoi y a t-il quelque chose et non pas rien », Leibniz n’était pas loin d’un éloge du néant, car sa question présuppose que le quelque chose ne va pas de soi. La question de Leibniz ne pouvait naître que dans un esprit qui n’était pas convaincu que le quelque chose soir forcément bon. Mais le même Leibniz s’est empressé de déclarer plus tard que nous vivons dans le meilleur des mondes possibles, un peu comme s’il refoulait sa fascination pour le néant. Le néant est incontestablement le mal aimé de la pensée occidentale, mais c’est précisément ce statut de mal-aimé qui fait son charme. Le monde d’aujourd’hui souffre d’un trop plein de tout et aspire au calme et au repos. Le néant peut alors apparaître comme cet oreiller moelleux qui vient reposer notre esprit trop encombré. Pour une âme qui a trop vécue il n’est pas absurde d’aspirer à l’anéantissement comme à la suprême libération…Tel fut le cas du Bouddha après sa régression dans ses milliers de vie antérieures !
Bibliographie : Emil Cioran, L’inconvénient d’être né - Roger Pol-Droit, Le culte du néant
L’intitulé métaphorique de notre thème du soir m’incite à tenter un éloge au néant. De fait, s’il fallait prêter un charme au néant, ce serait indiscutablement celui de la discrétion. Cette tentative d’éloge du néant commence par une analyse critique de la dévalorisation systématique de l’idée de néant dans la pensée occidentale. Depuis l’avènement de la philosophie grecque avec l’exaltation de l’Etre chez Aristote jusqu’aux idéologies matérialistes du XXème siècle, l’Occident n’a eu cesse de diaboliser le néant. Il se pourrait bien que l’avènement du nazisme, qui sur le plan intellectuel représente un culte nihiliste du néant, soit la conséquence d’une réaction extrême à ce dénigrement systématique du néant par la pensée occidentale. Peut-être aussi que l’engouement collectif du peuple Allemand en faveur du nazisme n’était jamais que le débordement frénétique d’une frustration de néant trop longtemps contenue ? Le nazisme aura été l’envoûtement indiscret du néant…
Le charme discret du néant est une expression qui assurément plairait beaucoup aux bouddhistes. Comme l’a bien montré Roger Pol-droit dans son livre Le culte du néant, il y a dans le bouddhisme un éloge implicite du néant sous la forme du nirvana. Cependant, le « néant » du nirvana n’est pas le même que le néant qui effraie tant les Occidentaux. Seule la théologie négative des mystiques rhénans à l’image d’un maître Eckhardt fait exception au sein d’une culture occidentale souffrant de saturation existentielle. Le néant bouddhique est une vacuité nécessaire au repos de l’âme tandis que le néant occidental est un vide qui inflige le tourment du vertige. Or, dans le culte du néant, Pol-Droit déplore la transposition de la pensée bouddhique dans le cadre de référence occidental. Déformée par le regard occidental, le bouddhisme a été transformé en nihilisme pessimiste alors qu’il est fondamentalement une doctrine de la sérénité. Telle a été « l’erreur » tragique et certainement volontaire d’un Schopenhauer croyant trouver dans le bouddhisme la caution spirituelle de son culte nihiliste du néant. Plus tard, Cioran n’a pas hésité à se faire le chantre du néant avec des titres aussi provocateurs que L’inconvénient d’être né ou Les cimes du désespoir. De fait, devant les affres de certaines existences, on peut comme Cioran raisonnablement faire l’éloge du néant. Pour beaucoup d’êtres humains aujourd’hui, mieux eu valu ne pas exister… En tout cas avec Cioran, le charme discret du néant a trouvé son incarnation charnelle la plus réussie !
Avec sa célèbre question métaphysique « Pourquoi y a t-il quelque chose et non pas rien », Leibniz n’était pas loin d’un éloge du néant, car sa question présuppose que le quelque chose ne va pas de soi. La question de Leibniz ne pouvait naître que dans un esprit qui n’était pas convaincu que le quelque chose soir forcément bon. Mais le même Leibniz s’est empressé de déclarer plus tard que nous vivons dans le meilleur des mondes possibles, un peu comme s’il refoulait sa fascination pour le néant. Le néant est incontestablement le mal aimé de la pensée occidentale, mais c’est précisément ce statut de mal-aimé qui fait son charme. Le monde d’aujourd’hui souffre d’un trop plein de tout et aspire au calme et au repos. Le néant peut alors apparaître comme cet oreiller moelleux qui vient reposer notre esprit trop encombré. Pour une âme qui a trop vécue il n’est pas absurde d’aspirer à l’anéantissement comme à la suprême libération…Tel fut le cas du Bouddha après sa régression dans ses milliers de vie antérieures !
Bibliographie : Emil Cioran, L’inconvénient d’être né - Roger Pol-Droit, Le culte du néant
Jean-Luc Berlet