La croix.
La croix est l’un des quatre symboles fondamentaux, le centre, le cercle, le carré. La croix établie une relation entre les trois autres. Par l’intersection de ses deux segments qui coïncide avec le centre, elle ouvre ce dernier vers l’extérieur. Elle s’inscrit dans un cercle qu’elle divise en quatre parties, elle engendre le carré et le triangle. Comme le carré elle symbolise la terre dirige vers les quatre points cardinaux elle est la base de tous les symboles d’orientation.
L’orientation totale de l’homme exige un triple accord : l’orientation du sujet par rapport à lui même, l’orientation spatiale par rapport aux points cardinaux terrestre, l’orientation temporelle par rapport aux points cardinaux céleste. L’orientation spatiale s’articule sur l’axe Est Ouest, c’est à dire le lever et le coucher du soleil tandis que l’orientation temporelle s’appuie sur l’axe de la rotation du monde, à la fois sud nord et bas et haut. La croisée réalise ainsi la croix d’orientation totale, la concordance en l’homme des deux orientations existentielle et spatiale le mettant en résonance avec le monde terrestre immanent et le monde céleste.
La croix est synthèse et mesure. De tous les symboles elle est avec le cercle le plus universel, le plus totalisant. Elle est le symbole le l’intermédiaire, du médiateur, de celui qui est par nature rassemblement permanent de l’univers. Ainsi la croix, par ses quatre branches ses quatre éléments, représente l’humanité entière, les vertus de l’âme humaine. Mais aussi c’est là le premier oxymore, les deux parties de la croix, symbole de l’intersection ciel terre, dieu homme se représente comme l’image de la synthèse l’union et de l’opposition.
La détermination symbolique des éléments de la croix n’est pas propre à la tradition chrétienne. En inde la verticale symbolise la spiritualité, la virilité, l ‘activité tandis que l’horizontale, la matérialité, la féminité, la passivité, la croix est l’union des complémentaire. En Afrique on retrouve le même sens cosmique de la croix, carrefour chemin de la vie et de la mort, elle est l’image de la destinée humaine. Le jeu de Marelle jeux universelle résume bien ce que la croix peut être en tant que représentation du monde. Pour y jouer il faut avoir un parcours en forme de croix dessiné sur le sol qui va de terre à ciel. Après avoir lancé un jeton (souvent un caillou), les joueurs progressent alors dans les différentes cases à cloche-pied, tout en évitant, les cases où se trouvent la pierre des autres joueurs, ainsi que d'empiéter sur les lignes du tracé. Le gagnant est celui qui le premier arrive à placer son jeton sur le neuf cases et à effectuer le parcours.
Le terme croix vient du mot latin crux qui a le sens de « poteau », « gibet », voire « potence ». Le terme grec pour désigner le même objet est stauros, dérivé lui de la lettre tau. La croix est un symbole en forme d'intersection, formée de deux lignes ou plus. La « région » est une zone définie par l'intersection.
Le Robert historique de la langue française donne comme définition :
Symbolique religieuse
L’usage de la croix en tant que symbole religieux remonte beaucoup plus loin que l’époque du Christ et n’est donc pas seulement d’origine chrétienne. Cela montre que la croix des Chrétiens est déjà universelle avant même l'arrivée de Jésus. On en a un exemple dans la très ancienne religion indienne. Dans la grotte d’Elephanta, on peut voir une croix au-dessus de la tête d’un personnage. Dans une autre peinture ancienne, le dieu Krishna est représenté avec six bras dont trois tiennent une croix.
Un empereur romain, Constantin le Grand devait se préparer pour une bataille lorsqu'il ressentit le besoin de recevoir l’aide des dieux. La légende raconte qu’il vit dans le ciel une lumière éblouissante en forme de croix ainsi que les mots : « Tu vaincras par ce signe ». L’ayant adopté comme étendard pour son armée, il gagne une série de victoires décisives qui firent de lui le seul maître de l’Empire romain à partir de 324 de notre ère.
Il est intéressant de noter également que la croix que Constantin dit avoir vu dans le ciel et utilisée ensuite comme son étendard militaire n’était peut-être pas la croix latine, mais le signe (Graphisme — Caractères grecs) que certains spécialistes identifient au chrisme, le monogramme du Christ (khi et rô, les deux premières lettres du mot « christ » en grec).
Quand les conquistadors espagnols envahirent les Amériques, ils furent surpris de découvrir des croix à usage religieux dans de nombreux endroits. Dans l’ouvrage Curious Myths of the Middle Ages, l’auteur Baring-Gould écrit :
La croix n’était pas un symbole utilisé par les premiers chrétiens, car ils craignaient que ce symbole soit un signe qui les livre plus rapidement encore aux terribles persécutions romaines qui ont ensanglanté les premiers siècles du christianisme. Le livre Records of Christianity déclare ; « La croix n’était pas franchement employée dans la décoration des églises. (…) Le premier symbole du Christ a été le poisson (IIe siècle) car en grec « poisson » s'écrit : IXΘYΣ, ou ichthus, acronyme dont les lettres constituent les premières lettres de Iêsous Christos Theou Uios Sôtêr, c’est-à-dire Jésus Christ de Dieu le Fils, Sauveur. De plus le poisson, comme tout bon Chrétien, a toujours les yeux ouverts et est le seul animal dont la croissance ne s'arrête jamais, à l'image de la foi du Chrétien. Sur les premières tombes sculptées, il est aussi représenté sous les traits du bon berger (IIIe siècle) . La croix ne devint pas le principal emblème et symbole de la chrétienté avant le IVe siècle
Crucifix
Crucifix est un terme issu du latin ecclésiastique du XIIe siècle crucifixus, participe passé du verbe crucifigere, qui signifie « fixer sur une croix ».
Le crucifix est un symbole chrétien rappelant la Crucifixion, c'est-à-dire le crucifiement de Jésus-Christ, mort attaché sur une croix. Un crucifix a pour l'essentiel la forme d'une croix latine, dont la barre verticale est allongée vers le bas et courte vers le haut, et pouvant porter dans cette partie supérieure le sigle INRI, acronyme de Jésus de Nazareth, Roi des Juifs. Une image de Jésus est fixée à la croix, montrant les clous dans ses mains et ses pieds et une blessure dans son côté gauche, en référence aux récits de la Passion.
Crucifiement.
Le crucifiement est une méthode de mise à mort consistant à placer le supplicié sur une croix, un support en forme de T ou un arbre et à l'attacher par divers moyens (clous, cordes, chaînes, etc.). Plusieurs variantes du supplice existent. La Crucifixion est le terme consacré en français pour le crucifiement de Jésus de Nazareth.
Antiquité.
C'était un supplice en usage chez les peuples barbares orientaux, les Perses et les Phéniciens. Alexandre le Grand en fit usage en crucifiant des milliers de prisonniers après la prise de Sidon. Les Carthaginois l'appliquèrent, notamment dans la répression de la guerre des Mercenaires. Comme l'empalement, le crucifiement est facile à mettre en œuvre, ne nécessitant que peu de préparation et a un aspect dissuasif sur les témoins de la scène.
L'Ancien Testament ne mentionne pas le crucifiement qui n'était une peine prévue par la loi juive ; la peine capitale était appliquée chez les Juifs par lapidation.
Chez les Romains cette peine est infâmante et réservée d'abord aux esclaves puis plus tard aux brigands et aux pirates, parfois aux prisonniers de guerre et aux condamnés pour motifs politiques. L'empereur romain Constantin Ier fit abolir le supplice du crucifiement en 313, après son édit de tolérance du christianisme.
Déroulement de l'exécution.
Le condamné était attaché bras écartés sur une poutre (patibulum) avec des cordages, éventuellement doublé d'un enclouage des poignets. Les pieds, encloués ou attachés, reposaient sur une console en bois fixée sur le montant vertical (stipes). Cette barre transversale était fixée, soit au sommet (crux commissa en forme de T), soit en dessous (crux immissa) de la pièce verticale fichée en terre. Le condamné peut aussi être cloué à un arbre.
La mort survient par asphyxie : dans la position du crucifié, les muscles des épaules, pectoraux et intercostaux soutiennent le corps, et se fatiguent rapidement. Or, ces muscles sont ceux qui assurent la respiration. Pour les soulager, le condamné se soulève sur ses pieds éventuellement encloués, créant une nouvelle douleur. Les muscles des jambes se fatiguent à leur tour et le corps retombe. Cette alternance entre blocage et détente respiratoire finit par créer des crampes conduisant à l'asphyxie. Pour accélérer la mort, les jambes du condamné sont brisées à la barre de fer (crurifragium). Le condamné ne peut plus alors se redresser et s'épuise rapidement.
La peine est parfois précédée de supplices préliminaires (flagellation), censés « préparer » le condamné au crucifiement, sans l'achever prématurément. Le supplicié devait ensuite porter sa croix. ou selon les sources, uniquement le patibulum jusqu'au lieu de l'exécution. On peut noter que le mot français « patibulaire », issu du mot latin « patibulum », signifie « qui mérite de porter une croix ».
Contrairement à ce que laisse penser la tradition picturale, les clous n'étaient pas enfoncés dans les paumes des mains, ce qui aurait déchiré les chairs, mais dans les os des carpes. La croix de Jésus était vraisemblablement une crux immissa puisque, selon les Évangiles, un écriteau était fixé au sommet, et relativement haute puisqu'un soldat lui donne à boire avec une éponge imprégnée de vinaigre au bout d'une branche d'hysope.
Le culte de la croix.
Dans notre aire géographique, la représentation primordiale fut celle de l'arbre « sacré », arbre au feuillage vert situé près d'un cours d'eau, symbole universel de la fécondité. L'arbre « sacré » fournissait une résidence à une divinité toute-puissante, dont l'action salvatrice s'exerçait dans le périmètre de son ombre immense. Le salut était apporté par l'eau, l'humidité, la fraîcheur que les Anciens attribuaient à la Lune. A Sumer, là où l'histoire humaine aurait commencé ( 20 ) , le dieu Lune, SIN, était vénéré comme le Père des dieux, il céda la place à sa fille, Ishtar. Dans le culte adressé au dieu Lune, la représentation de l'arbre « sacré », accompagné fréquemment du croissant lunaire, prit des formes multiples, allant du simple tronc dessiné, aux stèles phéniciennes en forme de croix, du svastika bouddhique tibétain aux caducées multiformes.
Á Rome, on distingua vite entre « arbor felix », l'arbre sacré demeure d'un dieu secourable, et « arbor infelix », l'arbre sauvage ne portant pas de fruit, dans lequel, disait-on, habitait une divinité infernale ; c'était le tronc utilisé pour l'exécution des supplices publics, dont la peine de mort réservée aux esclaves, ce que nous appelons à tort crucifixion. Pour les Romains, « crux » signifiait la peine, le chatiment, suivant la formule souvent employée « summum jus summa crux : l'extrême justice devient cruauté ». Le verbe « cruciare » signifiait supplicier. La peine de la « crucifixion » (selon le vocabulaire ecclésiastique) consistait en une lente asphyxie, provoquée par l'extrême difficulté de respirer du fait de la suspension d'un corps le long de l'arbre, réduit habituellement à un simple tronc. Les mains étaient attachées à un crochet au-dessus de la tête, le corps pendait de tout son poids, les pieds étaient fixés sur une petite pièce de bois un peu avant l'extrêmité de la longueur du corps; le supplicié, le crucifié restait exposé à la curiosité du public, pratiquement nu, sans nourriture, il mourait lorsque, trop fatigué pour se dresser sur ses jambes, il cessait de happer l'air dont il avait besoin; le supplice pouvait durer jusqu'à deux jours. La fin était parfois rapprochée par les soldats de surveillance, qui cassaient les jambes des condamnés. Lorsque, exceptionnellement, on plaçait une poutre transversale dans la partie supérieure du tronc, on enroulait les bras du supplicié autour de cette poutre, de telle sorte que son corps pendît toujours le long de la partie inférieure de l'arbre ; cas certainement rare, les textes ne permettent généralement pas de voir si on utilisait aussi des poutres transversales.
L'homme dieu des évangiles ne fut ni un esclave révolté, ni un esclave fugitif, ni un brigand armé et voleur, ni un émeutier, mais un homme sans lien de soumission à un maître, libre de ses gestes et de ses paroles, faiseur de « miracles », multipliant les guérisons et la nourriture de milliers de personnes, incitant ses auditeurs à payer l'impôt à l'Empereur romain, c'est à dire à lui obéir. Les évangiles ne contiennent aucun motif pouvant conduire la justice impériale à le condamner à mort par le supplice réservé aux esclaves.
Mais, fondamentalement, tous les cultes, avec leurs divinités différentes, leurs pratiques particulières , leurs liturgies plus ou moins complexes, tous ces cultes tendaient à répondre à une seule préoccupation immédiate, faire cesser la peur atroce des humains de ne pouvoir se nourrir suffisamment, en leur donnant l'espoir d'obtenir, par la bienveillance des dieux souverains qu'ils représentaient, la fécondité salvatrice, l'humidité, la fraîcheur de la Lune, mère de tous les dieux dans tous les pays de l'aire indo-méditerranéenne. En 451, où le Concile œcuménique de Chalcédoine introduisit, dans la doctrine de l'Eglise catholique romaine, le symbole multiséculaire de la croix, représentation millénaire de l'arbre sacré, fixant l'espoir de tous les peuples de l'Empire de récolter chaque année les grains suffisant à assurer une bonne santé, Salus, le Salut. D'ailleurs, à cette époque, une croix ne pouvait avoir que cette valeur symbolique, puisque, depuis plus de 150 ans, ce que nous appelons la « crucifixion » n'était plus utilisée, remplacée par la pendaison, châtiment mortel beaucoup plus expéditif.
L’oxymore.
Lorsque l’on parle aujourd’hui de croix et de crucifixion, l’on a peine à entendre la vraie résonnance de ces termes qui ont été émoussé par 2000 ans de symbolique chrétienne, et comte tenu de la disparition de l’usage du crucifiement comme châtiment. Il désignait le « ummun suppicium » le plus haut degré dans l’échelle des moyens répressifs.
L’attitude du monde ancien face à la crucifixion révèle la présence de tabous. Ainsi les historiens grecs et romains ont tendance à mettre en évidence les crucifiements opérés par les barbares et à passer sous silence celles ordonnées sous leur propre autorité. Les grands écrivains ont souvent eu conscience de la cruauté du châtiment du crucifiement et ont exprimé leur sentiment à ce sujet, tels Cicéron, Sénèque, mais jamais ce sentiment ne se traduisit par une conviction abolitionniste. Les gens cultivés se contentent de détourner les yeux. Á cette horreur se mêlent des connotations religieuses : l’exposition élevée du condamné fait de la croix le châtiment qui se rapproche le plus de l’archaïque sacrifice humain, et il faut compter avec les superstitions populaire prêtant un pouvoir maléfique aux mânes des condamnés à mort exécutés.
En même temps, le crucifiement répondait au besoin primitif de vengeance et à la cruauté sadique des individus au pouvoir aussi bien que des masses populaires. Bestialité inhérente au cœur de l’homme. La plupart du temps en effet elle était accompagnée d'autres formes de torture, tout au moins de la flagellation. Par des moyens relativement économiques et avec des effets sur le public. Les délinquants pouvaient être torturés d'une manière indicible et à longueur de journée. On peut avancer dans cette analyse de l’inconscient collectif de l’impérialisme romain en reprenant l’idée de Malaparte dans Kapput à propos de la bestialité des nazis ; « la race des seigneurs ». Ici la société impérial n’avait pas peur des forts, il convenu que dans cette univers là, pour préserver la dignité humaine de la majorité, il faut profaner et annihiler celle de quelques-uns ; mais cela ne peut se faire impunément, car la « crucifixion » porte avec elle une dimension sacrale, religieuse, inamovible ; profaner la dignité d’un individu en le clouant à la croix,c’est vouloir tuer la chose inconnue, alias dieu, qui selon l’hypothèse chrétienne a choisi de résider en lui. La croix menance la profanation de l’ensemble des individus. Cette conséquence insupportable est refoulée de manière à rester inconsciente. C’est Paul qui donne à la croix la portée universelle de la parole de la croix c’est lui qui s’en sert comme fer de lance pour contrer l’idéologie juive qui « demande des miracles » pour le prix de sa fidélité à la Loi, l’idéologie grecque qui recherche la sagesse comme outil de la maîtrise de sa vie et de l’idéologie romaine qui impose au monde son « oderint, dum metuant » qu’ils me haïssent pourvu qu’il me craignent. Paul découvre le fond inavouable de ces idéologies.
Si la création révèle la sagesse de Dieu, l’Incarnation et la Passion de Dieu nous disent sa folie. Dans l’antiquité, déjà, la folie se trouve insérée au cœur des mythes fondateurs de l’hellénisme. Platon, dans son fameux dialogue du Phèdre, distingue deux espèces de folies mania : celle qui vient des hommes et celle qui vient des dieux – chez celle-ci, on doit reconnaître les quatre attributs principaux, la mania poétique, la mania mystique, la mantique ou mania d’inspiration divinatoire, et la mania amoureuse, distinction reprise par la tradition grecque.
L’étude des textes bibliques fait apparaître clairement que le contexte phénoménologique de la folie est d’ordre sapiential. L’univers du fou se trouve inexorablement lié à celui du sage. La folie, de manière inexpliquée, « décharne » l’homme, animal raisonnable, de sa propre nature, pour la réduire à l’animalité, avec tout ce que cela suppose de déshumanisation. Ainsi, saisissons-nous davantage l’importance salutaire du dessein de Dieu, qui, par un processus inverse, par la folie de l’Incarnation, puis par celle de la Croix, restituera au genre humain sa dignité perdue. Le nouveau testament par l’intermédiaire de Paul, ne cesse, en effet, de souligner cet aspect révélateur de la folie d’un Dieu crucifié, produisant un renversement de valeurs et attribuant à la folie un sens positif et salutaire. Ce renversement de valeurs, opéré par l’exemple de Paul et son imitation du Christ dans sa folie : « Nous sommes fous à cause du Christ » (1 Co 4, 9-13), est à l’origine de la tradition chrétienne de la folie sainte.
L’ultime recours de « Dieu » pour ramener l’humanité dans la voie du salut et la guérir de son orgueilleuse sagesse, cause de tous ses maux, sera de la recréer par sa propre sagesse divine, qui s’incarne en son « Fils Jésus-Christ ». Afin de libérer le fou de l’absurdité de son égarement, le Fils de Dieu, est venu l’assumer en sa personne. Par son Incarnation, sa Crucifixion et sa Résurrection, il inversera la négation de cette folie destructrice à laquelle s’est voué l’homme dans sa présomption, en lui conférant un sens rédempteur. Renonçant à devenir semblable à Dieu, comme le revendiquait le premier homme Adam (Gn 3, 5).
La Croix n’est pas pour Paul une réalité abstraite, une représentation imaginaire, mais le symbole de la mort d’un homme, Jésus de Nazareth, Fils de Dieu venu apporter le salut à l’humanité entière. L’événement de la crucifixion de Jésus, dans son indéniable historicité, constitue la source et l’origine du langage véhiculé par Paul : langage sans complaisance, puisqu’en lui est ancrée toute l’infamie de l’instrument qui servit à l’exécution de Jésus. Nous constatons le double effet infamant de ce châtiment, qui met en évidence d’une part, la méchanceté et la cruauté bestiale de l’homme envers l’un de ses semblables, et d’autre part, ôte au supplicié toute dignité humaine. Juifs et Grecs, sans compassion, ne peuvent percevoir dans un Christ crucifié que scandale et folie, car croire au message d’un messie crucifié, Fils de Dieu ou Dieu, équivaudrait à donner assentiment à une contradiction cynique et inconvenante ; inacceptable provocation, surtout pour les Juifs suivant la Loi (Gal 3, 13).1
Ainsi la folie de la Croix, telle que la présente Paul, sans jamais en employer l’expression, échappe à toute espèce de docétisme qui réduirait la crucifixion à une simple simulation, à une sublime extase, voire à une sorte d’ascension intérieure vers le divin. La Croix est là, plantée devant eux avec toute son implacable cruauté destructrice, non pour qu’ils se complaisent dans une contemplation morbide, mais elle aura pour eux force de témoignage. Le langage de la Croix, qui se dispense de toute démonstration, est par excellence ce langage paradoxal, vidé de toute puissance orale, où se tait le Verbe de Dieu, et où la Parole se fait silence.
La sagesse du monde, folie aux yeux de Dieu, réunit l’humanité dans une espèce de fausse unité, que vient pourfendre et réduire à néant le langage de la Croix. La sagesse humaine échoue au pied de la Croix de Jésus. Il est vrai que ce langage centré autour de la Croix du Christ a pour effet de diviser et séparer cette sagesse humaine constituée en totalité. Il est la représentation symbolique de la rupture, il invite à une prise de décision et de position : « pour ceux qui se perdent, il est folie, mais pour ceux qui se sauvent, pour nous, il est puissance de Dieu » (1 Co 1, 18). La folie de la prédication proclamant un Messie crucifié consiste en une intervention de Dieu visant à purifier le cœur de l’homme et son intelligence, en rendant non pas la foi difficile mais en la rendant possible.
La Croix instaure, une brèche dans l’ordre chimérique façonné par l’homme, usurpant une prérogative divine pour ériger un ordre nouveau, avec l’ambition d’y manifester l’avènement d’une création nouvelle, annonçant déjà, et pas encore, la fin de la création. La nouveauté de cette création brille non par l’émergence d’un surhomme ou le retour à une humanité paradisiaque, mais par l’éclat du saint. Le saint est la marque, le signe du croyant, qui se glorifie de sa propre faiblesse, de sa pauvreté et de ses contradictions (2 Co 12, 1-16), car il sait qu’elles sont les critères authentiques par lesquels la sagesse divine choisit les fous, les insensés, tout ce qui n’est rien dans le monde. Ils sont les signes vivants de l’inversion eschatologique des valeurs et les témoins de la Vérité venue confondre la vaine gloire du monde :
Récapitulation.
La crucifixion comme châtiment a connu une expansion étonnante dans l'Antiquité. Elle apparaît sous des formes variées chez de nombreux peuples du monde ancien, même chez les Grecs. On' n'y rencontre manifestement ni le désir ni le pouvoir de l'abolir, même là où l'on était pleinement conscient de sa cruauté. Elle est donc en contradiction radicale avec le tableau idéalisateur de l'Antiquité : noble simplicité et grandeur tranquille. Á notre époque fière de son humanisme et de son progrès, mais où le recours à la peine de mort, à la torture est plutôt en croissance nous n’avons pas le doit de penser que nous avons surmonté les contradictions de l’antiquité.
Les essais de réflexion critique ou d'élaboration philosophique sur la souffrance démesurée des nombreux crucifiés sont relativement rares. C'est encore dans la prédication stoïcienne sur l'« indifférence » (apatheia) et la « vertu » (arétê) du sage que nous les rencontrons le plus souvent ; ici le tourment de celui qui mourait sur la croix pouvait éventuellement être utilisé comme une métaphore. Et alors la crucifixion devenait l'image de cette souffrance dont l'homme sage ne peut plus se délivrer que par la mort, qui détache l'âme du corps auquel elle était liée.
Paul et le langage de la croix. Ou la crucifixion et les textes.
Paul dans l’épître Galates 3,13 cite un passage du Devarim 21,23 :
Or le christ a libéré les humains de la première en ne se soumettant pas à la seconde. Le messie en s'exposant à la malédiction prononcée sur la pendaison au bois et en la transgressant, annule non seulement la portée de cette malédiction particulière, mais aussi de ce fait la nécessité de se soumettre à la loi dans son ensemble. De sorte qu'en éliminant l'observance de la loi, la croix fonde la justification par la foi ouverte à la tout les peuples.
Dans la littérature chrétienne ancienne, la croix est désignée par différent terme. Elle est en bois ce qui vient de la malédiction de Devarim 21, 22, 23, et permet un rapprochement avec d'autres bois, comme l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Elle est un signe Mathieu 24,30 :
La croix est l’un des quatre symboles fondamentaux, le centre, le cercle, le carré. La croix établie une relation entre les trois autres. Par l’intersection de ses deux segments qui coïncide avec le centre, elle ouvre ce dernier vers l’extérieur. Elle s’inscrit dans un cercle qu’elle divise en quatre parties, elle engendre le carré et le triangle. Comme le carré elle symbolise la terre dirige vers les quatre points cardinaux elle est la base de tous les symboles d’orientation.
L’orientation totale de l’homme exige un triple accord : l’orientation du sujet par rapport à lui même, l’orientation spatiale par rapport aux points cardinaux terrestre, l’orientation temporelle par rapport aux points cardinaux céleste. L’orientation spatiale s’articule sur l’axe Est Ouest, c’est à dire le lever et le coucher du soleil tandis que l’orientation temporelle s’appuie sur l’axe de la rotation du monde, à la fois sud nord et bas et haut. La croisée réalise ainsi la croix d’orientation totale, la concordance en l’homme des deux orientations existentielle et spatiale le mettant en résonance avec le monde terrestre immanent et le monde céleste.
La croix est synthèse et mesure. De tous les symboles elle est avec le cercle le plus universel, le plus totalisant. Elle est le symbole le l’intermédiaire, du médiateur, de celui qui est par nature rassemblement permanent de l’univers. Ainsi la croix, par ses quatre branches ses quatre éléments, représente l’humanité entière, les vertus de l’âme humaine. Mais aussi c’est là le premier oxymore, les deux parties de la croix, symbole de l’intersection ciel terre, dieu homme se représente comme l’image de la synthèse l’union et de l’opposition.
La détermination symbolique des éléments de la croix n’est pas propre à la tradition chrétienne. En inde la verticale symbolise la spiritualité, la virilité, l ‘activité tandis que l’horizontale, la matérialité, la féminité, la passivité, la croix est l’union des complémentaire. En Afrique on retrouve le même sens cosmique de la croix, carrefour chemin de la vie et de la mort, elle est l’image de la destinée humaine. Le jeu de Marelle jeux universelle résume bien ce que la croix peut être en tant que représentation du monde. Pour y jouer il faut avoir un parcours en forme de croix dessiné sur le sol qui va de terre à ciel. Après avoir lancé un jeton (souvent un caillou), les joueurs progressent alors dans les différentes cases à cloche-pied, tout en évitant, les cases où se trouvent la pierre des autres joueurs, ainsi que d'empiéter sur les lignes du tracé. Le gagnant est celui qui le premier arrive à placer son jeton sur le neuf cases et à effectuer le parcours.
Le terme croix vient du mot latin crux qui a le sens de « poteau », « gibet », voire « potence ». Le terme grec pour désigner le même objet est stauros, dérivé lui de la lettre tau. La croix est un symbole en forme d'intersection, formée de deux lignes ou plus. La « région » est une zone définie par l'intersection.
Le Robert historique de la langue française donne comme définition :
- « Du latin crux, crucis, désignant plusieurs sortes d'instruments de supplice : le pal, la potence, la croix. L'usage de cette dernière apparaît à l'époque des guerres puniques (264-141 av. J.-C.). Le supplice de la croix était réservé aux esclaves, puis à ceux, malfaiteurs et voleurs, qui n'avaient pas le titre de citoyens romains. Dès Plaute (254-184 av. J.-C.), crux est courant en latin et entre dans des locutions proverbiales ; il prend le sens de « torture morale » et, par métonymie, désigne le tourmenteur ».
Symbolique religieuse
L’usage de la croix en tant que symbole religieux remonte beaucoup plus loin que l’époque du Christ et n’est donc pas seulement d’origine chrétienne. Cela montre que la croix des Chrétiens est déjà universelle avant même l'arrivée de Jésus. On en a un exemple dans la très ancienne religion indienne. Dans la grotte d’Elephanta, on peut voir une croix au-dessus de la tête d’un personnage. Dans une autre peinture ancienne, le dieu Krishna est représenté avec six bras dont trois tiennent une croix.
Un empereur romain, Constantin le Grand devait se préparer pour une bataille lorsqu'il ressentit le besoin de recevoir l’aide des dieux. La légende raconte qu’il vit dans le ciel une lumière éblouissante en forme de croix ainsi que les mots : « Tu vaincras par ce signe ». L’ayant adopté comme étendard pour son armée, il gagne une série de victoires décisives qui firent de lui le seul maître de l’Empire romain à partir de 324 de notre ère.
Il est intéressant de noter également que la croix que Constantin dit avoir vu dans le ciel et utilisée ensuite comme son étendard militaire n’était peut-être pas la croix latine, mais le signe (Graphisme — Caractères grecs) que certains spécialistes identifient au chrisme, le monogramme du Christ (khi et rô, les deux premières lettres du mot « christ » en grec).
Quand les conquistadors espagnols envahirent les Amériques, ils furent surpris de découvrir des croix à usage religieux dans de nombreux endroits. Dans l’ouvrage Curious Myths of the Middle Ages, l’auteur Baring-Gould écrit :
- « Dans l’État d’Oaxaca [Mexique], les Espagnols s’aperçurent que l’on avait érigé des croix de bois comme symboles sacrés. (…) En Amérique du Sud, ce même signe était considéré comme symbolique et sacré. Il était révéré au Paraguay. Au Pérou, les Incas honoraient une croix sculptée d’une seule pièce dans le jaspe. (…) Les Muyscas de Cumana croyaient que la croix (…) était dotée du pouvoir de chasser les esprits mauvais ; en conséquence, on plaçait les enfants nouveau-nés sous sa protection ».
La croix n’était pas un symbole utilisé par les premiers chrétiens, car ils craignaient que ce symbole soit un signe qui les livre plus rapidement encore aux terribles persécutions romaines qui ont ensanglanté les premiers siècles du christianisme. Le livre Records of Christianity déclare ; « La croix n’était pas franchement employée dans la décoration des églises. (…) Le premier symbole du Christ a été le poisson (IIe siècle) car en grec « poisson » s'écrit : IXΘYΣ, ou ichthus, acronyme dont les lettres constituent les premières lettres de Iêsous Christos Theou Uios Sôtêr, c’est-à-dire Jésus Christ de Dieu le Fils, Sauveur. De plus le poisson, comme tout bon Chrétien, a toujours les yeux ouverts et est le seul animal dont la croissance ne s'arrête jamais, à l'image de la foi du Chrétien. Sur les premières tombes sculptées, il est aussi représenté sous les traits du bon berger (IIIe siècle) . La croix ne devint pas le principal emblème et symbole de la chrétienté avant le IVe siècle
Crucifix
Crucifix est un terme issu du latin ecclésiastique du XIIe siècle crucifixus, participe passé du verbe crucifigere, qui signifie « fixer sur une croix ».
Le crucifix est un symbole chrétien rappelant la Crucifixion, c'est-à-dire le crucifiement de Jésus-Christ, mort attaché sur une croix. Un crucifix a pour l'essentiel la forme d'une croix latine, dont la barre verticale est allongée vers le bas et courte vers le haut, et pouvant porter dans cette partie supérieure le sigle INRI, acronyme de Jésus de Nazareth, Roi des Juifs. Une image de Jésus est fixée à la croix, montrant les clous dans ses mains et ses pieds et une blessure dans son côté gauche, en référence aux récits de la Passion.
Crucifiement.
Le crucifiement est une méthode de mise à mort consistant à placer le supplicié sur une croix, un support en forme de T ou un arbre et à l'attacher par divers moyens (clous, cordes, chaînes, etc.). Plusieurs variantes du supplice existent. La Crucifixion est le terme consacré en français pour le crucifiement de Jésus de Nazareth.
Antiquité.
C'était un supplice en usage chez les peuples barbares orientaux, les Perses et les Phéniciens. Alexandre le Grand en fit usage en crucifiant des milliers de prisonniers après la prise de Sidon. Les Carthaginois l'appliquèrent, notamment dans la répression de la guerre des Mercenaires. Comme l'empalement, le crucifiement est facile à mettre en œuvre, ne nécessitant que peu de préparation et a un aspect dissuasif sur les témoins de la scène.
L'Ancien Testament ne mentionne pas le crucifiement qui n'était une peine prévue par la loi juive ; la peine capitale était appliquée chez les Juifs par lapidation.
Chez les Romains cette peine est infâmante et réservée d'abord aux esclaves puis plus tard aux brigands et aux pirates, parfois aux prisonniers de guerre et aux condamnés pour motifs politiques. L'empereur romain Constantin Ier fit abolir le supplice du crucifiement en 313, après son édit de tolérance du christianisme.
Déroulement de l'exécution.
Le condamné était attaché bras écartés sur une poutre (patibulum) avec des cordages, éventuellement doublé d'un enclouage des poignets. Les pieds, encloués ou attachés, reposaient sur une console en bois fixée sur le montant vertical (stipes). Cette barre transversale était fixée, soit au sommet (crux commissa en forme de T), soit en dessous (crux immissa) de la pièce verticale fichée en terre. Le condamné peut aussi être cloué à un arbre.
La mort survient par asphyxie : dans la position du crucifié, les muscles des épaules, pectoraux et intercostaux soutiennent le corps, et se fatiguent rapidement. Or, ces muscles sont ceux qui assurent la respiration. Pour les soulager, le condamné se soulève sur ses pieds éventuellement encloués, créant une nouvelle douleur. Les muscles des jambes se fatiguent à leur tour et le corps retombe. Cette alternance entre blocage et détente respiratoire finit par créer des crampes conduisant à l'asphyxie. Pour accélérer la mort, les jambes du condamné sont brisées à la barre de fer (crurifragium). Le condamné ne peut plus alors se redresser et s'épuise rapidement.
La peine est parfois précédée de supplices préliminaires (flagellation), censés « préparer » le condamné au crucifiement, sans l'achever prématurément. Le supplicié devait ensuite porter sa croix. ou selon les sources, uniquement le patibulum jusqu'au lieu de l'exécution. On peut noter que le mot français « patibulaire », issu du mot latin « patibulum », signifie « qui mérite de porter une croix ».
Contrairement à ce que laisse penser la tradition picturale, les clous n'étaient pas enfoncés dans les paumes des mains, ce qui aurait déchiré les chairs, mais dans les os des carpes. La croix de Jésus était vraisemblablement une crux immissa puisque, selon les Évangiles, un écriteau était fixé au sommet, et relativement haute puisqu'un soldat lui donne à boire avec une éponge imprégnée de vinaigre au bout d'une branche d'hysope.
Le culte de la croix.
Dans notre aire géographique, la représentation primordiale fut celle de l'arbre « sacré », arbre au feuillage vert situé près d'un cours d'eau, symbole universel de la fécondité. L'arbre « sacré » fournissait une résidence à une divinité toute-puissante, dont l'action salvatrice s'exerçait dans le périmètre de son ombre immense. Le salut était apporté par l'eau, l'humidité, la fraîcheur que les Anciens attribuaient à la Lune. A Sumer, là où l'histoire humaine aurait commencé ( 20 ) , le dieu Lune, SIN, était vénéré comme le Père des dieux, il céda la place à sa fille, Ishtar. Dans le culte adressé au dieu Lune, la représentation de l'arbre « sacré », accompagné fréquemment du croissant lunaire, prit des formes multiples, allant du simple tronc dessiné, aux stèles phéniciennes en forme de croix, du svastika bouddhique tibétain aux caducées multiformes.
Á Rome, on distingua vite entre « arbor felix », l'arbre sacré demeure d'un dieu secourable, et « arbor infelix », l'arbre sauvage ne portant pas de fruit, dans lequel, disait-on, habitait une divinité infernale ; c'était le tronc utilisé pour l'exécution des supplices publics, dont la peine de mort réservée aux esclaves, ce que nous appelons à tort crucifixion. Pour les Romains, « crux » signifiait la peine, le chatiment, suivant la formule souvent employée « summum jus summa crux : l'extrême justice devient cruauté ». Le verbe « cruciare » signifiait supplicier. La peine de la « crucifixion » (selon le vocabulaire ecclésiastique) consistait en une lente asphyxie, provoquée par l'extrême difficulté de respirer du fait de la suspension d'un corps le long de l'arbre, réduit habituellement à un simple tronc. Les mains étaient attachées à un crochet au-dessus de la tête, le corps pendait de tout son poids, les pieds étaient fixés sur une petite pièce de bois un peu avant l'extrêmité de la longueur du corps; le supplicié, le crucifié restait exposé à la curiosité du public, pratiquement nu, sans nourriture, il mourait lorsque, trop fatigué pour se dresser sur ses jambes, il cessait de happer l'air dont il avait besoin; le supplice pouvait durer jusqu'à deux jours. La fin était parfois rapprochée par les soldats de surveillance, qui cassaient les jambes des condamnés. Lorsque, exceptionnellement, on plaçait une poutre transversale dans la partie supérieure du tronc, on enroulait les bras du supplicié autour de cette poutre, de telle sorte que son corps pendît toujours le long de la partie inférieure de l'arbre ; cas certainement rare, les textes ne permettent généralement pas de voir si on utilisait aussi des poutres transversales.
L'homme dieu des évangiles ne fut ni un esclave révolté, ni un esclave fugitif, ni un brigand armé et voleur, ni un émeutier, mais un homme sans lien de soumission à un maître, libre de ses gestes et de ses paroles, faiseur de « miracles », multipliant les guérisons et la nourriture de milliers de personnes, incitant ses auditeurs à payer l'impôt à l'Empereur romain, c'est à dire à lui obéir. Les évangiles ne contiennent aucun motif pouvant conduire la justice impériale à le condamner à mort par le supplice réservé aux esclaves.
Mais, fondamentalement, tous les cultes, avec leurs divinités différentes, leurs pratiques particulières , leurs liturgies plus ou moins complexes, tous ces cultes tendaient à répondre à une seule préoccupation immédiate, faire cesser la peur atroce des humains de ne pouvoir se nourrir suffisamment, en leur donnant l'espoir d'obtenir, par la bienveillance des dieux souverains qu'ils représentaient, la fécondité salvatrice, l'humidité, la fraîcheur de la Lune, mère de tous les dieux dans tous les pays de l'aire indo-méditerranéenne. En 451, où le Concile œcuménique de Chalcédoine introduisit, dans la doctrine de l'Eglise catholique romaine, le symbole multiséculaire de la croix, représentation millénaire de l'arbre sacré, fixant l'espoir de tous les peuples de l'Empire de récolter chaque année les grains suffisant à assurer une bonne santé, Salus, le Salut. D'ailleurs, à cette époque, une croix ne pouvait avoir que cette valeur symbolique, puisque, depuis plus de 150 ans, ce que nous appelons la « crucifixion » n'était plus utilisée, remplacée par la pendaison, châtiment mortel beaucoup plus expéditif.
L’oxymore.
Lorsque l’on parle aujourd’hui de croix et de crucifixion, l’on a peine à entendre la vraie résonnance de ces termes qui ont été émoussé par 2000 ans de symbolique chrétienne, et comte tenu de la disparition de l’usage du crucifiement comme châtiment. Il désignait le « ummun suppicium » le plus haut degré dans l’échelle des moyens répressifs.
L’attitude du monde ancien face à la crucifixion révèle la présence de tabous. Ainsi les historiens grecs et romains ont tendance à mettre en évidence les crucifiements opérés par les barbares et à passer sous silence celles ordonnées sous leur propre autorité. Les grands écrivains ont souvent eu conscience de la cruauté du châtiment du crucifiement et ont exprimé leur sentiment à ce sujet, tels Cicéron, Sénèque, mais jamais ce sentiment ne se traduisit par une conviction abolitionniste. Les gens cultivés se contentent de détourner les yeux. Á cette horreur se mêlent des connotations religieuses : l’exposition élevée du condamné fait de la croix le châtiment qui se rapproche le plus de l’archaïque sacrifice humain, et il faut compter avec les superstitions populaire prêtant un pouvoir maléfique aux mânes des condamnés à mort exécutés.
En même temps, le crucifiement répondait au besoin primitif de vengeance et à la cruauté sadique des individus au pouvoir aussi bien que des masses populaires. Bestialité inhérente au cœur de l’homme. La plupart du temps en effet elle était accompagnée d'autres formes de torture, tout au moins de la flagellation. Par des moyens relativement économiques et avec des effets sur le public. Les délinquants pouvaient être torturés d'une manière indicible et à longueur de journée. On peut avancer dans cette analyse de l’inconscient collectif de l’impérialisme romain en reprenant l’idée de Malaparte dans Kapput à propos de la bestialité des nazis ; « la race des seigneurs ». Ici la société impérial n’avait pas peur des forts, il convenu que dans cette univers là, pour préserver la dignité humaine de la majorité, il faut profaner et annihiler celle de quelques-uns ; mais cela ne peut se faire impunément, car la « crucifixion » porte avec elle une dimension sacrale, religieuse, inamovible ; profaner la dignité d’un individu en le clouant à la croix,c’est vouloir tuer la chose inconnue, alias dieu, qui selon l’hypothèse chrétienne a choisi de résider en lui. La croix menance la profanation de l’ensemble des individus. Cette conséquence insupportable est refoulée de manière à rester inconsciente. C’est Paul qui donne à la croix la portée universelle de la parole de la croix c’est lui qui s’en sert comme fer de lance pour contrer l’idéologie juive qui « demande des miracles » pour le prix de sa fidélité à la Loi, l’idéologie grecque qui recherche la sagesse comme outil de la maîtrise de sa vie et de l’idéologie romaine qui impose au monde son « oderint, dum metuant » qu’ils me haïssent pourvu qu’il me craignent. Paul découvre le fond inavouable de ces idéologies.
Si la création révèle la sagesse de Dieu, l’Incarnation et la Passion de Dieu nous disent sa folie. Dans l’antiquité, déjà, la folie se trouve insérée au cœur des mythes fondateurs de l’hellénisme. Platon, dans son fameux dialogue du Phèdre, distingue deux espèces de folies mania : celle qui vient des hommes et celle qui vient des dieux – chez celle-ci, on doit reconnaître les quatre attributs principaux, la mania poétique, la mania mystique, la mantique ou mania d’inspiration divinatoire, et la mania amoureuse, distinction reprise par la tradition grecque.
L’étude des textes bibliques fait apparaître clairement que le contexte phénoménologique de la folie est d’ordre sapiential. L’univers du fou se trouve inexorablement lié à celui du sage. La folie, de manière inexpliquée, « décharne » l’homme, animal raisonnable, de sa propre nature, pour la réduire à l’animalité, avec tout ce que cela suppose de déshumanisation. Ainsi, saisissons-nous davantage l’importance salutaire du dessein de Dieu, qui, par un processus inverse, par la folie de l’Incarnation, puis par celle de la Croix, restituera au genre humain sa dignité perdue. Le nouveau testament par l’intermédiaire de Paul, ne cesse, en effet, de souligner cet aspect révélateur de la folie d’un Dieu crucifié, produisant un renversement de valeurs et attribuant à la folie un sens positif et salutaire. Ce renversement de valeurs, opéré par l’exemple de Paul et son imitation du Christ dans sa folie : « Nous sommes fous à cause du Christ » (1 Co 4, 9-13), est à l’origine de la tradition chrétienne de la folie sainte.
L’ultime recours de « Dieu » pour ramener l’humanité dans la voie du salut et la guérir de son orgueilleuse sagesse, cause de tous ses maux, sera de la recréer par sa propre sagesse divine, qui s’incarne en son « Fils Jésus-Christ ». Afin de libérer le fou de l’absurdité de son égarement, le Fils de Dieu, est venu l’assumer en sa personne. Par son Incarnation, sa Crucifixion et sa Résurrection, il inversera la négation de cette folie destructrice à laquelle s’est voué l’homme dans sa présomption, en lui conférant un sens rédempteur. Renonçant à devenir semblable à Dieu, comme le revendiquait le premier homme Adam (Gn 3, 5).
La Croix n’est pas pour Paul une réalité abstraite, une représentation imaginaire, mais le symbole de la mort d’un homme, Jésus de Nazareth, Fils de Dieu venu apporter le salut à l’humanité entière. L’événement de la crucifixion de Jésus, dans son indéniable historicité, constitue la source et l’origine du langage véhiculé par Paul : langage sans complaisance, puisqu’en lui est ancrée toute l’infamie de l’instrument qui servit à l’exécution de Jésus. Nous constatons le double effet infamant de ce châtiment, qui met en évidence d’une part, la méchanceté et la cruauté bestiale de l’homme envers l’un de ses semblables, et d’autre part, ôte au supplicié toute dignité humaine. Juifs et Grecs, sans compassion, ne peuvent percevoir dans un Christ crucifié que scandale et folie, car croire au message d’un messie crucifié, Fils de Dieu ou Dieu, équivaudrait à donner assentiment à une contradiction cynique et inconvenante ; inacceptable provocation, surtout pour les Juifs suivant la Loi (Gal 3, 13).1
Ainsi la folie de la Croix, telle que la présente Paul, sans jamais en employer l’expression, échappe à toute espèce de docétisme qui réduirait la crucifixion à une simple simulation, à une sublime extase, voire à une sorte d’ascension intérieure vers le divin. La Croix est là, plantée devant eux avec toute son implacable cruauté destructrice, non pour qu’ils se complaisent dans une contemplation morbide, mais elle aura pour eux force de témoignage. Le langage de la Croix, qui se dispense de toute démonstration, est par excellence ce langage paradoxal, vidé de toute puissance orale, où se tait le Verbe de Dieu, et où la Parole se fait silence.
La sagesse du monde, folie aux yeux de Dieu, réunit l’humanité dans une espèce de fausse unité, que vient pourfendre et réduire à néant le langage de la Croix. La sagesse humaine échoue au pied de la Croix de Jésus. Il est vrai que ce langage centré autour de la Croix du Christ a pour effet de diviser et séparer cette sagesse humaine constituée en totalité. Il est la représentation symbolique de la rupture, il invite à une prise de décision et de position : « pour ceux qui se perdent, il est folie, mais pour ceux qui se sauvent, pour nous, il est puissance de Dieu » (1 Co 1, 18). La folie de la prédication proclamant un Messie crucifié consiste en une intervention de Dieu visant à purifier le cœur de l’homme et son intelligence, en rendant non pas la foi difficile mais en la rendant possible.
La Croix instaure, une brèche dans l’ordre chimérique façonné par l’homme, usurpant une prérogative divine pour ériger un ordre nouveau, avec l’ambition d’y manifester l’avènement d’une création nouvelle, annonçant déjà, et pas encore, la fin de la création. La nouveauté de cette création brille non par l’émergence d’un surhomme ou le retour à une humanité paradisiaque, mais par l’éclat du saint. Le saint est la marque, le signe du croyant, qui se glorifie de sa propre faiblesse, de sa pauvreté et de ses contradictions (2 Co 12, 1-16), car il sait qu’elles sont les critères authentiques par lesquels la sagesse divine choisit les fous, les insensés, tout ce qui n’est rien dans le monde. Ils sont les signes vivants de l’inversion eschatologique des valeurs et les témoins de la Vérité venue confondre la vaine gloire du monde :
- « Je dis le vrai, donc je ne suis pas fou, dit le fou. Je dis le vrai, mais je ne suis pas vrai, dit le saint. Je ne suis pas saint, dit le saint, seul Dieu l’est, à qui je vous renvoie. Les fous et les saints se côtoient dans l’Histoire. Ils se frôlent, ils se cherchent et parfois se rencontrent, pour le plus grand malheur du fou, pour son plus beau désastre. »
Récapitulation.
La crucifixion comme châtiment a connu une expansion étonnante dans l'Antiquité. Elle apparaît sous des formes variées chez de nombreux peuples du monde ancien, même chez les Grecs. On' n'y rencontre manifestement ni le désir ni le pouvoir de l'abolir, même là où l'on était pleinement conscient de sa cruauté. Elle est donc en contradiction radicale avec le tableau idéalisateur de l'Antiquité : noble simplicité et grandeur tranquille. Á notre époque fière de son humanisme et de son progrès, mais où le recours à la peine de mort, à la torture est plutôt en croissance nous n’avons pas le doit de penser que nous avons surmonté les contradictions de l’antiquité.
Les essais de réflexion critique ou d'élaboration philosophique sur la souffrance démesurée des nombreux crucifiés sont relativement rares. C'est encore dans la prédication stoïcienne sur l'« indifférence » (apatheia) et la « vertu » (arétê) du sage que nous les rencontrons le plus souvent ; ici le tourment de celui qui mourait sur la croix pouvait éventuellement être utilisé comme une métaphore. Et alors la crucifixion devenait l'image de cette souffrance dont l'homme sage ne peut plus se délivrer que par la mort, qui détache l'âme du corps auquel elle était liée.
Paul et le langage de la croix. Ou la crucifixion et les textes.
Paul dans l’épître Galates 3,13 cite un passage du Devarim 21,23 :
- « 22- Quand un homme, convaincu d'un crime qui mérite la mort, aura été exécuté, et que tu l'auras attaché au gibet,
- 23- tu ne laisseras pas séjoumer son cadavre sur le gibet, mais tu auras soin de l'enterrer le même jour, car un pendu est chose offensante pour Dieu, et tu ne dois pas souiller ton pays, que l'Éternel, ton Dieu, te donne en héritage. »
- « 1- Moïse, avec les anciens d'Israël, exhorta le peuple en ces termes: "Observez toute la loi que je vous impose en ce jour ». Devarim 27,1 « 26- "Maudit soit quiconque ne respecterait point les paroles de la présente doctrine et négligerait de les mettre en pratique!" Et tout le peuple dira: Amen! » Devarim 27,26
Or le christ a libéré les humains de la première en ne se soumettant pas à la seconde. Le messie en s'exposant à la malédiction prononcée sur la pendaison au bois et en la transgressant, annule non seulement la portée de cette malédiction particulière, mais aussi de ce fait la nécessité de se soumettre à la loi dans son ensemble. De sorte qu'en éliminant l'observance de la loi, la croix fonde la justification par la foi ouverte à la tout les peuples.
Dans la littérature chrétienne ancienne, la croix est désignée par différent terme. Elle est en bois ce qui vient de la malédiction de Devarim 21, 22, 23, et permet un rapprochement avec d'autres bois, comme l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Elle est un signe Mathieu 24,30 :
- « Alors paraÎtra dans le ciel le signe du fils de l'homme; alors aussi toutes les tribus de la terre se lamenteront et verront le fils de l'homme venir sur les nuées du ciel avec puissance et beaucoup de gloire. »
- « 7- Et le peuple s'adressa à Moïse, et i/s dirent: "Nous avons péché en parlant contre l'Éternel et contre toi; intercède auprès de l'Éternel, pour qu'il détourne de nous ces serpents!" Et Moïse intercéda pour le peuple.
- 8 L'Éternel dit à Moïse: "Fais toi-même un serpent et place-le au haut d'une perche: quiconque aura été mordu, qu'i/le regarde et il vivra!"
- 9 Et Moïse fit un serpent d'airain, le fixa sur une perche; et alors, si quelqu'un était mordu par un serpent, il levait les yeux vers le serpent d'airain et était sauvé ».
-
Nombre 21. Et par la marque portée sur le front en Ezéchiel 9,4
- « 4- L'Eternel lui dit: "Passe au milieu de la ville, au milieu de Jérusalem, et tu dessineras un signe sur le front des hommes qui soupirent et gémissent à cause de toutes les iniquités qui s'y commettent ».
La croix est autant un trophée qu'un mystère. La crucifixion est présentée comme une extension des mains ce qui correspond à la position du supplicié, mais aussi à l'extension des mains de Moïse en Exode 17, 11
- « 11 Or, tant que Moïse tenait son bras levé, Israël avait le dessus; lorsqu'il le laissait fléchir, c'est Amalec qui l'emportait ».
- « 2 Constamment j'ai tendu les mains à une nation infidèle, qui s'est engagée dans une mauvaise voie, au gré de ses idées ».
Pour Diodore de Sicile un historien et chroniqueur grec du 1er siècle av. J.-C la peine sur la croix est la peine la plus sévère pour un criminel politique. C'est sans doute là un des points sur le quelles docétisme c'est fondé.
Deux rois de Thrace seront crucifiés, Diegylis, Zyselmius. Que veut dire crucifiement, il signifie surtout l'exposition du cadavre Hérodote utilise le mot anaskolopizien, crucifié vivant, et le mot anastauroun pour crucifié mort. En revanche Joseph et Philon n'emploie que anaskolopizien. Mais le crucifiement et plus qu'une condamnation, on peut tout faire. Si l'on se rapporte à Sénèque:
- « Je vois devant moi des croix, non pas toutes du même modèle, mais variant avec le maître qui les faits faire. Il en est qui pendent leurs victimes la tête en bas, d'autre les empalent d'autre leur étendent les bras sur une potence ».
- « Ainsi les soldats, dans leur colère et par haine ridiculisaient les prisonniers en les crucifiant chacun dans une position différentes et vu leur nombre la place manquait pour les croix et les croix pour les corps ».
Il n'y a qu'une seule interprétation positive de la croix, comme la mort d'un philosophe martyr. Il s'agit d'Atilius Regulus mais ce n'est qu'une légende une langue métaphorique.
Marcus Atilius Regulus est un personnage politique et militaire romain. Il est élu consul une première fois en 267 av. J.-C., commandement au cours duquel il s'empare de Brindisi, achevant la conquête romaine du sud de l'Italie. Il est de nouveau consul en 256 av. J.-C., pendant la première guerre punique, et débarque près de Carthage avec une armée romaine. Regulus rencontre encore les armées puniques à Adys et remporte la victoire. Finalement, il est vaincu par le Lacédémonien Xanthippe commandant mercenaire de l'armée carthaginoise.
Les Carthaginois, dont les troupes sont épuisées, proposent à Régulus de rentrer à Rome pour obtenir soit la cessation des combats, soit au moins un échange de prisonniers, sous réserve de sa parole d'honneur de rentrer à Carthage si sa mission échoue. Au moment de prendre la parole au Sénat romain, il déconseille, à la surprise générale, le choix de l'une de ces options, puis - fidèle à son serment - rentre à Carthage où il sera horriblement torturé avant d'être mis à mort.
Le nom de Régulus est resté synonyme de courage et de la vertu romaine du respect absolu de la parole donnée. Son histoire a été racontée par Tite-Live dans le dix-huitième livre de son Histoire de Rome. D'autres auteurs antiques font allusion à Régulus, en particulier Cicéron, dans le troisième livre de son traité De Officiis (Des Devoirs, III, 99sq).
Là où la sagesse humaine ne peut percevoir qu'échec et impuissance, Paul lit la puissance de Dieu. Tel est le paradoxe de la croix. Dans la première épître aux Corinthiens, Paul est confronté aux tensions identitaires qui se font jour au sein de l'Eglise de Corinthe. Chaque groupe en présence se réfère en effet à une figure fondatrice qui donne une orientation particulière à l'expression de la foi: Paul, Apollos, Pierre et Christ (1 Co 1,12). Paul se situe en dehors de tout débat idéologique partisan. Il va même prendre de la distance par rapport à son propre langage (celui de la justification par la foi). Pour ce faire, il va créer un langage nouveau, hors capture identitaire. Pour Paul, en effet, l'unité de la communauté ne peut trouver son fondement sur une identité confessionnelle ou sur un rite d'appartenance, fût-il administré par un responsable imminent (1 Co 1,13-16). Sur quoi se fonde alors l'unité de la communauté? 1 Co 1,18-25 nous donne la réponse.
Contre la sagesse humaine Pour Paul, l'Evangile est « prédication de la croix » et cette prédication littéralement « parole » est une « folie ». Folie, parce que la croix proclame en effet la puissance de Dieu là où la sagesse humaine ne peut percevoir que l'impuissance et l'échec. Folie parce qu'elle annonce que Dieu se rend présent aux hommes là où ils sont incapables de le percevoir. La prédication de la croix proclame, sur Dieu, le contraire de ce que l'homme conçoit et comprend de lui!
La croix s'élève donc contre la sagesse humaine, à comprendre ici comme tout mouvement philosophique ou religieux par lequel l'homme tente d'accéder à Dieu et, par là, de se poser comme son propre fondement. Car, loin de mener à Dieu, la sagesse des hommes fait de Dieu la figure des aspirations humaines et c'est pourquoi elle est disqualifiée.
La croix met à mal les prétentions humaines et dévoile l'impasse de la connaissance: scandale du salut par la folie de la prédication, la croix dévoile à l'homme, qui s'appuie sur sa propre sagesse, son incapacité à reconnaître véritablement Dieu. Elle brise les édifices philosophiques et religieux. Cette parole de la croix est ainsi rejetée par les juifs qui veulent des preuves de la puissance de Dieu et par les Grecs qui enferment Dieu dans un système. La quête de salut des uns et des autres les condamne. Tous les hommes sont ainsi unis dans la rébellion: juifs et Grecs sont associés dans leur attitude vis-à-vis de Dieu.
Objet de scandale
Il s'ensuit que la prédication du crucifié est le moyen que Dieu a choisi pour renverser le rempart que juifs et Grecs ont dressé, chacun à leur façon, contre Dieu: et cela ne peut être qu'un scandale et une folie pour tous. Dans le même temps, cette prédication ({ appelle» juifs et Grecs à reconnaître le caractère salutaire de l'attaque lancée par la parole de la croix. Et Paul de conclure: dans sa «folie », Dieu est plus sage que les hommes et, dans sa faiblesse, il est plus fort qu'eux.
Aux marqueurs identitaires des communautés chrétiennes primitives, Paul oppose un événement scandaleux qui n'offre, à cette époque du moins, aucune possibilité de référence identitaire : la croix. Notons-le, Paul ne propose pas, comme l'on fait avant et après lui les premiers chrétiens, un langage religieux interprétant de façon acceptable la mort de Jésus. Il choisit un langage non religieux qui s'en tient au seul signifiant de l'objet même du supplice (pour risquer un anachronisme osé, c'est un peu comme si, aujourd'hui, Paul renvoyait les croyants de toutes confessions à une chaise électrique !). Il s'agit de fonder l'unité des croyants sur un objet de malédiction: la croix. Parole de résurrection
La croix affirme que Dieu se donne à connaître dans tout ce qui est le contraire de ce que l'on met habituellement derrière le mot ({ dieu» : la mort d'un crucifié. L'échec le plus total. Pas même la mort du héros sur le champ de bataille (qui pourrait au moins être une source d'identité respectable). Bien au contraire: la mort du malpropre, du criminel, de celui dont la vie est ratée. Une véritable folie et un scandale du point de vue des hommes.
1: Par l'exposition publique du supplicié nu à un endroit bien visible - sur une place publique dans un théâtre, sur une hauteur, sur le lieu du crime - la crucifixion représentait aussi la dernière des profanations infligée à la victime; profanation qui avait des dimensions sacrales, dont les Juifs précisément étaient très conscients, car ils connaissaient le texte de Dt 21. 23. Cette forme d’exécution plus que n’importe quelle autre, suggérait l’idée du sacrifice humain, dont l’antiquité n’avait jamais réussi à se libérer totalement.
☜Controverse
La mort et ses objets: le portrait.
La mort et et ses objets; la pierre tombale
Á suivre:
Biblio:
Titre:Le Crucifix des origines au Concile de Trente : étude iconographique
Auteur: Thoby, Paul
Éditeur: Nantes : Bellanger, 1959-1963
Titre:L'image d'un Dieu souffrant (IXe-Xe siècles) : aux origines du crucifix
Auteur : Sepière, Marie-Christine
Éditeur :Paris : Le Cerf, 1994
Titre : La crucifixion dans l'antiquité et la folie du message de la croix
Auteur : Hengel, Martin
Éditeur : Paris : Ed. du Cerf, 1981
Titre : Le dieu crucifié : la croix du Christ, fondement et critique de la théologie chrétienne
Auteur: Moltmann, Jürgen
Éditeur : Paris : Cerf et Mame, 1974
Titre : L'image interdite
Auteur: Alain Besançon
Éditeur : Gallimard (25 avril 2000)
Titre : L'image interdite
Auteur: Jean- Yves Lacoste
Éditeur : PUF
Titre : La croix dans la littérature chrétienne des premiers siècles
Éditeur : Berne : P. Lang, 2006
Collection : Traditio Christiana
Titre : L'art en croix: le thème de la crucifixion dans l'histoire de l'art
Auteur: Jacques de Landsberg, Didier Martens
Éditeur : Renaissance du Livre (11 avril 2001)